Les projets contradictoires de l’ex-ministre russe des Finances

© RIA Novosti . Sergey Guneev / Accéder à la base multimédiaAlexeï Koudrine
Alexeï Koudrine - Sputnik Afrique
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La liste des mérites d’Alexeï Koudrine inclut le remboursement anticipé des dettes envers le Club de Paris, la création du Fonds de stabilisation, la réforme fiscale en 2000-2001, notamment l’annulation de l’échelle progressive d'imposition sur le revenu des personnes physiques et l’instauration de l’impôt à taux fixe, la diminution de la TVA de 20% à 18% et l’abrogation de la taxe de 5% sur les ventes.

Mardi, Anton Silouanov, vice-ministre russe des Finances, a été nommé au poste de ministre des Finances par intérim. Le nouveau ministre intérimaire est plutôt connu des spécialistes et ne sera très probablement qu’un figurant, et c’est la principale différence entre lui et Alexeï Koudrine qui a été limogé. Actuellement, le travail de l’ex-ministre est évalué différemment: les projets approuvés par certains experts sont durement critiqués par d’autres. D’autant plus que les deux camps étayent leurs idées par des arguments économiques tangibles.

Comment Koudrine n’est pas devenu Serge Witte
La liste des mérites d’Alexeï Koudrine inclut le remboursement anticipé des dettes envers le Club de Paris, la création du Fonds de stabilisation, la réforme fiscale en 2000-2001, notamment l’annulation de l’échelle progressive d'imposition sur le revenu des personnes physiques et l’instauration de l’impôt à taux fixe, la diminution de la TVA de 20% à 18% et l’abrogation de la taxe de 5% sur les ventes.

Mais il faut comprendre que le remboursement de la dette extérieure et la création d’un fonds de réserve sont des éléments d’une discipline budgétaire stricte, la lutte pour laquelle est devenue la principale caractéristique d’Alexeï Koudrine au poste de ministre des Finances.

"Koudrine était parfaitement conscient de la nécessité d’avoir un budget équilibré, déclare Viatcheslav Sentchagov, directeur du Centre d’études financières et bancaires de l’Institut d’économie de l'Académie des sciences de Russie. Cela met en évidence son potentiel de gestionnaire, car il fallait résister aux nombreuses tentatives des lobbys d’augmenter les dépenses."

Toutefois, on reproche précisément à Alexeï Koudrine le fait que la lutte pour la discipline budgétaire et la stérilisation de l’argent dans le Fonds de réserve ne permettait pas d’utiliser l’argent, obtenu grâce à la conjoncture favorable sur les marchés des matières premières, pour stimuler le secteur réel. "Il avait une perception quelque peu étroite des buts de l’équilibre économique, et estimait que s’il équilibrait le budget, cela conduirait automatiquement à l’équilibre de l’économie tout entière, explique Viatcheslav Sentchagov. C’est la différence entre Koudrine et Serge Witte (ministre russe des Finances sous les règnes des empereurs Alexandre III et Nicolas II - ndlr) qui était conscient que les finances ne sont qu’une partie de l’économie, et qu’il faut créer des outils de stimulation du développement tout en assurant l’équilibre budgétaire."

La non-injection des fonds budgétaires dans l’économie a conduit, selon l’expert, à la détérioration de l’infrastructure, au vieillissement de l’actif corporel dans les secteurs clés tels que l’industrie machine-outil, sans laquelle la mise à niveau technique, l’industrialisation et la modernisation sont impossibles.

Economiser ou dépenser

La question de l’utilité des investissements de l’Etat dans l’économie est discutable. "On accusait toujours Koudrine de mal gérer le développement de l’économie russe, de ne pas avoir suffisamment investi, en disant que la politique budgétaire devait s'en charger, déclare Evgueni Iassine du Haut Collègue d’économie. Je dois dire que la politique budgétaire ne doit aucunement assumer ce rôle, car il existe des institutions spéciales de développement, par exemple la banque publique russe Vnechekonombank (VEB)."

Selon Evgueni Iassine, l’économie doit se développer grâce aux investissements privés, et les investissements de l’Etat doivent être dérisoires et liés "seulement à des obligations publiques." Une politique budgétaire généreuse pourrait conduire à un excès de fonds sur le marché qui ne seraient pas demandés. Dans ce cas la hausse de l’inflation serait le principal résultat de l’activité financière de l’Etat.

Alexeï Koudrine a préféré utiliser le surplus des revenus pétroliers pour régler une question douloureuse de la Russie postsoviétique: le remboursement de l'immense dette extérieure. Au début des années 1990 cette dette était supérieure à 100% du PIB, mais elle a commencé à se réduire rapidement depuis le début des années 2000 grâce à l’augmentation des prix du pétrole.

En 2006, le gouvernement russe a alloué plus de 21 milliards de dollars au remboursement anticipé de la dette contractée envers le Club de Paris, et dès lors la Russie a l’une des dettes souveraines les plus basses dans le monde. "Actuellement, le classement de la Russie dans l’économie mondiale se maintient principalement grâce à la faible dette extérieure", explique Evgueni Iassine.

Le second moyen pour retirer l’argent excédentaire de l’économie nationale a été la création du Fonds de stabilisation, qui a été divisé en 2008 en deux structures: le Fonds de réserve et le Fonds du bien-être national.

"Initialement, c’était une idée d’Andreï Illarionov (ancien conseiller pour les affaires économiques de Vladimir Poutine - ndlr), mais Alexeï Koudrine a réussi à convaincre qu’il fallait le faire", explique Sergueï Gouriïev de la Nouvelle école d’économie. Selon lui, cela a aidé la Russie à surmonter la crise en évitant des pertes catastrophiques.

L’importance des réserves de l’Etat
Cependant, le ministre des Finances a également été critiqué pour la création du Fonds de stabilisation. "Koudrine a investi dans les pays étrangers tous les revenus du pétrole et du gaz obtenus grâce à la conjoncture économique très favorable. C’est probablement la raison pour laquelle il y a été reconnu en tant que meilleur ministre des Finances, a déclaré à RIA Novosti Oksana Dmitrieva, membre du comité pour le budget et les impôts de la Douma (chambre basse du parlement russe). Le fait est qu’une importante partie de l’argent du Fonds de réserve est placée sous la forme de titres européens et américains."

Cette affirmation est discutable. La majorité des économistes s’accordent à dire que l’Etat doit avoir des réserves. La question est de connaître leur montant. "Souvent, les réserves russes dépassaient beaucoup d’indices macroéconomiques", affirme Viatcheslav Sentchagov. L’accumulation d’importantes sommes dans les réserves empêchait d’utiliser les ressources de l’Etat pour la mise à niveau technique.

De plus, selon Igor Nikolaïev, directeur du département d’analyse stratégique de la société FBK, les grandes réserves soumettaient les fonctionnaires à la tentation d’accroître les dépenses sociales et militaires, auxquelles s’opposaient justement Alexeï Koudrine.

Mais les investissements de l’Etat sont-ils aussi néfastes pour l’économie? Rappelons que le capital de l’Etat a été la base de la croissance rapide des économies des pays d’Asie tels que le Japon, la Corée du Sud et Taïwan. L’Etat, obligé de compenser la pénurie du capital privé, investissait dans les secteurs clés qui devenaient ensuite une locomotive pour l’économie.

Les experts rappellent que le développement de l’infrastructure est pratiquement toujours à la charge de l’Etat. L’argent investi dans les routes, les ponts et les voies de communication, d’une part, donne un bon effet multiplicateur, d’autre part, ne contribue pas trop à l’inflation.

Selon Evgueni Gavrilenkov, directeur de Troïka Dialog, la politique budgétaire stricte du ministre des Finances n’excluait pas les dépenses excessives pour la bureaucratie et le soutien des entreprises inefficaces, ce qui a finalement augmenté la dépendance du budget russe du pétrole et a créé un environnement macroéconomique défavorable qui effraye les investisseurs potentiels.

Bien sûr, il existe un argument contre les investissements de l’Etat dans l’économie fondé sur la spécificité de la Russie contemporaine. L’argent accumulé dans le Fonds de réserve restera et même augmentera. "Or, si on le dépense pour investir en Russie, il ne faut pas oublier que 1 km d’autoroute en Russie coûte 10-15 millions de dollars, dont la moitié sera volée, explique Evgueni Iassine. Et cela dans le meilleur des cas. Tandis qu’en Europe il coûte 2,5 millions de dollars."

Mais cette question dépend de la qualité des administrations publiques. Si on ne la règle pas, l’argent budgétaire et privé partira en fumée. Ce sera le désordre et les investisseurs privés (à l’exception des spéculateurs boursiers) n’investiront pas dans l’économie russe.


L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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