« Les bottes de feutre sont le symbole d’une Russie authentique à l’âme généreuse et aux étendues sans fin » - peut-on lire au-dessus de la porte du musée des « Bottes de feutre russes » à Moscou. Le musée est très petit mais n’en possède pas moins une collection vraiment surprenante des chaussures traditionnelles russes.
Les valenki (mot russe pour les bottes de feutre) font depuis toujours partie intégrante du constume national, du mode de vie, de l’hiver et même du caractère tout ce qu’il y a de plus russe.
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Les dictons et proverbes dans le genre « Simple comme une botte de feutre », « Se donner les allures d’une botte de feutre », « Obtenir par le péage ou le foulage », sont à tout jamais entrés dans le vocubulaire russe. Il faut parfois expliquer à l’homme moderne la signification de ces expressions et leur origine même s’il maîtrise le russe comme sa langue maternelle.
Les bottes de feutre sont des chaussures confortables et possédant des vertus curatives. Faites de pure laine de mouton et foulées avec amour par le maître artisan, elles procurent à celui qui les porte la force et la sérénité.
Ces chaussures uniques sans commencement et sans fin, lisses et sans couture, ont été à l’honneur dans toutes les classes de la société russe.
Le musée des « Valenki russes » est unique en son genre à Moscou. Il permet d’apprendre bien des choses nouvelles sur la chose aussi banale et d’en mesurer l’importance. Les modèles des bottes exposés au musée, depuis la botte brodée de la fin du XIXème siècle jusqu’aux valenki que portaient les sportifs russes aux Jeux Olympiques de 2002, font apparaître la plus grande diversité. Les visiteurs s’initient aux techniques et outils de foulage et de pétrissage à main ainsi qu’ aux étapes de fabrication industrielles des chaussures de feutre en visionnant un film vidéo qui montre la naissance du produit fini au départ d’une balle de laine de mouton.
Les valenki ont plus d’une fois rendu de précieux services aux Russes au cours de leur histoire tourmentée. La mise en valeur des régions du Nord et les expéditions vers les pôles Nord et Sud seraient impossibles à défaut de bottes de feutre.
Diaporama: Bottes de feutre russes: 300 ans de gloire
Ces chaussures sont en train de revenir dans la quotidien des citadins et les stylistes s’en emparent dans leur création. Le musée montre la fantaisie débordante des artistes appliquée aux valenki.
Le musée a pour mission de rappeler aux gens que nos ancêtres savaient prendre à la nature ce qui leur revenait de droit sans nuire pour autant à l’environnement.
Il veille à la préservation et au renouvellement de sa collection et se livre en même temps au travail d’éducation et d’initiation des enfants aux traditions laborieuses et festives slaves dans les formes les plus diverses.
L’enfant qui manie la toison de mouton, sent le poids de la marmite dans la fourche et se parade dans les bottes de feutre ornées et a l’impression de revivre le passé. Les divers concours font renaître chez les enfants l’intérêt pour la culture nationale. D’autre part, la pratique des métiers traditionnels procure une joie particulière qui est celle de création et de communion. Voici le commentaire laissé par un visiteur dans le livre d’or du musée : « Les valenki sont tout ce qu’il y a de plus profondément russe. Les préserver revient à préserver la culture russe dans son ensemble ». On peut dire qu’on y la même sensation de chaleur et de confort que procurent les valenki.
Fondé par une société de Moscou, le musée et ses collections sont autant une marque d’amour et d’affection qu’un de ses dirigeants porte à l’ancien métier de foulage. La création du musée relève entièrement d’une initiative privée. Or, on sait que toute bonne action se fonde sur l’intérêt individuel.
Le musée a ouvert ses portes en décembre 2001 en offrant à ses premiers visiteurs une véritable fête à la russe. Ils étaient accueillis à l’entrée par un ours qui dansait avec une paire de valenki entre les pattes, alors que les artistes d’un groupe foklorique chantaient des couplets populaires et menaient des rondes au plus grand plaisir du public. Le musée a acquis en dix ans une grande popularité grâce à ses activités les plus diverses qui ravivent l’intérêt que les gens portent à leur culture nationale. Le nombre de visiteurs varie entre 10 et 120 persones par jour et une trentaine de visites guidées sont organisées tous les mois.
Le foulage du feutre est depuis longtemps pratiqué par les nomades des steppes eurasiennes et les éleveurs du Tibet, du Pamir, de l’Altaï, des Carpates, du Caucase, des Balkans et d’Asie Mineure (Iran, Afghanistan). Les articles en feutre (tapis et arçons de selles) les plus anciens proviennent des tumulus de Pazyryk et datent des VI-V èmes siècles avant JC.
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Le feutre est principalement fabriqué à base de toison de mouton en ajoutant de petites quantités de poils d’agneau, de chameau et de chèvre et de poils de gros bétail à cornes cueillis au moment de mue. Le feutre de laine des moutons tondus en automne est particulièrement prisé par les nomades, alors que la toison des moutons tondus en été est de qualité inférieure.
Le foulage du feutre se décompose en plusieurs opérations successives: la laine est d’abord fouettée avec une barre spéciale ( de préférence par un temps sec et ensoleillé pour que la laine ne prenne pas d’humidité), elle est ensuite aspergée d’eau ou de petit-lait pour compacter la masse, enroulée sur un rouleau de bois ou à l’aide d’une corde, recouverte de cuir, de tissus ou de natte. Le rouleau ainsi obtenu est soit foulé par terre et remoqué par deux cavaliers (10 à 15 fois en moyenne sur la distance d’un km) ou manuellement, en les faisant passer entre deux équipes. Il est périodiquement déroulé pour constater les défauts éventuels et les réparer. On obtient de cette façon de gros morceaux de feutre (5x5 ou 4x4 m) utilisés pour recouvrir les différentes parties du yourte. Les petites pièces servant à fabriquer des ustensiles de maison et des chaussures, sont tout simplement fouettés et foulés à la main.
Le foulage commençait au début d’automne par un groupe de parents ou de voisins, le début et la fin étant marqués par un repas commun.
Les nomades eurasiens utilisaient le feutre pour fabriquer les revêtements des yourtes, les vêtements (douillettes, garnitures de selles, chaussons pour bottes de cuir), articles d’intérieur (oreillers, tapisseries, nattes), ustensiles (sacs pour conserver le thé, la petite vaisselle et autres menus objets, couches pour les veaux bébés, éléments du harnais ( selles, housses, gros sacs pour le transport de marchandises etc.) A leur tour, les éleveurs du Caucase, d’Asie Centrale, des Carpates et des Balkans, confectionnait des tapis, des capes et des couvre-chefs pour hommes en feutre. Le feutre était également utilisé à des fins militaires à place des cottes de mailles ou comme garniture de casque. On en faisait aussi des housses pour les pommeaux de sabres et on en recouvrait le haut des murailles pour arrêter les flèches. Les ouvrages de fortification construits sur les sols salés était tapissés de feutre pour éviter leur érosion par le sel. Le feutre avait ses applications en forgerie et en médecine ( pour fixer les os fracturés) etc.
Le feutre est naturellement blanc, gris, noir, brun ou tacheté. Il peut être ornementé de diverses façons: avec des morceaux de cuir ou de tissus de couleur ou de broderies faites de fils multicolores (Asie Centrale). Il pouvait aussi recevoir une coloration, comme au Caucase et en Asie Centrale.
Le feutre blanc était utilisé dans certaines cérémonies de nature sacrale: pour lever dans l’air le grand khan nouvellement élu chez les Mongols et les Kazakhes, faire asseoir les jeunes mariés lors du rite nuptial et recouvrir le lieu d’inhumation chez les Mongols.
L’usage des objets en feutre (chaussures, chapeaux, sacs, housses de cheval) s’est largement répandu chez la population agricole sédentaire au-delà des régions traditionnelles des éleveurs nomades. De nombreux pays ont lancé la production industrielle de feutre fin utilisé tant en industrie légère que chimique. L’Europe a apporté des améliorations à la production artisanale du feutre, notamment en utilisant depuis l’antiquité la technique de laminage servant à le compacter. Les fouleurs roumains ont même inventé un dispositif de leur cru sous forme de grosses cuves faites de planches où le compactage se fait à l’eau en utilsant le principe du vortex.
Le feutre a de nombreuses applications dans la culture contemporaine: travaux de construction, industrie, musique etc. Ce matériau obtenu par foulage à sec ou humide est très plastique et offre de ce fait de nombreuses possibilités créatrices. Il permet, par exemple, de faire des sculptures, des objets d’intérieur et des vêtements.
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Le musée des « Valenki russes » de Moscou propose aux visiteurs une exposition aussi vaste que variée qui comprend en plus de bottes fabriquées par le procédé traditionnel, des articles décorés par des artistes ou foulés par les enfants qui fréquentent son studio de création artistique. On peut y voir des articles finement ouvragés par les artistes qui préfèrent ce matériau souple qui se laisse facilement façonner. L’exposition est unique en son genre. Si vous venez un jour à Moscou, n’hésitez pas à visiter ce musée qui vaut ceux qui font connaître à leurs visiteurs les arts et métiers russes traditionnels.