Le 15 octobre 1991, quand la Diète lettone a voté la loi sur la nationalité, environ un tiers de la population du pays s’est vu refuser le passeport letton. L’octroi de la nationalité était subordonné au parcours de chaque personne. Parmi les critères qui sont pris en considération les autorités vérifiaient notamment la présence de la famille du candidat sur le territoire letton avant le mois de juin 1940. Ceux qui ne pouvaient pas en fournir les preuves ou se sont installés dans la république après cette date, ne recevaient pas la nationalité lettone. C’est ainsi que la majeure partie de la population russophone s’est retrouvée avec un statut "sans nationalité". "L’explication est fort simple: ils sont principalement venus en Lettonie après la guerre pour relever l’économie de cette république balte", affirme la juriste Jeanna Karélina.
Il y avait aussi ceux à qui on mettait un tampon rond sur le passeport. Selon l’état letton, ils n’avaient aucun lien avec la Lettonie et devaient être expulsés en Russie ou vers un autre pays, dont ils sont originaires. Cette catégorie comprenait principalement les militaires et les membres de leurs familles. Plus tard, en 1993, la loi sur le statut des ex-citoyens de l’URSS qui n’avaient la nationalité d’aucun autre pays, a été adoptée. Les "non citoyens" étaient donc tous des citoyens de l’ex-URSS.
"En même temps, le statut d’apatride, tel qu’il figure dans le droit international, n’a pas été reconnu pour les non citoyens, parce la reconnaissance de l’apatride pourrait susciter des interrogations chez la communauté internationale au moment même, ou la Lettonie cherchait à obtenir le droit d’adhésion à l’UE", analyse Jeanna Karélina.
Cette situation irait bien entendu à l’encontre des intérêts de l’état letton et entraînerait de nombreuses sanctions de la part des organisations internationales, car il est absolument illogique d’avoir un tiers d’apatrides dans la population d'un pays candidat à l'UE. D’autant plus qu’il ne s’agissait pas des réfugiés ayant reçu le droit d’asile politique, mais des personnes nées en Lettonie et ayant des liens avec ce pays. Cela pourrait créer de nombreux problèmes pour le pays lui-même, qui a fini par choisir le statut de non-citoyens à la place d’apatride. Le passeport délivré aux non-citoyens porte l'inscription alien, ce qui signifie «étranger» voire même «extraterrestre» en anglais. Cette figure juridique cocasse n’existe aujourd’hui que dans deux état baltes, à savoir la Lettonie et l’Estonie.
Il y a actuellement en Lettonie plus de 315.000 non citoyens, qui sont privés de possibilité de prendre part à la vie politique du pays, n'ayant pas le droit de voter, tandis que tout citoyen de l’UE venu en Lettonie chez des amis a le droit de participer aux élections locales s'il reste dans le pays plus de trois mois. La situation d’inégalité avec les citoyens lettons est également légiférée dans d’autres domaines, précise Jeanna Karélina. "Il existe plus d’une centaine de différences. C’est une liste très longue qui renferme non seulement le refus du droit de vote et le déni des droits et obligations civiles mais, mais en plus tout un foisonnement d'interdits professionnels. Par exemple, le non citoyen ne peut pas être un juriste pratiquant, travailler dans la police ou occuper un poste dans la fonction publique. Il existe des limitations absolument absurdes, qui n'ont aucune explication, comme l’interdiction d’être pharmacien".
Une fois que le statut de non citoyen a été introduit, la Lettonie est devenue l’objectif de prédilection de nombreux experts internationaux. Ils appelaient tous l’état letton à se tourner vers leurs résidents permanents avec le statut de non citoyens. Mais on leur répondait chaque fois que ceux-ci n'avaient qu'à se naturaliser, c’est-à-dire passer par la procédure d’acquisition de nationalité.
"Oui, cette procédure existe réellement mais il faut surmonter pas mal de problèmes pour y être admis. Certains candidats ont des revenus tellement modestes qu’ils ne peuvent pas se permettre de verser les droits nécessaires", affirme Jeanna Karélina. "Il faut en outre apprendre la langue et l’histoire du pays et fréquenter des cours spéciaux. Il y a des personnes âgées qui sont incapables d’apprendre le letton et le maîtriser à un bon niveau, surtout si elles ne le parlaient pas avant. Il y a aussi ceux qui ne veulent pas passer l’examen en histoire pour des raisons de principe parce qu’ils ne sont pas d’accord avec la conception historique officielle. Cela concerne, par exemple, l’occupation de la Lettonie à l’époque soviétique prônée par les autorités. Il va de soi que ces candidats seront recalés à l’examen".
A veille du vingtième anniversaire de l’introduction du statut de non citoyen, le parti «Pour les droits de l’homme dans une Lettonie unie» a commencé le recueil de signatures pour la tenue du référendum sur l’octroi de nationalité à tous les habitants du pays.