Une brusque aggravation des relations entre Bruxelles et la Turquie, l’un des pays candidats officiels à l’adhésion à l’Union Européenne, vient s’ajouter aux problèmes économiques et financiers de l’UE. Le vice-Premier ministre turc Besir Atalay a menacé qu’Ankara allait « geler tous ses rapports avec l’UE », si la présidence tournante de celle-ci passe en juillet 2012 à Chypre. La situation est analysée par notre observateur Petr Iskenderov.
A première vue le nouveau conflit n’a pas de motif sérieux. Il reste encore près d’un an jusqu’à la présidence chypriote de l’UE, et en outre les fonctionnaires européens vont-ils à peine revoir les plans de rotation pour faire plaisir à l’un des pays candidats. Dans le règlement chypriote il ne s’est produit non plus ces semaines rien de tel qui pourrait expliquer l’ultimatum turc.
C’est dans le domaine géopolitique qu’il faut aller chercher les causes de récents développements. Chypre, dont le gouvernement n’est pas reconnu par Ankara, comme la Turquie, montre un regain d’activités en matière de mise en valeur des gisements d’hydrocarbures du plateau continental. Ainsi le président de Chypre Dimitris Christofias a annoncé la décision du gouvernement du pays d’effectuer à titre d’essai un forage sur le plateau continental « dans les limites de sa zone économique exclusive » déjà dans la première quinzaine d’octobre. Ankara a réagi en déclarant l’intention de procéder à une démarcation du plateau continental conjointement avec la « République turque de Chypre du Nord », qui n’est reconnue que par la Turquie, et au forage dans les territoires litigieux avec l’engagement du navire norvégien « Bergen Surveyor ». De cette façon, le conflit peut parfaitement passer au niveau de l’OTAN.
Mais il n’y a pas que ce plateau continental. Ces temps-ci on enregistre un regain d’activité sans précédent d’Ankara sur toute une série de directions.
On peut donc s’attendre prochainement à un durcissement de la position d’Ankara également aux pourparlers sur le règlement chypriote, a noté lors de l’entretien avec notre correspondant l’expert pour les problèmes de la Méditerranée orientale à l’Institut de l’histoire universelle auprès de l’Académie russe des sciences Artiom Oulounian :
Une collision sérieuse apparaît. Et beaucoup va à présent dépendre de la position, avant tout, de la Turquie même. Puisque l’UE a accepté en 2004 l’adhésion de Chypre, comme d’un Etat uni, sans qu’il y ait un accord entre les communautés grecque et turque de l’île. On pensait qu’il sera plus facile de résoudre le problème de Chypre partagé depuis 1974 déjà au sein de l’UE. Or ce calcul ne s’est pas justifié, tout comme les espoirs de la diplomatie européenne de voir réglés d’autres problèmes dans le Sud-est d’Europe, y compris dans les Balkans.
Pour ce qui est des rapports UE-Turquie, aussi paradoxal que cela ne puisse paraître ce conflit qui s’aggrave profite aux deux. Dans la situation présente cette nouvelle aggravation permettra à Bruxelles et à Ankara de sauver la face. Le perdant sera toujours Chypre et son peuple martyr, restant l’otage des démêlés géopolitiques.