"Si les impérialistes américains nous attaquaient, on les rayerait de la surface du globe", est-il écrit sur une affiche près d’un immeuble à Pyongyang, la capitale nord-coréenne. J’ai essayé de m’imaginer ce qu’on doit éprouver quand on voit ce genre de slogans tous les matins.
"Vous pensez que les Etats-Unis vous attaqueront un jour?", demandais-je à Soe, l’interprète qui nous accompagnait durant notre séjour d’une semaine dans la partie asiatique de "l’axe du mal" de George W. Bush. "Qui sait, répondait-elle. Mais s’ils attaquaient, je me battrais sur le front."
Sa volonté de lutter contre les "impérialistes" m’a paru sincère. Il n’y avait personne à proximité pour nous comprendre (nous parlions en russe), et ses yeux brillaient d’une ardeur qu’il est difficile d’imiter. Si tous les Nord-coréens ressemblent à Soe, Pyongyang ne tombera pas aussi facilement que Bagdad, si, bien sûr, les Etats-Unis décidaient de s’en emparer.
Mais en Corée du Nord il est difficile d’apprendre quoi que ce soit même sur la vie quotidienne, sans parler de la volonté ou de la réticence de la population à se battre contre les forces américaines et sud-coréennes basées à seulement quelques heures de route. Toutefois la propension de la population de 24 millions d’habitants de ce pays aux cultes me faisait penser qu’une grande partie donnerait volontiers sa vie pour le Cher Guide Kim Jong Il et l’idéologie créée par son père, Kim Il Sung, connu également comme le Soleil éternel de l’humanité.
Après notre conversation avec Soe, nous sommes partis dans la zone démilitarisée (DMZ) qui sépare le Nord et le Sud. Elle a été créée en 1953 après la guerre de Corée.
La Corée du Nord est peut-être le "seul pays socialiste du monde", comme nous l’a dit notre guide, le camarade Lee, mais cela ne l'a pas empêché d’ouvrir une boutique de souvenirs de son côté de la DMZ. Les règlements ne sont acceptés qu'en devise forte, car il est strictement interdit aux étrangers d’utiliser la monnaie nord-coréenne.
J’ai choisi quelques cartes postales, puis j’ai profité de l’occasion pour photographier quelques officiers nord-coréens sur fond d’une affiche avec l’inscription "Corée unie!" et d’un pont avec un slogan appelant à l’unification du pays sans l’ingérence des puissances étrangères.
Bien que la DMZ soit l’épicentre de la plus longue confrontation militaire à grande échelle du monde, c’est un endroit très calme. Une dizaine de canards nous regardaient curieusement descendre de la voiture et partir visiter le bâtiment où a été signé l’armistice (le traité de paix n’a toujours pas été conclu). Si les Coréens arrivaient à unifier leur pays, ils devraient penser à ouvrir une maison de repos à cet endroit.
Dans le bâtiment sont fièrement présentés les drapeaux de Corée du Nord et de l’ONU, sous lesquels a eu lieu la signature de l’armistice. "Les Etats-Unis ont utilisé le drapeau de l’ONU pour camoufler leurs pertes, a déclaré un soldat. Ils n’avaient encore jamais connu la honte de la défaite et se vantaient de pouvoir gagner la guerre en quelques jours. Mais nous les avons écrasés et les écraserions une nouvelle fois s’ils osaient nous attaquer à nouveau." Il riait. Personne n’essayait de le contester quand il affirmait que le Nord avait "remporté" la guerre.
On inculque aux Nord-coréens que la guerre, qui a ruiné la péninsule et a emporté la vie de 3 millions de personnes, a été déclenchée par les Etats-Unis et le "gouvernement fantoche" du Sud. La majorité des historiens dans le monde estiment que c’est le Nord qui a déclenché la guerre lorsque Kim Il Sung avait eu le feu vert de Staline pour envahir la Corée du Sud. Après le succès initial, les troupes nord-coréennes ont été repoussées, et Pyongyang, ville dont l'histoire remonte à plus de 5.000 ans, a presque entièrement été détruite par des bombes américaines.
Il y a plus de 30 ans, le président Kim Il Sung a fait une proposition unique de réunification. Il a proposé d’unir les deux Corées en les appelant Goryeo (ou Koryo), tout en "conservant les idéologies et les systèmes sociaux existants des deux parties." La dynastie Goryeo a régné sur la Corée de 918 à 1392.
La république devait être dirigée par un "gouvernement national commun formé sur le principe de là parité et incluant des représentants du Nord et du Sud avec des obligations et des responsabilités égales." Il n’est pas étonnant que la Corée du Sud n’ait pas été enthousiasmée par cette idée.
Cependant, le camarade Lee débordait de joie lorsque j’ai demandé si la Corée du Nord croyait en la proposition de Kim Il Sung aujourd’hui. "Bien sûr, a-t-il répondu. Mais le Sud n’est pas intéressé. Ils préfèrent une réunification par la force."
Lee a également exprimé son mépris à l’égard des Etats-Unis en déclarant que le président Obama n’était "ni mieux, ni pire que George Bush." "Il ne fait rien pour les Coréens", a ajouté notre guide. En dépit de son mépris pour la politique de Washington, il a dit qu’il n’avait rien contre les Américains moyens. "Les gens sont des gens", a-t-il expliqué.
Nous nous sommes approchés de la frontière avec la Corée du Sud. On ne voyait pas de militaires sud-coréens et nous n’étions pas autorisés à visiter les bâtiments par lesquelles passait la ligne qui séparait la péninsule: ils étaient fermés en raison d'une excursion de touristes sud-coréens. "Revenez nous voir, a proposé un garde-frontière nord-coréen joyeux lorsque j’ai exprimé ma déception. Je vous le ferai visiter moi-même."
De retour à Pyongyang, je suis allé à la librairie de l’hôtel. Au milieu des ouvrages politiques et culturels des deux Kim, je suis tombé sur un livre nord-coréen pour enfants en anglais. L’histoire d’un hérisson parle d’un petit hérisson courageux et rusé, qui a vaincu un grand tigre. Il était facile de comprendre la symbolique. En face de la librairie, un dessin animé était diffusé à la télévision. Un groupe d’animaux ressemblant à de petits chats avec des fusils luttaient désespérément contre des tigres bien plus puissants. Les premiers ont finalement vaincu et se tenaient triomphalement au-dessus de l’ennemi.
Il est certainement impossible de surestimer l’impact sur la société nord-coréenne de la confrontation qui a duré un demi-siècle avec la Corée du Sud. Par tous les moyens, de la politique de "la poigne militaire" de Songun aux affiches et émissions TV omniprésentes appelant la population à être prête à une guerre, le gouvernement maintient le pays dans un état d’alerte permanent depuis les années 1950. Qui sait, quels changements apporterait une paix à long terme? Mais que ce soit une bonne ou mauvaise chose, la paix à Pyongyang semble aujourd’hui être aussi loin que l’Occident.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction