ABM: le dialogue Russie-USA compromis sans garanties de Washington

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Le refus de Washington de fournir à Moscou des garanties juridiques assurant que la défense antimissile (ABM) américaine ne vise pas la Russie pourrait conduire à terme à une nouvelle course aux armements.

Le refus de Washington de fournir à Moscou des garanties juridiques assurant que la défense antimissile (ABM) américaine ne vise pas la Russie pourrait conduire à terme à une nouvelle course aux armements. Selon les experts, les garanties offertes par les Etats-Unis risquent de rester sur le papier et le terrain du dialogue politique entre Moscou et Washington se rétrécit rapidement.

La voix d’Outre-Atlantique

Les Etats-Unis invitent la Russie à s’assurer elle-même que l’ABM américain ne la menace pas. Mercredi, au cours de son intervention au Conseil de l’Atlantique Nord, Patrick O'Reilly, chef de l'Agence américaine de défense antimissile, a proposé à la Russie d’utiliser à ces fins ses propres radars.

Par ailleurs, les Etats-Unis se disent prêts à fournir à la Russie des garanties écrites, selon lesquelles l’ABM américain ne la vise pas. Ellen Tauscher, sous-secrétaire d'État américaine au Contrôle des armements qui s’était récemment rendue à Moscou, l’a déclaré au cours de la même réunion du Conseil de l’Atlantique Nord.

"L’ABM que nous mettons en place en Europe n’est pas dirigé contre la Russie. Nous l’avons dit publiquement et au cours des négociations à huit clos à divers niveaux. Nous sommes prêts à fixer cette position sur le papier", a-t-elle déclaré.

Toutefois, la sous-secrétaire d'État américaine a tout de suite ajouté que la position "fixée sur le papier" n’aurait aucune valeur juridique. "Les Etats-Unis ne sont pas prêts à signer des documents juridiquement contraignants et refusent toute restriction dans le système ABM qui sera déployé en parallèle avec l’aggravation des menaces", a signalé Ellen Tauscher.

La Russie généreusement autorisée à utiliser ses propres radars

La proposition faite à la Russie d’observer les essais des antimissiles américains en utilisant "ses propres radars" (on entend probablement par là les systèmes russes d’alerte antimissile, ainsi que le système de contrôle de l’espace cosmique) paraît généreuse. Toutefois la Russie est à même de le faire sans l’autorisation des partenaires américains, dans la mesure où les moyens techniques le permettent.

"Cette initiative est incompréhensible: la Russie effectue déjà le monitorage des lancements de missiles par tous les moyens dont elle dispose", a déclaré à RIA Novosti le général Viktor Essine, chef de l'Etat-major principal des Troupes de missiles stratégiques russes dans les années 1990.

En fait, Washington tente de faire passer pour une concession quelque chose dont Moscou dispose déjà.

Le papier contre le fer

L’ABM de l’OTAN ne vise pas la Russie, et l’Alliance est prête à le formuler par écrit, mais pas sous la forme de garanties juridiquement contraignantes. Ainsi, la position de l’OTAN concernant les garanties de sécurité de la Russie reste immuable.

De nombreux experts militaires russes font remarquer que l’ABM actuel ne présente aucune menace pour les forces stratégiques russes. Toutefois, selon d’autres experts, il est nécessaire de tenir compte des perspectives du projet.

"Le fait que l’OTAN n’a toujours pas fourni de garanties écrites de non-utilisation de ses antimissiles contre la Russie paraît suspect", déclare Vladimir Kozine, membre du Conseil d’experts du Groupe de travail interministériel auprès de l’administration du président russe chargé de la coopération avec l’OTAN dans le domaine de l’ABM.

Selon M. Kozine, le rapport des experts de la Fédération des scientifiques américains paru en septembre 2011 démontre qu’en atteignant une efficacité de 20% l’ABM déployé par l’OTAN en Europe pourrait menacer une grande partie des arsenaux nucléaires russes, voire la majorité de ces arsenaux à condition d’être efficace à 100%.

"D’ici 2020, l’ABM américain disposera de systèmes qui seront à même de neutraliser les missiles intercontinentaux balistiques", avertit Viktor Mizine, directeur adjoint de l’Institut des recherches internationales de l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou (MGIMO). Dans un entretien accordé à RIA Novosti, l’expert a fait remarquer que la position de Dmitri Rogozine, représentant permanent russe auprès de l’OTAN, semblait indiquer que Moscou ne se penchait pas sur l’ABM actuel mais prenait en compte ses futures capacités qui le transformeraient en un réseau mondial.

"La Russie n’est pas préoccupée par l’ABM actuel mais par le système qui sera mis en place après 2015, dans le cadre des troisième et quatrième phases du plan américain", déclare Viktor Essine en faisant remarquer que les Américains refusent également de fournir des garanties concernant les éléments qui pourraient être intégrés dans l’ABM après 2020.

"L’obtention de garanties juridiquement contraignantes signifierait que les Américains édifieraient leur ABM selon une architecture qui ne menacerait pas la Russie. Dans ce cas de figure, les systèmes qui seront déployés et qui auront la capacité d’impacter le potentiel stratégique russe d’attaque, ne seront pas installés à proximité des frontières russes", estime Viktor Essine.

"Les experts militaires partent de l’estimation des capacités militaires réelles du système [ABM] et non pas des engagements couchés sur le papier", ajoute Viktor Mizine. Toutefois, cette façon de formuler le problème signifie l’abandon de déclarations politiques en faveur de l’examen des caractéristiques techniques du système ABM. Or, là on est tout de suite confronté à un autre problème du dialogue russo-américain.

Nous avons des instruments mais vous ne saurez pas lesquels

Les Etats-Unis refusent d’accepter des restrictions à l’intégration des systèmes militaires dans leur ABM. Ils ne sont pas prêts non plus à limiter leurs caractéristiques techniques.

"Des garanties écrites, même juridiquement contraignantes ne suffisent pas. On a besoin de restrictions concrètes des capacités des systèmes, estime Viktor Mizine. Les deux pays ont déjà signé les accords de New York de 1997 sur l’ABM qui fixaient les caractéristiques des missiles intercepteurs en termes de vitesses, de portée et de zone de déploiement."

Selon Viktor Mizine, en l’absence de ces accords il est impossible d’avoir la certitude absolue que l’ABM américain ne sera pas dirigé contre la Russie. "[Au cours des pourparlers], il est nécessaire de se pencher sur les caractéristiques techniques des antimissiles (qu’il est prévu d’améliorer en permanence) et de déterminer les zones de déploiement des navires faisant partie du système Aegis, ainsi que la localisation des intercepteurs terrestres", estime l’expert.

Toutefois, il est prématuré de renoncer à l’idée des déclarations politiques sur le papier: elles peuvent également servir de point d’ancrage. "S’il est impossible de s’entendre directement, il faut prendre un détour et régler le problème étape par étape", déclare Viktor Essine.

Selon les experts, même si les Etats-Unis fournissaient à la Russie des garanties politiques, cela ne lèverait pas toutes les préoccupations de Moscou, mais ces garanties permettraient aux parties de passer au règlement des questions concrètes lors des pourparlers sur l’ABM. "Par la suite, les garanties politiques devraient donner lieu à des actions pratiques, à savoir la révélation de l’architecture du système ABM et la discussion de l’utilité du déploiement de ses éléments, par exemple, en Pologne, alors qu’il s’agit de la menace iranienne", estime Viktor Essine.

On se dirige vers une impasse

Toutefois, les perspectives de dialogue sur l’architecture de l’ABM américain paraissent floues. Aucun terrain d’entente pour les pourparlers ne se profile à l’horizon.

"Je ne vois aucun moyen d’entamer une discussion sérieuse sur la mise en place de restrictions des caractéristiques techniques du système [ABM]", reconnaît Viktor Mizine. Cette discussion signifierait le début des pourparlers sur un nouveau traité ABM (pour succéder à celui qui avait été signé à Moscou en 1972). Or, l’expert doute que Washington s’engage à accomplir une telle démarche.

"L’administration de Barack Obama traverse une phase critique aussi bien aux Etats-Unis que sur l’échiquier international. Elle ne pourra donc contracter aucun engagement supplémentaire en matière de l’ABM", conclut M. Mizine.

Cette situation suscite évidemment la colère de Moscou. Au final, le gouvernement russe est déjà prêt à prendre toute une série de mesures de rétorsion symétriques et asymétriques, telles que le déploiement de nouveaux missiles stratégiques et la modernisation de ceux existants, ainsi que l’élaboration d’un projet de défense antiaérienne et spatiale à grande échelle.

En fait, les deux grandes puissances sont déjà prêtes à se lancer dans une nouvelle course aux armements.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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