La Tunisie après le «printemps arabe»

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Le 27 octobre dernier les résultats officiels des élections de l'Assemblée constituante tunisienne

Le 27 octobre dernier les résultats officiels des élections de l'Assemblée constituante tunisienne, ont été annoncés. Le parti islamiste Ennahba (Renaissance) a remporté la majorité de mandats (90 sur 217) en devançant le Congres pour la République (gauche nationaliste) et Ettakatol (gauche) avec respectivement 30 et 21 mandats. Le taux de participation était très important avec plus 70% d'électeurs qui se sont déplacés le 23 octobre dernier, le jour des élections. Par ailleurs, les partis politiques se sont également montrés très actifs – ils étaient une centaine à avoir participé aux élections.

Les observateurs internationaux qui ont surveillé le bon déroulement du scrutin, sont unanimes : les élections du 23 octobre sont les premières élections tunisiennes véritablement démocratiques. Cependant le nombre aussi élevé de partis politiques qui y ont pris part témoigne de la division et des tensions qui règnent depuis presque dix ans dans la société tunisienne. Il est très symbolique, qu'à la veille de l'annonce des résultats des élections en Tunisie, le Parlement européen a décerné le prix Sakharov pour la liberté de l'esprit à cinq militants du «printemps arabe». Le premier lauréat est le Tunisien Mohamed Bouazizi de Sidi Bouzid. Le 17 décembre dernier, ce jeune homme de 26 ans s'est immolé par le feu. Sa mort est devenue cette étincelle qui a mis le feu aux poudres de la révolution tunisienne, la première de la série de révolutions du «printemps arabe». En moins de trois mois de contestations antigouvernementales le président Ben Ali et sont régime policier ont a été renversés. Le chef de file d'Ennahba, qui a remporté les élections du 23 octobre, propose aux autres forces politiques du pays de conjuguer leurs efforts pour construire une «société démocratique». Et pourtant, l'orientation islamiste du parti Ennahba éveille les soupçons en Tunisie, mais surtout dans les autres pays. «C'est à cause des idées reçues sur l'islamisme qui, de l'époque de Ben Ali, était opposé régime laïque en place», est convaincu Veniamine Popov, le directeur du Centre de partenariat des civilisations de l'Institut russe des relations internationales, qui était ambassadeur russe et soviétique au Yémen, en Libye et en Tunisie.

"Le parti islamiste a en effet obtenu la majorité de voix. Il se qualifie de parti islamiste modéré, mais c'est lui qui a souffert le plus du régime de Ben Ali. Son leader a passé plus de 20 ans en exil. Des centaines de ses membres ont été jetés en prison. Le numéro deux du parti et son secrétaire général, Hamadi Jebali, dont la candidature est proposée au poste du Premier ministre, a passé 16 ans en prison", a-t-il indiqué. "La victoire des islamistes a bouleversé la société tunisienne. Des jeunes sont descendus dans les rues pour protester contre cette victoire en estimant qu'Ennahba était payé par les régimes monarchistes des Etats de la Golfe persique ce qui lui avait permis de remporter les élections. Il me semble que la majeure partie de la population tunisienne soutient les islamistes parce que ceux-ci ont souffert le plus que les autres des exactions du régime renversé. Et puis l'interdiction du parti de Ben Ali a créé une sorte de vide politique que les islamistes sont venus rapidement remplir". 

"Je suis pourtant confiant, car les dirigeants du parti et, en premier lieu, Rached Ghannouchi n'ont pas tardé à promettre de préserver tous les acquis du peuple tunisien, de former une coalition avec les partis et mouvements laïques, notamment les sociaux-démocrates, qui sont de gauche. Et ils ont aussi tenté de parvenir à un consensus en prenant des décisions politiques", poursuit Veniamine Popov. "A mon avis, il ne faut pas dramatiser la situation, car Ghannouchi et les autres dirigeants du parti promettent d'adopter un modèle turc en Tunisie. En Turquie le parti islamiste du premier ministre Erdogan est au pouvoir depuis une dizaine d'années et montre de bons résultats notamment dans le secteur économique. Par ailleurs, la Malaisie peut aussi être prise comme modèle. Ce pays a su devenir une économie forte et viable, ayant réussi de venir à bout de ses problèmes interreligieux et interconfessionnels". 

Lors de la campagne électorale, Alexeï Grigoriev a noté une participation importante de jeunes femmes, qui ont protesté contre les mouvements islamistes. La Tunisie est le premier pays arabe à avoir proclamé l'égalité des sexes.

"Effectivement, l'égalité des sexes a été proclamée en Tunisie", confirme Veniamine Popov. "Mais je crois que les islamistes tunisiens sont toutefois plus progressistes par rapport aux islamistes des autres pays. Ils ont tiré des enseignements du passé. Ghannouchi qui était en exil pendant 20 ans, est considéré comme un intellectuel, et ses opinions sont plus modérées et tolérantes que celles de la plupart de mouvements islamistes, comme les fameux «Frères musulmans». Qui vivra verra, dit-on, mais il me semble que les islamistes ne vont pas miner les fondements de la société tunisienne. Tout ce qui fait aujourd'hui partie de la vie quotidienne, tout ce qui est entré dans les mœurs ne peut plus être annulé. D'ailleurs, les dirigeants du parti Ennahba déclarent qu'ils ne vont pas revenir à la société islamiste fondée sur la charia. Certes, il est possible qu'il s'agisse d'un discours pré-électoral, mais si Ennahba décide de mettre en place un Etat exclusivement islamiste, les Tunisiens seront vite déçus. Je connais bien les Tunisiens et l'intérêt qu'ils portent à ce qu'on appelle la civilisation occidentale. Les jeunes qui ont déjà pris goût des possibilités offertes, par exemple, par l'Internet, vivent comme des jeunes gens de n'importe quel pays. Leur imposer un modèle de société islamiste fermée aux influences extérieures est dangereux et ne fera que déstabiliser la société. Il est peu probable qu'Ennahba se décide à le faire". 

Il n'y a pas très longtemps, la Tunisie était l'une des destinations les plus attractives pour les touristes russes. Quelle est l'avenir des relations russo-tunisiennes qui étaient toujours très amicales par le passé ?

"Comme j'ai déjà dit, parmi les observateurs, il y avait des observateurs russes qui ont surveillé le déroulement du scrutin en Tunisie", a répondu Véniamine Popov. "Je crois que vous allez très prochainement entendre parler de nouveaux contacts au sommet entre la Russie et la Tunisie. Et je vous assure qu'il y en aura". 

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