Pourquoi l’Europe ne recevra pas le gaz turkmène

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Les corridors sud et les problèmes de la mer Caspienne sont traditionnellement au centre de l’attention. Aujourd’hui, nous aborderons une nouvelle fois ce thème. L'invité de Voix de la Russie est Vitali Protassov, responsable du Département énergétique de l'Institut de l'énergie et des finances.

Voix de la Russie: A chaque fois lorsqu’on parle du gaz turkmène, survient forcément la question que l’Europe ne recevra pas ce gaz. Mais peu peuvent répondre pourquoi. La presse écrit souvent que c’est comme le baudrier de Porthos – en effet, d’un côté il existe. Le voici ce gaz, vous pouvez le voir. Mais pas de l’autre côté. Et il s’avère que les réserves annoncées par le Turkménistan aux négociations sont des chiffres qui ne correspondent pas à la réalité. Est-ce la raison pour laquelle on affirme que l’Europe ne recevra pas le gaz turkmène ou existe-t-il une autre explication?

Vitali Protassov: Il existe plusieurs facteurs importants. Premièrement, beaucoup de pays prétendent au gaz turkmène. Le principal acteur n’est même pas la Russie, mais la Chine. Il est supposé que les fournitures de gaz turkmène en Chine atteindront 40 milliards de mètres cubes à la fin de la décennie. Il y a également l’Iran, avec qui des contrats pour la fourniture de 12 milliards de mètres cubes ont été conclus. Il faut prendre en compte la consommation nationale qui varie entre 16 et 20 milliards de mètres cubes. Il y a la Russie qui achète pour l’instant des faibles quantités de gaz. Et il y a le Kazakhstan qui dans une certaine mesure a besoin du gaz turkmène. Ainsi, il y a beaucoup de prétendants. Il y a également le projet Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde, le gazoduc TAPI qui prévoit des fournitures jusqu’à 30 milliards de mètres cubes de gaz en Inde par cet itinéraire. Par ailleurs, le Turkménistan a toujours dit qu’il était prêt à vendre son gaz sur sa frontière et que tout le reste ne l’intéressait pas ".

- Une position étrange : on vend le gaz et on ne se préoccupe pas de son sort.

- Pas du tout. Le plus important est de le vendre. Pour cette raison, si le Turkménistan avait d’autres alternatives, hormis l’Europe, avec des conditions acceptables, il le ferait, et cela ne pose aucun problème. Mais il existe une autre question liée à l’indétermination des ressources du gaz turkmène. Les Turkmènes sont très réticents à l’idée de donner l’accès à ses gisements aux experts internationaux. Initialement les expertises menées sont annoncées comme indépendantes, mais il s’avère par la suite que certains chiffres ont été exagérés. De plus, un autre problème important à long terme est dû au fait que la production au Turkménistan s’est considérablement réduite après la crise et après le refus d’acheter le gaz conformément aux accords conclus précédemment. Par conséquent, le Turkménistan a considérablement réduit la production de gaz. C’est la raison pour laquelle le Turkménistan aura besoin de plusieurs années pour regagner le niveau antérieur, car il a été nécessaire de limiter ses gisements. Mais je ne dirais pas qu’il est impossible que l’Europe reçoive le gaz turkmène. En principe, c’est tout à fait possible. Par exemple, les fournitures via la Russie, par le South Stream. L’avantage de cette option est le suivant. Pour le Turkménistan, l’avantage est évident, car il vend son gaz et gagne de l’argent. Pour la Russie c’est un avantage car cela pourrait être présenté comme une concession à l’Union européenne en lui offrant l’accès au gaz turkmène, mais en échange des conditions préférentielles pour le South Stream. De plus, c’est une procédure assez formelle, car selon la législation européenne, il existe des projets dits d’intérêt européen. Le projet d’intérêt européen suggère la diversification des approvisionnements. Et cela concerne avant tout la diversification des sources. Il existe également la diversification des itinéraires des fournitures. Le South Stream est concerné par la diversification des itinéraires, car c’est un nouvel itinéraire d’acheminement. C’est un avantage pour la Russie. Il est clair que compte tenu du monopole sur l’exportation du gaz russe et la volonté du Turkménistan de vendre son gaz sur sa frontière, Gazprom achètera le gaz turkmène et le revendra à l’Europe. L’inconvénient pour la Russie est que la marge sera moindre, car le prix du gaz turkmène est plus élevé que le coût de la production du gaz sur le territoire russe. Néanmoins, cela pourrait être bénéfique grâce aux concessions de l’Union européenne et la simplification du régime pour le South Stream. Et l’Europe recevra le gaz turkmène ".

- Pourquoi le Turkménistan empêche l’expertise de ses réserves de gaz? Il y a quelques années on disait souvent que c’était le sauvetage de l’Europe de l’influence excessive de la Russie, que la diversification des approvisionnements était le seul moyen. A première vue, si les deux parties sont intéressées, il suffit de faire l’expertise. Alors pourquoi les expertises n’ont pas été réalisées?

- Si, formellement les expertises sont faites.

- Mais entre la formalité et la réalité il y a une grande différence.

- Très probablement cela pourrait être lié au fait qu’en réalité les réserves de gaz turkmène soient inférieures à ce qui est annoncé par le Turkménistan. Ou il y existe d’autres problèmes technologiques liés à la production du gaz. Autrement dit, le gaz existe, mais il est bien plus difficile de l’extraire que cela est affirmé aux investisseurs potentiels, et ainsi de suite. C’est probablement la raison pour laquelle ces informations sont cachées en partie.

- Mais pourquoi ne pas simplement dire qu’il y a du gaz, il suffit de l’extraire, bien qu’il existe des difficultés technologiques. Mais ce gaz existe, c’est le plus important. Pourquoi cacher? Pour lancer la construction, puis fermer le robinet, car les ressources sont insuffisantes? Quel est l’intérêt?

- Le but est d’obtenir les conditions les plus favorables. Autrement dit, s’il s’avère que les conditions sont défavorables ou les réserves sont moindres après la signature des accords, les prix des fournitures seront déjà fixés.

- Et ces accords pourraient-ils être bloqués par l’Union européenne lorsque la vérité éclatera au grand jour?

- Difficile à dire. Il y aura des accords commerciaux concrets entre une compagnie européenne et une compagnie d’Etat turkmène. En principe, ce serait un accord non valide s’il y avait clairement une induction en erreur. Mais il faudra encore le prouver, car les évaluations étaient effectuées par les experts des compagnies internationales de consultation. Théoriquement, le gouvernement turkmène n’est pas impliqué.

- L’histoire du gaz semi-mythique n’est même pas un secret. Je pense que les partenaires européens en sont également conscients que tout ne se passe pas aussi bien qu’on le voudrait. C’est probablement la raison pour laquelle ils ne s’empressent pas de réaliser ce projet.

- Dans un sens, oui. Mais d’une manière ou d’une autre, l’Europe a tout de même besoin de ce gaz. La question est de savoir quelles seront les quantités nécessaires. Pour cette raison, l’intérêt demeure. C’est toujours une question de prix.


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