Tayyip Erdogan récolte les fruits du printemps arabe

© Sputnik . Sergey Guneev / Accéder à la base multimédiaRecep Tayyip Erdogan
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Il faut reconnaître que le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan est un génie diplomatique de la région. Les résultats de sa tournée dans les pays du printemps arabe – en Egypte, en Tunisie et en Libye – ont surpassé les attentes les plus optimistes des Turcs.

Il faut reconnaître que le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan est un génie diplomatique de la région. Les résultats de sa tournée dans les pays du printemps arabe – en Egypte, en Tunisie et en Libye – ont surpassé les attentes les plus optimistes des Turcs. Il a si habilement choisi la période des visites, a parfaitement pris en compte les dispositions des populations et a prononcé les discours si attendus qu’il est désormais le héros des masses révolutionnaires arabes. L’accueil le plus chaleureux lui a été réservé au Caire. Mais pas seulement.

Le premier ministre turc, qui ne se distingue pas par son soutien militaire actif des bombardements de l’OTAN en Libye (la Turquie a seulement envoyé un navire pour évacuer les habitants de Misrata), a été chaleureusement accueilli même à Tripoli, où le 16 septembre il s’est entretenu avec les nouveaux dirigeants libyens. Le business des Turcs en Libye s’élève à environ 15 milliards de dollars, principalement dans le secteur du bâtiment, et ils veulent le préserver.

La Turquie a le vent en poupe dans le monde arabo-musulman

Le premier ministre turc a rempli toutes les tâches fixées avec brio. Il a augmenté l’importance internationale de la Turquie, l’a propulsée (un pays loin d’être arabe) dans les premiers rangs des leaders islamiques régionaux d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Il a renforcé sa propre popularité dans le monde arabe et dans son pays. Il a montré qu’il fallait prendre en compte la Turquie en tant que puissance régionale, et que dans le monde islamique il existait une alternative au vecteur radical du développement sous la forme du modèle turc de démocratie islamique.

Mais il serait exagéré de supposer que seul l’enthousiasme de la foule révolutionnaire arabe transformera la Turquie en un véritable leader dans le monde musulman, de l’Asie centrale à l’extrémité ouest du Maghreb. Seulement les "peuples" regardent Erdogan comme le prototype du premier ministre d’un Etat doté d'un régime à la laïcité islamique sophistiquée, et la Turquie comme un modèle de synthèse de l’islam et de la démocratie qui a conduit à une économie forte, à une vie riche et prospère.

Les autorités des pays arabes perçoivent Erdogan d’un autre œil, avec prudence et même une certaine méfiance. Les derniers bouleversements révolutionnaires ont privé l’Egypte d’un gouvernement solide et l’ont affaiblie, mais son armée et l’élite politique n’ont aucune envie de céder leur leadership politique traditionnel dans le monde arabe. L’Arabie saoudite ou l’Iran ne le tolérerait certainement pas non plus. Et l’enthousiasme de la foule est un phénomène temporaire et éphémère, notamment dans les pays arabes.

D’autant plus que les Arabes ont une aversion génétique envers les héritiers de l’Empire ottoman. Ainsi, il est prématuré de parler de la Turquie en tant que superpuissance régionale. Et l’accueil très chaleureux réservé par la foule à Erdogan s’explique par le fait qu’il est très différent des dirigeants arabes actuels. C’est ainsi qu’on reçoit ce que l’on voudrait avoir chez soi.

La démocratie à la turque comme modèle

Les hommes politiques locaux devraient se pencher sur les raisons de la popularité d’Erdogan au sein de l'opinion publique. D’autant plus qu’Erdogan, avec son islam modéré et le libéralisme conservateur, qui bloquent l’émergence du radicalisme à la surface, a des choses à apprendre.

Le modèle de démocratie turque et la laïcité islamique souple du pouvoir ont vraiment quelque chose de particulier. La démocratie islamisée turque rappelle quelque peu la "démocratie souveraine" russe.

Le mélange unique d'islamisme et de démocratie et la puissance économique croissante pourraient tout à fait convenir à l’Egypte, à la Libye et à la Tunisie. Mais dans aucun de ces Etats on ne voit pour l’instant les forces capables de combler le vide qui s’est créé après le renversement des dictateurs. Cela demande du temps.

Bien sûr, Erdogan ne peut pas ne pas profiter des possibilités offertes par le printemps arabe et récupérer l’influence perdue par l’Egypte, la Syrie, l’Irak et la Libye, affaiblis par des bouleversements internes. Mais il ne faut pas craindre une augmentation trop forte de cette influence, qui concernera plutôt le domaine économique. Ainsi, au Caire il a été annoncé que la Turquie multipliait par 3 ses investissements dans l’économie égyptienne, de 1,5 à 5 milliards de dollars.

Personne ne laissera à Erdogan le champ libre pour tirer profit des révolutions arabes, car sa biographie politique n’est pas irréprochable. Avant que Recep Tayyip Erdogan ne crée son parti Justice et Développement et ne devienne premier ministre en 2003, il était membre du parti islamique de la Prospérité. Ce parti a été interdit en 1997, et Erdogan a même passé 4 mois en prison pour diffusion de thèses nationalistes.

Les accueils enthousiastes montrent plutôt à quel point les Etats-Unis et l’Occident ont perdu leurs ancienne influence dans la région. Notamment en Egypte.

En 2009, le Caire accueillait aussi chaleureusement le président américain Barack Obama récemment élu. On se souvient également de son célèbre discours à l’Université du Caire. Beaucoup de promesses ont été faites: celles de changer de politique, tenir compte des intérêts des Arabes, des Palestiniens, obliger Israël à stopper les constructions de colonies juives dans les territoires occupés, parvenir à un accord de paix avec les Palestiniens, contribuer à la création d’un Etat palestinien indépendant. Rien de tout cela n’a été fait. Les Arabes sont fatigués des promesses non tenues du lauréat du prix Nobel.

Il faut dire qu’Erdogan s’est également attiré la sympathie des populations arabes par ses dernières mesures anti-israéliennes: la rupture de fait des relations diplomatiques avec Israël (Ankara a renvoyé l’ambassadeur israélien et a abaissé le statut de la mission diplomatique au rand du second secrétaire), l’interdiction des exercices de l’armée de l’air israélienne en Turquie (actuellement, Israël les effectue en Bulgarie) et le gel des relations militaires.

Et en Tunisie, le premier ministre turc a même menacé d’envoyer près des côtes israéliennes des navires militaires turcs si Tel-Aviv continuait à agir à sa guise dans la Méditerranée et à attaquer les flottilles de la paix à destination de la bande de Gaza.

Cela paraît absurde pour un membre de l’OTAN, mais c'est très bien perçu dans le monde arabe.

Changement de cap vers l’Orient arabe

Montrer à l’Europe ce qu’elle perd en refusant de laisser Ankara adhérer à l’Union européenne est loin d’être le dernier aspect du voyage arabe d’Erdogan en termes d’importance.

La Turquie a soumis sa demande d’adhésion en 1987, mais a été reconnue comme candidat seulement en 1999 au sommet d’Helsinki. Depuis, les négociations sont suspendues.

Personne n’a jamais déclaré officiellement qu’Ankara n’avait pas sa place en Europe. Officieusement, l’Allemagne et la France ne veulent pas voir encore 80 millions d'individus de confession majoritairement musulmane au sein de l’Union européenne. Et certaines conditions préalables à l’adhésion de la Turquie sont inacceptables pour Ankara. Par exemple, la France exige la reconnaissance du génocide des Arméniens au début du siècle dernier, ce qui est irréel.

Garder la Turquie au sein de l’OTAN sans la laisser adhérer à l’UE? Cela ressemble un peu à: "Votre place est dans le couloir." Evidemment, Erdogan n'apprécie pas. Et il se tourne clairement vers l’Orient arabe et musulman. Comme il l’avait promis.


L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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