La grande nouvelle de la semaine est le dénouement de l’intrigue présidentielle russe, intrigue enfin résolue pendant le 12ème congrès du parti Russie Unie, qui s’est tenu les 23 et 24 septembre à Moscou. Alors que le pays se prépare à des élections législatives en décembre prochain, et à une élection présidentielle en mars 2012, le suspense était resté fort: lequel des deux supposés prétendants au trône, Dimitri Medvedev ou Vladimir Poutine, allait on voir se présenter. L’intrigue a provoqué beaucoup de suppositions. Des commentateurs avaient même décelé une certaine tension entre les deux hommes. Dimitri Medvedev nous disait-on était de toute façon "plus libéral" et "plus moderne" et donc bien mieux disposé à l’égard de l’ouest. Influencé par un entourage plus souple, celui-ci aurait pu/du imposer sa candidature en prenant ainsi de cours Vladimir Poutine, et contraindre ce dernier soit à accepter cet affront, soit à se présenter contre son poulain, faisant ainsi exploser l'unité du tandem.
Les tensions entre les deux hommes s'étaient soit disant manifestées sur des dossiers de politique extérieure, notamment la Libye. Pour beaucoup, le clan Medvedev serait à l'origine du lâchage de Kadhafi, alors que les "Poutiniens" regrettaient de ne pouvoir s'opposer à l'ouest impérialiste. Tout cela s’est pourtant avéré faux. L’énigme est résolue, le tandem n’a pas explosé, et il n’a même pour ainsi dire jamais paru plus solide. En mai dernier, dans une précédente tribune intitulée "Vladimir ou Dimitri", j'avais expliqué que le scénario de la brouille entre les deux hommes était improbable et que les tensions concernaient sans doute plus probablement leurs entourages respectifs.
Il est en effet bien clair pour tout analyste lucide que l'amitié et la confiance politique entre les deux hommes est forte et ancienne. Beaucoup ont oublié qu'il y a 11 ans, en 2000, c'était déjà Dimitri Medvedev qui dirigeait le comité électoral de Vladimir Poutine, pour sa toute première élection présidentielle. Il est vrai que l’analyse était difficile à cause de la multiplication des rumeurs et des hypothèses. Récemment encore, des intellectuels libéraux proches de Medvedev, comme par exemple Igor Iourgens de l’institut Insor ne faisaient pas mystère de leurs opinions: Dimitri Medvedev avait déjà pris la décision de se représenter, et une ré-élection de Vladimir Poutine était "ce qui pouvait arriver de pire pour le pays". L’opposition libérale a tenu le même discours après ce retour annoncé de Vladimir Poutine à la tête de la Russie. Ce retour ne fait pas que des heureux, même au sein de Russie Unie. C’est le cas par exemple pour Arkadi Dvorkovitch, adjoint du président Medvedev, qui a affirmé qu’il n’y avait "aucune raison de se réjouir" du retour de Poutine. Il assurait aussi récemment que Dimitri Medvedev avait déjà décidé de briguer un second mandat présidentiel, preuve que l’information n’avait pas filtré même dans les cercles les plus proches du pouvoir, et preuve aussi que la liberté de ton au sein de Russie Unie est importante. A contrario, le ministre des finances actuel, Alexei Koudrine, réputé proche de Vladimir Poutine, à affirmé qu’il refusait de travailler dans un futur gouvernement Medvedev, reprochant à ce dernier d’être trop dépensier et de vouloir trop gonfler le budget militaire (à 3% du PIB). Celui-ci a donc été démissionné par le président Medvedev.
D’autres enfin pensaient à l'émergence organisée en sous main d'un troisième homme: Le milliardaire Michael Prokhorov, que certains ont surnommé "le golden boy". Celui ci se présentait en effet comme un candidat à la fois anti-corruption et libéral mais sans excès. C’est un homme d'affaire talentueux à l'origine par exemple du projet industriel e-mobile. On a imaginé qu’il était un projet du Kremlin (initié par le cercle de Medvedev) destiné à ancrer un "bipartisme politique" en Russie, et ainsi tempérer le quasi monopole de Russie unie. Pourtant l'illusion n'a pas duré, Michael Prokhorov a été démis de ses fonctions de dirigeant du parti Pravoe Delo qu'il avait créé. Il n’a cependant pas exclu de se présenter aux élections présidentielles et par la même il enlève toute possibilité à un éventuel courant libéral, de pouvoir espérer des résultats conséquents, tant cette opposition libérale de droite est divisée et politiquement peu consistante.
Le retour de Vladimir Poutine comme président avec vraisemblablement Dimitri Medvedev comme premier ministre est un scénario qui était prévu de longue date d’après les dires de ce dernier. Au final, cet accord traduit la solidité du tandem, et rassure la grande majorité des russes, contrairement à ce que pense une majorité d’analystes étrangers. L’inversion des rôles, couplée à la création du nouveau front populaire devrait sans doute permettre à Russie Unie de garder une courte majorité aux législatives de décembre, la popularité toujours très élevée de Vladimir Poutine l’assurant sans doute de gagner la présidentielle de 2012 sans encombre. Celui-ci sera donc sans doute président de la fédération de Russie de 2012 à 2018. En 2018, il aura théoriquement régné 14 ans, soit autant que François Mitterrand en France (1981 - 1995).
Alors que la situation économique semble se dégrader en Europe et aux Etats-Unis et que le monde devient plus incertain que jamais, la possibilité pour la Russie de garder un "homme fort" aux commandes est sans doute un privilège enviable pour beaucoup de pays européens.
Cette tribune est la suite de la tribune "Vladimir ou Dimitri".
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.
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* Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".