Le projet fou de tunnel sous Béring

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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Dès la fin du 16ème siècle, après la prise de Kazan, la conquête russe du Far-est sibérien est lancée. Les chasseurs de fourrures traversent la Sibérie et installent des villes le long de la route de l’est.

Dès la fin du 16ème siècle, après la prise de Kazan, la conquête russe du Far-est sibérien est lancée. Les chasseurs de fourrures traversent la Sibérie et installent des villes le long de la route de l’est. Au sud, les russes affrontent les Chinois pour la conquête de l’Amour jusqu’à la paix de Nertchinsk (1689) qui délimite la frontière entre la Russie et la Chine mais laisse finalement la zone aux Mandchous, tout en établissant des relations commerciales entre les deux pays. Les russes remontent alors vers le Nord et l’Est, le Kamtchatka étant conquis au début du 18ème siècle. Cette poussée à l’est amènera les russes jusqu’en Alaska, puis aux portes de San Francisco avec la création de Fort Ross en 1812. Pourtant, concurrencés par les anglais en extrême orient et faisant face à de nombreuses révoltes indigènes, le pouvoir russe va se désengager de l’Amérique et se focaliser sur la Sibérie, jugée plus accessible depuis la capitale et frontalière des pays d’Asie et de leurs débouchés commerciaux. En 1841, Fort Ross est donc abandonné mais en 1858 (traité d’Aigun) la région de l’Amour est de nouveau rattachée à la Russie. En 1867 c’est l’Alaska qui est rachetée à la Russie par l’Amérique. En 1890, un gouverneur du Colorado élabore alors un projet fou de création d’un tunnel sous le détroit de Béring destiné à faciliter les communications entre la Russie et l’Amérique. Le détroit, qui sépare la Sibérie orientale de l’Alaska, porte le nom d’un explorateur danois qui travaillait pour la marine russe et traversa en 1728 ce détroit qui porte désormais son nom.

Le projet du tunnel sous le détroit de Béring réapparaît au début du 20ème siècle lorsqu’un architecte français, Loic de Lobel, le présente au tsar Nicolas II. Les deux guerres mondiales et la guerre froide qui suivit ne laissèrent malheureusement que peu de place à ce projet et à une collaboration Russo/Américaine au sein de l’hémisphère nord. En septembre 2000  a eu lieu à Saint-Pétersbourg une "Conférence eurasiatique sur les transports", qui a défini les grands couloirs de développement sur le continent. Le 7 mai 1996 à Pékin, le président de la Commission d’Etat chinoise pour la science et la technologie présentait le "Pont terrestre eurasiatique comme le tremplin d’une nouvelle ère économique pour une nouvelle civilisation humaine".

Une décennie plus tard, lors du sommet de l’APEC en 2006, le président russe Vladimir Poutine évoquait la perspective d’une nouvelle configuration de l’Eurasie, reposant sur: "des projets conjoints à large échelle dans les transports, l’énergie et les communications". En mai 2007, autre une conférence intitulée "Les mégaprojets de l’Est russe" a  eu lieu à Moscou, avec pour but de dévoiler les grands projets de l’Etat pour lutter contre le sous-développement et le sous-peuplement des régions de Sibérie et renforcer l’axe Est de la Russie. La conférence était présidée par un ancien gouverneur de l’Alaska, Walter Hickel, ardent supporter du projet depuis les années 1960. A cette occasion, fut dévoilé le projet d’une immense artère ferroviaire reliant les continents "Eurasie-Amérique",  le tout via un tunnel sous le détroit de Béring qui assurerait l’accès aux ressources hydro-énergétiques de l’Extrême-Orient et du Nord-Ouest des États-Unis. La construction de cette immense voie ferrée pourrait en outre créer entre des dizaines de milliers d’emplois et revivifier la Sibérie orientale. Enfin, les 17 et 19 août 2011, une autre conférence consacrée au développement infrastructurel global dans le nord-est russe s’est tenue à Iakoutsk en Sibérie. L’un des principaux thèmes discutés fut ce projet de liaison Eurasie/Amérique du nord, via une connexion incluant des voies de chemin de fer traversant le détroit de Béring.

Ainsi, près d’un siècle après la présentation du projet au dernier Tsar de Russie par un architecte français, les autorités russes viennent donc de remettre cette idée au goût du jour et de donner leur feu vert à sa réalisation. Le coût serait évalué à 65 milliards de dollars (44,8 milliards d'euros) et serait financé par des fonds tant publics que privés. Le tunnel ainsi construit deviendra le plus long tunnel sous-marin du monde (deux fois plus long que le tunnel sous la Manche) et devrait permettre un transit de 100 millions de tonnes de fret par an, en marchandises, pétrole et gaz. Les autorités comptent également utiliser ce projet pour développer des réseaux de lignes internet à haut débit ainsi que des liaisons électriques. Long de 100 à 110 kilomètres, le tunnel passerait sous les îles Diomède qui appartiennent l’une à la Russie et l’autre aux États-Unis et sera d’abord uniquement utilisé pour le transport de marchandises. Des combinaisons et des raccords devraient permettre de développer à terme des lignes ferroviaires directes entre Londres et New York. Quinze années et 7.000 kilomètres de voies ferrées (5.000 par la Russie et 2.000 par l’Amérique) devraient être nécessaires à la réalisation du projet.

Ce chantier parait démesuré, mais il n’est pas unique et d’autres projets du même type existent sur d’autres continents. Le transport ferroviaire reste en effet un moyen de transport économique et surtout très sûr. Ce projet transcontinental eurasien et transaméricain représente sans doute une chance immense pour la Russie de revitaliser son extrême orient, et aussi pour l’Europe, via l’union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan, de participer à la formation d’une zone économique importante, directement reliée à deux autres pôles de l’économie mondiale que sont l’Amérique et la Chine.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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* Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".

 

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