Campagne législative russe: Russie Unie exploite la peur de la crise

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Dans la dernière ligne droite de la campagne électorale des législatives en Russie, la rhétorique de tous les participants devient plus expressive – à la veille des élections les rivaux n’ont pas la tête aux subtilités.

Dans la dernière ligne droite de la campagne électorale des législatives en Russie, la rhétorique de tous les participants devient plus expressive – à la veille des élections les rivaux n’ont pas la tête aux subtilités. Le favori de la course électorale, le parti Russie Unie et son leader Vladimir Poutine, ne fait pas exception. Jeudi, pendant la réunion avec la direction de la fraction de Russie Unie, le premier ministre a encore plus clairement défini le leitmotiv de la campagne du parti : c’est le seul à pouvoir sauver le pays de la crise.

"Ce qui se passe chez nos amis européens et nos partenaires américains (la situation économique), y compris le résultat de l’absence de cohésion au sein de la société, lorsque les principales forces politiques ne parviennent pas à trouver de terrain d’entente, ne doit pas se reproduire en Russie, a déclaré Poutine à Novo-Ogarevo (résidence du premier-ministre, région de Moscou) aux membres de Russie Unie. A cet égard je voudrais attirer votre attention sur la nécessité d’obtenir le meilleur résultat possible aux législatives, car si nous obtenions un parlement diversifié et que nous ne fassions que des promesses, pour ensuite vivre au dépend des générations futures, cela nous pousserait un jour vers la limite au-delà de laquelle se trouvent actuellement nos partenaires et nos amis en Europe".

Cette stratégie va-t-elle porter ses fruits?

"L’exploitation de la peur devant la nouvelle vague de la crise est depuis longtemps une partie intégrante de la stratégie électorale de Russie Unie, estime Mikhaïl Vinogradov, président du fonds Politique de Saint-Pétersbourg. Accompagné par le discours du président Dmitri Medvedev sur le bouclier antimissile (ABM) américain cela fait partie de la lutte de Russie Unie pour l’électorat traditionnaliste, c’est-à-dire des gens qui ont peur de l’avenir, qui se méfient de l’Occident, des réformes et des changements. Le but de tels discours consiste à mettre de son côté une partie de l’électorat du parti communiste et du parti libéral démocrate".

Lev Goudkov, directeur du Centre analytique Levada, fait remarquer que l’exploitation de la peur peut porter ses fruits car la culture politique de la population russe se distingue par l’inquiétude. D’ailleurs, dans le classement des craintes établi par le Centre Levada la hausse des prix est en tête devant le chômage. Autrement dit, les Russes craignent la crise, or dans son discours à Novo-Ogarevo Poutine parlait précisément de la capacité de Russie Unie à surmonter la crise.

A titre d’exemple positif, Poutine a mentionné la crise de 2008-2009, lorsque grâce à un travail coordonné des pouvoirs exécutif et législatif, le fonds de stabilisation préalablement créé et le rejet des promesses budgétaires financièrement injustifiées il a été possible de dompter les deux principales peurs russes mentionnées ci-dessus – l’inflation et le chômage.

Lev Goudkov fait remarquer que les femmes de 40-50 ans étaient les plus sujettes aux inquiétudes, ce qui n’est pas étonnant. Selon le Centre Levada, jusqu’à 70% des familles russes n’ont pas d’épargnes, et parmi les 30% restant, les deux tiers ont suffisamment d’argent pour tenir 3-4 mois après la perte de leur emploi ou la montée soudaine de l’inflation.

Le parti Russie Unie réussira-t-il à mobiliser de son côté l’électorat traditionnaliste? Avant le discours de Poutine, le fonds Politique de Saint-Pétersbourg a publié les résultats de son pronostic électoral, qui prédit à Russie Unie un résultat de 57% des voix, en soulignant les points forts de sa campagne : par exemple, la reprise du thème du Parti communiste concernant le "rétablissement de l’URSS" (grâce à l’idée de Poutine de former l’Union eurasienne).

Toutefois, le parti au pouvoir s’est attardé avant de démarrer : la majeure partie de l’année 2011 les cotes de popularités des leaders de Russie Unie étaient en baisse, et la tâche de changer cette tendance à la veille des élections paraît ardue.

Le président du fonds Politique de Saint-Pétersbourg Mikhaïl Vinogradov estime que la campagne de Russie Unie visant à mettre de son côté une partie de l’électorat du Parti communiste et du Parti libéral démocrate est juste, et il fait remarquer que le parti Russie Juste pourrait en tirer un avantage de cette situation en bénéficiant d’une chance de former une quatrième fraction à la Douma (chambre basse du parlement).

Dans les circonstances actuelles, la Russie Juste érode l’opposition communiste, et reçoit ainsi une chance de bénéficier de la neutralité des autorités (bien que l’animosité personnelle entre Russie Unie et Russie Juste soit sérieuse, fait remarquer Vinogradov, il est question d’une lutte "intraspécifique" des partis créés avec la bénédiction du Kremlin).

Toutefois, ni Russie Juste, ni les communistes ni le parti libéral démocrate ne sont le principal ennemi de Russie Unie, mais l’agacement des électeurs face à l'utilisation abusive des ressources administratives pendant la campagne des législatives. La réaction irritée des hauts fonctionnaires locaux au slogan d’un parti d’opposition "Pour une Russie sans voleurs!" a été interprété par les blogueurs ou par ceux qui suivent simplement la politique comme une réaction selon le principe "qui se sent coupable s’amende ou se confesse". Beaucoup d’experts estiment que la chaîne de diffusion des rencontres du président Medvedev avec les blogueurs et d’autres jeunes internautes a été mal choisie. Ces rencontres ont été retransmises sur une chaîne qui n'est pas regardée par les blogueurs, par contre elle l'est par l’électorat traditionnaliste. Or ce dernier est exaspéré par ceux  qui parlent sans cesse d’internet, alors que le web leur est étranger.

Au final, l’électorat de Medvedev est démobilisé et peu susceptible d’aider Russie Unie (ceux qui voyaient Medvedev comme une "alternative" à Poutine ont été déçus par l’annonce du roque au sein du tandem en septembre et, selon les experts, pourraient simplement ne pas se rendre aux urnes). Et Russie Unie devra encore se battre pour l’électorat de Poutine en s’efforçant de le convaincre de participer aux législatives et ne pas voter pour le Parti communiste ou un autre parti d’opposition.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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