La classe moyenne russe sort des limbes

© PhotoHugo Natowicz
Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
S'abonner
Le très probable retour de Vladimir Poutine à la présidence russe a ouvert une période de transition. Aussi prévisible que soit le résultat des prochaines élections, l'annonce a provoqué une incertitude qui s'est traduite par une série de polémiques visant le pouvoir.

Hugo Natowicz, pour RIA Novosti

Le très probable retour de Vladimir Poutine à la présidence russe a ouvert une période de transition. Aussi prévisible que soit le résultat des prochaines élections, l'annonce a provoqué une période d'incertitude qui s'est traduite par une série de polémiques visant le pouvoir.

Le premier test a été subi par le "futur ex-président" Dmitri Medvedev, lors d'une visite à la faculté de journalisme de l'Université de Moscou. L'événement a déclenché un tollé sur internet, les "vrais" étudiants affirmant avoir été évincés de la faculté au profit des jeunesses pro-Kremlin pour éviter toute question sensible. La dernière "fronde" en date a fait suite à la réouverture du théâtre Bolchoï, au terme d'une restauration spectaculaire. Sur les blogs, on affirmait alors que les places avaient été vendues à des prix exorbitants, alimentant un scandaleux marché noir.

Le service de presse présidentiel s'est à chaque fois senti contraint de démentir les rumeurs, sans convaincre. Suite à la polémique, le tandem dirigeant a mené une campagne de communication ratée, qui a eu un effet contraire à celui escompté. Un fiasco accentué par une vidéo montrant Medvedev et Poutine en train de faire une partie de badminton, qui a déclenché une avalanche de sarcasmes sur internet.

Ces querelles ne doivent pas être prises à la légère. Il y a plusieurs mois qu'une certaine frange de la population, généralement jeune, éduquée et férue d'internet, teste les nerfs du tandem dirigeant. Définir ce groupe n'a rien d'aisé, mais on peut affirmer qu'il s'agit d'une classe moyenne diffuse, de plus en plus sensible à la rhétorique contestataire.

Pour ses représentants, le retour pressenti de Poutine à la présidence constitue une déception. Les personnes de mon entourage, représentatives de cette classe moyenne moscovite qui a émergé sous la présidence de Vladimir Poutine, m'ont souvent répété regretter ne pas voir de nouveaux visages au sommet de l'Etat. Même s'il ne faut pas en déduire qu'il s'agit là de l'opinion des Russes dans leur ensemble, la situation est paradoxale: la classe moyenne, qui a profité de la stabilité de l'ère Poutine pour se consolider, échappe petit à petit à son "créateur". Déçus par le "troc" opéré au sein du tandem dirigeant, un nombre croissant de Russes se montrent ouvertement critiques à l'égard du pouvoir.

Ce scepticisme revendiqué envers les autorités n'est pas anecdotique. Il indique que la classe moyenne, caractérisée par des revenus au dessus de la moyenne, une grande activité sur Internet, et sa connaissance de la vie en Europe, se reconnaît de moins en moins dans le système politique qui gravite autour de Russie unie. C'est ce que confirme un rapport publié par le Centre des études sociales consacré aux "forces motrices et aux perspectives de la transformation politique de la Russie". Selon le document, le développement économique rapide des années 2000 a provoqué un bouleversement en profondeur de la structure sociale de l'Etat russe, changements auquel le système politique n'offre plus de réponse adéquate.

A la fin des années 1990, le gros de l'électorat était constitué par les couches modestes de la population, caractérisées par une vision du monde traditionnaliste et un grand besoin de stabilité. La crise qui déstabilisait le pays se prêtait à une rhétorique du rassemblement, permettant d'embrasser un énorme électorat avec un message univoque. La prospérité des années 2000 a changé la donne.

La classe moyenne, principalement définie par l'exercice d'une profession non manuelle et la conscience d'appartenir à une élite sociale, est passée de 15% de la population en 1990 à 30% actuellement, atteignant d'ores et déjà 40% de la population active. Elle constituera la majorité de la population en 2020. Le résultat, c'est une polarisation croissante de la vie politique russe: d'un côté un grand nombre d'électeurs attachés à la stabilité et à la continuité. De l'autre, un groupe toujours plus nombreux de citoyens lassés par la corruption et avides de nouveauté, qui veulent expérimenter et ouvrir de nouvelles voies d'évolution pour leur pays.

Face à eux, le système politique ne s'est pas adapté à cette évolution de la société russe, indique l'étude. Les tentatives de mettre en place un système bipartite en Russie, notamment avec le parti Juste cause, ont connu un échec cuisant. Comme le notent les auteurs de l'étude, c'est précisément la classe moyenne, force motrice de la modernisation, qui risque de sortir perdante du cycle électoral de 2011-2012.

Vladimir Poutine dit être conscient de ces lacunes: "Bien sûr notre système n’est pas idéal. Nous sommes au courant des remarques critiques concernant sa structure opérationnelle, le dénommé tandem (…) mais je ne sais pas s’il existe un système politique idéal", a-t-il déclaré avec les experts du club de discussion Valdaï. Reste à savoir combien de temps le système politique mis en place au début des années 2000 sera en mesure de se renouveler de l'intérieur, en se maintenant en phase avec une société changeante.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

Leçons de démocratie

Russie-Afrique: un potentiel gigantesque, mais sous-exploité

Le vin de la discorde

Avant la tempête

Les cicatrices d'un schisme

La guerre inconnue

Accommodements irraisonnés

Faut-il quitter la Russie?

Un café sans lait

Sur la route

La bataille des coquillages

Corruption: omniprésente et imperceptible

Dans les entrailles de la capitale russe

La Russie en quête d'elle-même

De troubles relations

Pédophilie: quand le scandale explose

Question d'image

Haro sur les lasers!

S'unir contre la Russie pour sauver l'euro?

La société civile cherche sa voix

Bouclier de Damoclès

Ecologie: briser les tabous!

Adieu, Crimée!

Legumen non gratus

Nouvelle bataille sur le champ de Borodino

La grogne des officiers monte d'un ton

La naissance du bipartisme russe?

La presse russe en réflexion

Vive Staline?

La crise du carburant pourrait faire tâche d'huile

Un étrange malaise sibérien

Indignation à géométrie variable

Effet domino dans le scandale des casinos

La Russie à la croisée des chemins

Scrutin test dans les régions russes

Premiers balbutiements de la police russe

L'or sucré de la Russie

Aux défenseurs de la patrie

Divagations culinaires

La Russie face aux révolutions

Plongée en eau bénite

Otages du Caucase

Où en est l'opposition russe?

Russie/UE: la levée des visas, mirage ou réalité?

Plios, une bourgade hors du temps

Toast à l'année qui s'en va

Un soupçon de guerre civile

Energie russe

Chères années 1990

Villages Poutine

La honte, ce spectre qui hante la Russie

Russie: la Silicon Valley du rire

 

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала