Promenade nocturne à Pyongyang

© RIA Novosti . Marc BennettsPromenade nocturne à Pyongyang
Promenade nocturne à Pyongyang - Sputnik Afrique
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Je viens de rentrer de mon voyage de 8 jours en Corée du Nord. C’était un merveilleux voyage, mais je ne suis pas convaincu que je comprends mieux qu’avant ce pays. Mais au moins j’ai mangé une pizza à Pyongyang, chose dont beaucoup ne peuvent que rêver.

Je viens de rentrer de mon voyage de 8 jours en Corée du Nord. C’était un merveilleux voyage, mais je ne suis pas convaincu que je comprends mieux qu’avant ce pays. Mais au moins j’ai mangé une pizza à Pyongyang, chose dont beaucoup ne peuvent que rêver.

En atterrissant à l’aéroport international de Pyongyang vous ne verrez aucun message d’accueil. Au lieu de cela, sur les murs du hall d’arrivée, le Grand Leader Kim Il Sung (titre acquis après sa mort en 1994) et son fils et successeur, le Cher guide Kim Jong Il, vous regardent avec une désapprobation non dissimulée. Durant la semaine on a pu les voir à satiété absolument partout.

Comme il est de coutume pour le pays le plus fermé du monde, les téléphones portables sont immédiatement confisqués aux étrangers. Toutefois, même si vous parveniez à garder votre mobile, il ne fonctionnerait pas. Il n’y a pas d’internet, bien qu’il soit possible d’envoyer un e-mail depuis l’hôtel, évidemment si vous acceptez qu'il soit lu préalablement.

Malgré l’absence de technologies modernes, les gardes-frontières ont montré leurs connaissances informatiques. "Vous avez un iPad?", a demandé l’un d’eux en examinant mes bagages. Steve Jobs pourrait être fier de lui.

Durant tout leur séjour en Corée du Nord les étrangers sont accompagnés par deux guides-surveillants. Une exception unique a été faite pour un groupe de touristes chinois qui ont récemment effectué un voyage autonome sans précédent dans certaines régions du pays. Nous avons organisé notre visite par KCNA, l’agence d’information nord-coréenne. Nous avons été accueillis par le camarade Lee et Soe, notre interprète. Durant la semaine on les voyait presque aussi souvent que les deux Kim.

Pour obtenir un visa journalistique, il m’a fallu deux mois de négociations et d’humiliations. Etant donné que les Nord-coréens n’aiment pas donner accès à l’information, beaucoup d’agences envoient leurs journalistes avec des visas touristiques. Mais j’ai entendu des rumeurs selon lesquelles les articles publiés à l’issue de tels voyages avaient des conséquences néfastes pour les guides, et pour cette raison on a décidé de jouer selon les règles.

Pendant la longue et éprouvante procédure d’obtention de l’approbation de Pyongyang, j’ai fouillé partout sur internet à la recherche d’une quelconque information sur la Corée du Nord, en avalant sans discernement les communiqués d’information, les vidéos publiées par les touristes sur YouTube et la propagande du gouvernement. Finalement, en arrivant près de la capitale, le paysage m’a semblé étrangement familier. Je me suis senti un peu triste, comme s’il ne restait plus au monde aucun secret. Or, si j'ai fait preuve d'impatience je ne puis m'en prendre qu'à moi.

Les rues de Pyongyang étaient anormalement propres. Je pense que durant la semaine je n’ai jamais vu aucun déchet, à l’exception des mégots. J’ai remarqué que les enfants s'amusaient joyeusement dans la rue sans la surveillance de leurs parents. Il y a très peu de voitures, et durant notre voyage nous nous sommes retrouvés dans un seul embouteillage (après un match de football international). Les vêtements des femmes sont plus ou moins variés, mais tous les hommes portent des uniformes noirs, gris ou vert-foncé, faisant penser à celui des militaires. Ou, s’il s’agit de fonctionnaires haut placés, ils arborent des costumes d’affaires de confection étrangère.

A première vue, la ville a semblé être un endroit sympathique pour y vivre, notamment si l'on ignore les centaines d’affiches louant Kim Il Sung, Kim Jong Il et le Parti du travail au pouvoir. Mais il faut reconnaître qu'il n'est pas évident de ne pas les voir.

Nous avons été logés dans un grand hôtel comprenant deux tours jumelles dans le centre de Pyongyang. Le Washington Times a un jour écrit qu’un grand nombre de résidents de l’hôtel étaient des trafiquants d’armes, mais durant mon séjour personne ne m’a proposé d’acheter ne serait-ce qu’une grenade. J’ai été heureux de constater qu’on ne nous installe pas à l’hôtel Yanggakdo, située sur une île, car nous n’aurions eu aucune chance de nous promener dans les rues de la capitale.

Toutefois, je ne m’attendais pas à ce qu’on me permette de me balader dans la ville sans accompagnement, indépendamment de l’hôtel dans lequel je suis descendu. Il est strictement interdit aux touristes de quitter l’hôtel sans ses guides. Généralement, ils sont véhiculés en car d’une curiosité à l’autre, puis ramenés à l’hôtel.

Toutefois, j’ai demandé s’il était possible d’aller et venir comme bon nous semble dans la limite du raisonnable.

"Pourquoi pas?, a souri le camarade Lee, en se réjouissant clairement à l’idée de nous étonner. Mais ne partez pas trop loin."

L’un des rares occidentaux qui vivent dans cette ville m’a dit plus tard qu’il n’y avait rien d’incroyable à l'autorisation accordée aux journalistes de se promener seuls, bien que cela demeure encore assez inhabituel. Selon lui, c’est un signe de confiance. C’est peut-être dû au fait que nous représentions une agence d’information russe. Ces derniers temps, les relations entre Moscou et Pyongyang se développent activement. Pendant notre séjour, les deux pays devaient ouvrir une communication ferroviaire.

En laissant nos bagages dans les chambres d’hôtel, avec ma collègue Maria nous sommes partis nous promener le soir dans Pyongyang. Les rues de la capitale nord-coréenne étaient faiblement éclairées même dans le centre-ville, et le monument aux Idées du Juche, un monument en l’honneur de l’idéologie nationale de l’autonomie, diffusait au loin un éclairage lugubre (je déteste les stéréotypes, mais c'est le seul terme qui convienne).

Plus on s’éloignait de l’hôtel, plus il faisait sombre alentour. J’étais encore impressionné de me promener dans Pyongyang sans surveillance, et les Nord-coréens qui nous croisaient l’étaient tout autant, bien qu’à chaque fois que j’arrivais à capter leur regard ils tournaient la tête.

Nous étions les seuls Européens dans les rues aussi bien ce soir-là que durant toute la semaine. Un jour, un groupe de gamins s’est enfui, effrayé par notre apparition.

Nous avons marché jusqu’à la station de métro la plus proche, un bâtiment inspiré par l’époque soviétique et orné du portrait de Kim Il Sung. "Wow", s’est exclamé un Nord-coréen un peu saoul en nous voyant.

Nous avons tourné au bout de la rue et l’hôtel a disparu de notre champ visuel. On avait l’impression de passer du côté de la face cachée de la Lune. Est-ce que nous avons réellement le droit de nous trouver ici? Peut-être avons-nous mal compris le camarade Lee?

En raison de l’isolement de la Corée du Nord, la moindre chose, même la plus anodine, devient immédiatement quelque chose de sensationnel et incite à la réflexion. Nous sommes entrés dans un magasin et avons regardé l’étal avec les fruits. Plus tard, j’ai appris que le kilo de pommes coûtait l'équivalent du salaire mensuel moyen, et que le riz était à peine moins cher. Mais c’est un secret de Polichinelle qu’il est impossible de survivre en Corée du Nord avec le salaire officiel, et les autorités n’ont pas d’autre choix que de fermer les yeux sur l’existence de marchés parallèles.

Nous nous sommes rendus dans un café. Selon l’enseigne en anglais, l’établissement s’appelait Café Pyulmori. Etrange, pensais-je. Pourquoi ont-ils une enseigne en anglais? Selon les dernières informations, il doit y avoir moins de 200 Occidentaux qui appellent Pyongyang leur maison.

Je m’attendais à ce qu’on nous dise immédiatement de partir. La communication entre les étrangers et les autochtones en Corée du Nord est très mal vue, même si vous arrivez à trouver quelqu'un de courageux prêt à discuter. Mais une autre surprise nous attendait.

Une serveuse souriante nous a conduits à une table aux sons de la chanson Let It Be des Beatles (arrangée par la Muzak). Ensuite on a entendu Frank Sinatra, et la mélodie de My Way se mariait étrangement avec les infos du soir: en ce jour Kim Jong Il a visité une usine pour donner des "directives sur place" (chose qu’il fait très souvent).

J’ai commandé une pizza. Cette année, j’ai déjà mangé une pizza sur l’avenue Poutine en Tchétchénie, mais ce café occupe certainement la première place dans la liste des lieux les plus surréalistes de la cuisine italienne. La pizza était très bonne et copieuse, avec beaucoup de fromage fondu. Nous avons réglé l’addition en dollars et sommes ressortis dans la pénombre. Lorsque la fois suivante on a tenté d’entrer dans un restaurant, un homme (j’ignore qui c’était) nous a crié quelque chose et s'est précipité pour nous empêcher d’entrer. Nous n’avons pas insisté.

Plus tard, j’ai appris que le Café Pyulmori était agréé pour recevoir les étrangers et les diplomates. Mais cela ne veut pas dire que nous y avons rencontré quelqu’un. Pendant toutes les autres visites on entendait toujours le même CD avec les classiques du rock. Pour être honnête, j’en avais marre. J’espérais qu’au moins en Corée du Nord je me reposerais des imbécillités de Lennon et de McCartney. Malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de mettre incognito Pyongyang Hardcore Resistance.

Après la pizza, nous sommes rentrés à l’hôtel et avons rejoint nos chambres. En face, les ouvriers construisaient un nouveau restaurant, dont l’ouverture est prévue pour 2012, à l'occasion du 100e anniversaire de Kim Il Sung. Nous avons vu des chantiers de construction à travers toute la ville où on travaillait 24h/24. Dans la nuit, j’ai été réveillé par le bruit du chantier. Il était trois heures du matin. J’ai regardé par la fenêtre: il y a avait de la lumière à certaines fenêtres de l’immeuble d'en face. Qui reste éveillé la nuit à Pyongyang? Que font-ils?

Je pense que je n’aurai jamais la réponse à ces questions, comme à tant d’autres qui me sont venues en Corée du Nord.

Au moment d'écrire cet article, j’étais revenu à Moscou depuis moins d’une journée. Je suis encore en train de mettre de l’ordre dans les informations recueillies et mes pensées. Je publierai d’autres articles sur la vie quotidienne en Corée du Nord, sur l’idéologie du Juche, sur le culte de Kim Il Sung et la célébration de la journée du Parti du travail, ainsi que des photos et des vidéos la semaine prochaine. Alors à bientôt pour de nouvelles histoires sur la Corée du Nord.

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