Petit procès entre oligarques

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Le médiatique procès opposant à Londres les oligarques Boris Berezovski et Roman Abramovitch jette une lumière crue sur la naissance de la Russie moderne. Et pourrait peser sur les élections russes.

Un procès palpitant se tient actuellement à Londres. Le litige opposant les deux hommes nous replonge au milieu des intrigues qui ont accompagné la naissance de la Russie dans les années 1990: Boris Berezovski, exilé à Londres suite à son conflit avec les autorités russes, réclame 5,5 milliards de dollars à Roman Abramovitch, propriétaire du Chelsea resté fidèle à Moscou. Motif? La vente, exercée selon Berezovski sous la contrainte et à un prix bradé, d'actions des compagnies Sibneft (pétrole) et Rusal (aluminium).

D'après Berezovski, Abramovitch aurait fait pression sur sa personne et sur son associé Badri Patarkatsichvili, décédé en 2008 dans des circonstances mystérieuses à Londres. Pressions dictées, toujours selon lui, par Vladimir Poutine en personne, Abramovitch ne jouant finalement qu'un rôle d'émissaire.

A la tête d'un empire médiatico-politique durant la décennie 1990-2000, Berezovski a expliqué que Poutine, président russe de l'époque, l'avait dans un premier temps forcé à céder à l'Etat ses parts au sein de la chaîne de télévision russe ORT (l'ancêtre de la première chaîne). Mais la "pression" à son encontre se poursuivit, les autorités ayant par la suite exigé la vente des actions de Sibneft, puis plus tard de Rusal, à un prix bradé.

Le procès est l'occasion de découvrir comment on "faisait du business" dans les années 1990, quand une poignée d'hommes, les oligarques, faisaient des fortunes sur la privatisation sauvage de la propriété d'Etat. Abramovitch a ainsi raconté avoir versé des sommes considérables à Berezovski afin d'obtenir sa "protection". Et confirmé, si besoin était, qu'une vaste partie de l'argent dû à l'Etat russe par les oligarques avait fini dans des comptes à l'étranger.

Bien entendu, l'intérêt véritable du procès ne réside pas dans les sommes en jeu, aussi énormes soient-elles: les Russes en ont vu d'autres. Il est à rechercher dans le choc entre ces deux personnalités qui ont connu des destins opposés dans le maelstrom politique de la jeune Russie. Un pays passé du communisme au capitalisme le plus sauvage, la propriété d'Etat se voyant dépecée par les "oligarques", un cercle d'hommes qui parvint de fait à diriger le pays jusqu'au début des années 2000.

L'exilé vs. Monsieur Loyal
La carrière de Berezovski a décollé à l'issue d'opérations troubles au début des années 1990: il a été condamné par la justice russe à de la prison ferme pour le détournement d'automobiles de marque Lada et le blanchiment d'argent appartenant à la compagnie aérienne Aeroflot. Il fut en outre accusé par le journaliste russo-américain Paul Khlebnikov d'organisation de meurtres, liens avec la mafia tchétchène et trafic d'otages dans le cadre des guerres de Tchétchénie. Quelques années plus tard, Khlebnikov était assassiné.

A partir de 1995, l'homme d'affaires bâtit un véritable empire médiatique comprenant journaux (Kommersant, Nezavissimaia gazeta), radios et chaînes de télévision. Les pieds de nez aux autorités russes se multiplient: c'est une chaîne appartenant à Berezovski, TV-6, qui accueillera plus tard les journalistes de la chaîne NTV, au centre d'un conflit entre le pouvoir et son propriétaire, Vladimir Goussinski.

La fin des années 1990 marque le début de l'ascension politique du milliardaire. Berezovski se rapproche de Boris Eltsine par le biais de sa fille, Tatiana Diatchenko, qualifiée de "canal d'accès le plus efficace" au président. Mais l'homme est trop ambitieux et finira par déraper en 2006, quand il admet à la radio préparer une "prise par la force" du pouvoir en Russie. Les poursuites s'engagent à Moscou, mais la Grande-Bretagne refuse d'extrader l'oligarque qui y possède le statut de réfugié.

C'est au moment où l'ascension politique de Berezvoski se brise qu'intervient la rupture avec Roman Abramovitch, qui lui se soumettra au pouvoir russe. Berezovski se sent profondément trahi par son ancien associé. Comme l'a déclaré l'avocat de Berezovski, "on peut dire que dans la vente de Sibneft, ils sont restés amis (…) jusqu'à ce que Berezovski obtienne une vaste célébrité politique en Russie, notamment grâce aux médias qu'il contrôlait, puis qu'il se dispute avec le Kremlin et soit obligé de quitter le pays".

Jouant un jeu dangereux, Berezovski n'a eu de cesse de narguer le pouvoir, n'hésitant pas à franchir la ligne rouge qui sépare affaires et politique. Au-delà du règlement de comptes avec Abramovitch, resté loyal au régime, l'intention de Berezovski ne fait pas de doute. L'exilé londonien cherche à régler ses comptes avec Vladimir Poutine sur un terrain favorable, la Grande-Bretagne, pour affaiblir politiquement ce dernier.

Car ce grand déballage de linge sale bénéficie d'un timing optimal, à quelques mois de l'élection présidentielle russe où se représentera Vladimir Poutine. Cette plongée pleine de révélations dans les sulfureuses années 1990 pouvant avoir une certaine influence sur l'état d'esprit des électeurs russes.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

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