Pendant des décennies les danseurs de Russie et d’URSS partaient en Occident en troquant le ballet de Moscou et de Saint-Pétersbourg pour un ballet américain ou britannique. Cette saison au Bolchoï débute de manière inattendue: pour la première fois un artiste de l'American Ballet Theater (ABT), David Holberg, se produira en tant que danseur étoile dans la troupe russe à l’inauguration fin octobre du bâtiment restauré du Bolchoï, sur sa scène historique.
A une époque le label "ballet soviétique" était autant coté à l’étranger que les Spoutniks. Pendant des décennies l’art du ballet russe a cultivé des talents destinés au monde entier. Les rescapés du paradis chorégraphique soviétique – Rudolf Noureev en 1961, Mikhaïl Barychnikov en 1974 et Alexandre Godounov en 1979 – ont été accueillis à l’étranger comme des artistes talentueux dignes des meilleurs rôles.
Par ailleurs, dans les années 1980 Barychnikov était directeur et chorégraphe d’ABT, et son influence sur le ballet américain a été immense. Nina Ananiachvili, la star du Bolchoï, est devenue en 1993 danseuse étoile à ABT également.
A quelle influence sur le Bolchoï doit-on s’attendre de la part de l’américain David Holberg, âgé de 29 ans, qui dansera début novembre dans Giselle d’Adolphe Adam puis dans la Belle au bois dormant de Tchaïkovski et d’autres ballets connus du Bolchoï?
Holberg exploitera la mine d'or du Bolchoï
On juge un théâtre selon ses danseurs et danseuses étoiles. A son époque, le ballet soviétique était jugé selon les artistes formés par Iouri Grigorovitch, à savoir selon Vladimir Vassiliev, Ekaterina Maximova, Natalia Bessmertnova, Mikhaïl Lavrovski et Maris Liepa. Et le directeur artistique actuel du Bolchoï, Sergueï Filine, souligne à son tour: "Le théâtre, ce sont les gens."
D’après les prestations de Holberg au Bolchoï et au théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg en 2008-2011en tant qu’invité, il est connu comme un virtuose, un prince et un exécutant des parties romantiques. De tels "lyriques" chorégraphiques avec une technique irréprochable ne sont pas nombreux. Sergueï Filine avait à son époque la même réputation.
D’ailleurs c’est Sergueï Filine qui a invité le danseur d’ABT à travailler au Bolchoï en tant que danseur étoile. Alexeï Ratmanski, l’ancien directeur du Bolchoï, a fait participer David Holberg à Casse-noisette en 2010 à ABT. Cette année, lors du festival du ballet Mariinski, Holberg a dansé la partie de Siegfried dans Le Lac des Cygnes.
De son expérience de production sur les scènes russes, David Holberg a fait une conclusion flatteuse mais en même temps banale. Le danseur fait remarquer qu’en Russie le ballet est considéré comme un "grand art."
Toutefois, cette conclusion coule de source quand on étudie l’histoire du ballet russe et que l'on regarde les enregistrements des spectacles. Et même aujourd’hui, lorsque l’ancienne école s’en va progressivement en cédant sous la pression de nouvelles inventions chorégraphiques, le Bolchoï est toujours considéré comme une mine d’or qu’il est encore possible d’exploiter et de développer.
David Holberg promet de respecter les traditions du ballet russe. Cette position est très avisée. Depuis les dix dernières années le Bolchoï expérimente beaucoup, et le public russe n’accepte pas toujours les mises en scène trop extravagantes, acrobatiques et flamboyantes.
C’était le cas en septembre 2010 lorsque le chorégraphe français Angelin Preljocaj a mis en scène au Bolchoï Création 2010. L’idée du spectacle avait été grandiose: montrer la création du monde et l’Apocalypse. Or, les critiques et beaucoup de spectateurs se sont dits stupéfaits par la pantomime floue qui tombait en morceaux et était souvent dénuée d'émotion. Il existe également d’autres avis: le public russe est trop conservateur pour percevoir correctement un spectacle novateur avec une technique de danse originale. Mais ce n’est pas une question de technique, mais plutôt de la proximité émotionnelle du spectacle avec le public. Et la question de savoir est si ces émotions existent, ou que l’expression du spectacle se limite aux gestes.
Ce sera encore mieux
Pour revenir à David Holberg, il faut dire que la technique n’est pas son seul atout. En tout cas, les critiques n’ont jamais qualifié son travail d’inexpressif et de mécanique.
Le Bolchoï continue à explorer l’héritage de George Balanchine. Cette saison, hormis les Rubis, il présentera les Emeraudes et les Diamants, deux autres parties du triptyque Les Joyaux de Balanchine. Le nouveau danseur étoile Holberg pourrait jouer un rôle dans l’exploration par le Bolchoï des richesses du chorégraphe russo-américain.
Il a dansé plusieurs ballets de Balanchine en un acte, ainsi que ceux de Frederick Ashton, William Forsythe, Twyla Tharp et d’autres célèbres chorégraphes. Les artistes du Bolchoï reconnaissaient à plusieurs reprises qu’ils avaient des difficultés à s’adapter aux chorégraphies de Balanchine. Dans ce sens Holberg pourrait prétendre au rôle de consultant pour partager son expérience avec ses nouveaux collègues.
Récemment, pendant le rassemblement de la troupe du Bolchoï, en discutant avec ses collègues Sergueï Filine a fait remarquer: "On me demande souvent si le théâtre restera le même qu’avant. En vous regardant tous, je pense qu’il sera mieux."
C’est une déclaration prometteuse, notamment sachant que la scène historique sera inaugurée officiellement le 28 octobre. Actuellement, le théâtre vit une vie infernale en se préparant à revoir son public. Et le public croit qu’il sera agréablement surpris durant cette nouvelle saison.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction
