La campagne militaire de l’Otan en Libye est officiellement achevée, contrairement à la guerre en Libye qui pourrait connaître un nouvel élan très prochainement. La faiblesse militaire des "sponsors" de la campagne libyenne (le Royaume-Uni et la France) ne fait qu’augmenter une telle probabilité.
Une banale guerre coloniale
Peu importe comment on qualifie la campagne militaire en Libye de l’Otan, en fait du Royaume-Uni et de la France, mais cela ne changera rien au fond. Nous assistons à une banale guerre coloniale, bien connue depuis des temps immémoriaux. Evidemment, depuis, le progrès a fait beaucoup de chemin et on a assisté à des diverses opérations de coalition multinationales appelées à réunir les forces du bien dans la lutte contre le mal. Le bruit médiatique a augmenté, mais la mécanique des telles actions est restée pratiquement inchangée depuis le bon vieux temps. Seule exception, la sensibilité particulièrement accrue des "blancs" pour les pertes dans de tels conflits périphériques.
En effet, que se passait-il aux XVIII-XIX siècles? Les "puissances européennes de première classe" s’ingéraient ouvertement et brutalement dans les affaires intérieures des indigènes (elles n’allaient certainement pas se sentir gênées en face de ces barbares) en perpétrant des massacres et en poursuivant leurs buts égoïstes. Peu importe comment c’était présenté.
Mais l’impérialisme aussi ouvertement démontré par Paris et Londres n’est pas le plus intéressant dans cette affaire. Une autre chose attire bien plus notre attention: en prenant les rênes de la guerre coloniale, les Français et les Britanniques ont eu beaucoup de mal à les tenir.
Les parents pauvres des Etats-Unis
La Libye a largement montré quel fossé séparait en réalité les armées sophistiquées, telles que l’américaine, et les armées modernes européennes financées dans le contexte de restrictions budgétaires. Même si on parle de machines de guerre sérieuses, telles que l’armée britannique ou française.
Prenons un simple exemple: l’organisation de l’utilisation en combat des drones, qui sont l’un des principaux outils sur le champ de bataille contemporain. Chez les Britanniques de ce côté la situation est plus ou moins bonne grâce aux achats de matériel américain et à l’intégration au système de gestion de combat américain. Par contre chez les Français la situation est pire dans ce domaine.
En été 2008, le contingent français de la Force internationale d’assistance et de sécurité (ISAF) en Afghanistan a perdu au nord-est de Kaboul 10 soldats et plus de 20 ont été blessés suite à une attaque du convoi militaire par les talibans. La cause officielle de l’enquête sur cet incident stipulait que le convoi n’avait pas eu de couverture aérienne, mais surtout que la reconnaissance du terrain avait été très insuffisante.
Les Américains n’ont jamais été confrontés à de tels problèmes durant les opérations en Afghanistan. Et cela grâce à une large utilisation des drones intégrés au système de gestion de combat. Par contre, les Français, qui ne disposent pas de leurs propres moyens de ce niveau intégrés aux systèmes interarmées de désignation de cible et de gestion, ont été confrontés à un énorme manque d’informations de reconnaissance. Or, dans les conflits de faible intensité, une bonne reconnaissance est un facteur clé du succès.
La réparation bon marché d’un matériel bon marché
En disposant de capacités militaires similaires mais "miniaturisées" par rapport aux Etats-Unis et en orchestrant en Libye leur propre Irak "miniature", Paris et Londres ont récolté bien plus de problèmes que Washington à la première étape de sa guerre contre Saddam Hussein.
Toutefois, un grand nombre de ces problèmes ne sont pas encore passés de la catégorie de potentiels à celle de pertinents, mais il est impossible de les ignorer plus longtemps: tôt ou tard ils feront surface.
C’est la cause des événements auxquels on assiste depuis plusieurs mois, à savoir du succès des premiers bombardements auxquels ont pris part les Etats-Unis, et des longues frappes aériennes effectuées ensuite par les forces européennes, qui ont engagé pratiquement toutes leurs réserves d'armes de haute précision. La tentative de faire la guerre par la population locale interposée a connu un échec cuisant en raison de l'incapacité opérationnelle des rebelles. Puis on a assisté à un recours massif aux mercenaires (principalement des pays arabes du Golfe, tels que le Qatar), bénéficiant d’un appui aérien de l’aviation de l’Otan.
La France et le Royaume-Uni ont déclenché une guerre qu’ils maîtrisaient avec beaucoup de difficultés, même pendant la première phase, la plus active, sachant que Kadhafi résistait de manière aussi désespérée qu’incohérente. En regardant l’Irak et l’Afghanistan, et en se souvenant à quoi ressemble la résistance en Orient, on peut affirmer avec conviction que ce n’est pas la plus rude épreuve qui attend la nouvelle "Entente cordiale 2.0" franco-britannique en Afrique du Nord.
Tout ne fait que commencer
Dans les premiers rangs des structures gouvernementales embryonnaires que les rebelles ont commencé à mettre en place, on compte déjà beaucoup de personnalités bizarres liées dans le passé à la clandestinité islamiste.
Le tournant annoncé vers la charia en tant que source du droit dans une Libye autrefois laïque ne peut pas être considéré comme une catastrophe. Cependant, dans le contexte de ce qui pourrait se produire dans un avenir prévisible, cette nouveauté pourrait n’être qu’un commencement.
Les islamistes se sont toujours sentis en Afrique du Nord et au Sahel méridional (les territoires bordant le Sahara) plutôt en confiance. Notamment dans la seconde moitié des années 2000, lorsque les extrémistes, tels que le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) en Algérie, fatigués de lutter contre le régime militaire algérien têtu, se sont dispersés sur le territoire africain et ont joyeusement adhéré à Al-Qaïda, en devenant pratiquement sa principale avant-garde de résistance.
Tant que le régime centralisé de Kadhafi existait en Libye, la lutte contre la clandestinité islamiste était très efficace. Maintenant que la structure étatique est complètement en ruines et que le nouveau régime est extrêmement faible et peu légitime aux yeux de la population, l’heure de la revanche des radicaux a sonné.
Au final, Paris et Londres devront se faire à l’idée qu’un nid de partisans du "califat mondial", une base pour la préparation d’une attaque terroriste contre l’Europe, se forme à proximité de la France et de la Grande-Bretagne.
Soit les colonisateurs malchanceux devront tout de même projeter en Libye un "contingent militaire limité." Une machine de guerre et de renseignement américaine bien financée et bien mieux équipée et rodée a bien failli s’enrayer à l'étape similaire des campagnes en Afghanistan et en Irak. Mais qu’en sera-t-il en vue des restrictions budgétaires dans le contexte de la crise financière en Europe?
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction