Aujourd’hui, Moscou fait tout pour empêcher la situation en Syrie d’évoluer selon le scénario libyen. Sur ordre du président russe Dmitri Medvedev, les représentants officiels s’entretiennent avec les envoyés de l’opposition syrienne et du président Bachar al-Assad, en incitant les deux camps à s'asseoir à la table des négociations.
"Nous pensons que le mandat découlant de la résolution 1973 sur la Libye a été outrepassé.
Et nous ne voulons pas que cela se reproduise à l’égard de la Syrie. Nous constatons certes une utilisation disproportionnée de la force et un grand nombre de victimes, et cela nous indigne également. J’en ai parlé à plusieurs reprises pendant mes entretiens privés avec le président Bachar al-Assad", a déclaré jeudi Dmitri Medvedev dans une interview sur la chaîne Euronews. Selon le président russe, la position de Moscou a été exposée au président syrien par le vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov, qui s’est récemment rendu à Damas. La Syrie répondra probablement par la voix de la conseillère politique et médiatique du président syrien Boutheina Chaabane, qui se rendra prochainement à Moscou.
Pour l’instant, la Russie bloque l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations Unies d’une résolution sur la Syrie, soutenue avec insistance par l’Occident. Une question se pose : pourquoi Moscou d’efforce-t-il de sauver un régime arabe fragilisé et si impopulaire dans d’autres pays?
Depuis le renversement de Mouammar Kadhafi, la Russie n’a plus qu’un seul allié au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il s’agit du président syrien Bachar al-Assad. Les relations russo-syriennes ont une longue histoire. Ces relations étaient particulièrement étroites dans les années 70 et la première moitié des années 80, à l’époque de la confrontation globale entre l’URSS et les USA. Mais à l’époque elles se basaient plus sur l’idéologie que sur l’économie. L’Union soviétique a salué l’arrivée au pouvoir du parti socialiste de la renaissance arabe (Baas) en Syrie en 1963, en armant généreusement l’armée syrienne, et elle formait ses militaires et développait la coopération commerciale et économique avec Hafez al-Assad, père du président en exercice. En 1967, lorsqu’après la guerre des Six jours, Israël a occupé le plateau du Golan, le soutien politique et l’aide financière étaient très importants pour Damas durant les années suivantes. Tout a changé à la fin des années 80-début des années 90. A l’époque, la Syrie ne faisait plus partie des priorités de la politique étrangère de l’URSS, puis de la Russie de Boris Eltsine. Moscou a renoncé à la confrontation globale avec Washington et a rétabli les relations diplomatiques avec Tel-Aviv en 1991. Ce que Damas a perçu comme une trahison des intérêts des peuples arabes et une conspiration du sionisme mondial. La Syrie et d’autres pays arabes, y compris la Libye, ont refusé de rembourser au gouvernement de Egor Gaïdar (premier ministre russe en juin-décembre 1992) les dettes dues à l’ex-URSS. Les relations russo-syriennes ont connu un gel qui a duré 15 ans.
La glace a commencé à fondre seulement en janvier 2005, lors de la première visite de Bachar al-Assad à Moscou. Le président de l’époque Vladimir Poutine a annulé une partie de la dette syrienne à hauteur de 9,8 milliards de dollars (73% de la dette de Damas envers l’URSS) en échange de garanties de nouvelles commandes d’armements russes.
Le président Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine ont déjà déclaré à plusieurs reprises que dans le choix des priorités en termes de politique étrangère Moscou ne se guidait pas sur l’idéologie, mais sur le pragmatisme, autrement dit les intérêts économiques et politiques. L’avantage obtenu grâce à Bachar al-Assad est évident : a préservation de l’équilibre stratégique des forces dans la région; la seule base militaire navale dans la ville méditerranéenne de Tartous; le silence et le calme sur la frontière israélo-syrienne. De plus, les nouveaux contrats russes, et pas seulement militaires. Les spécialistes purement civils (entreprises pétrolières, gazières et commerciales) témoignent également de l’intérêt pour la Syrie. Et bien que le volume du commerce russo-syrien soit relativement faible (environ 1 milliard de dollars par an selon les estimations de 2009), Moscou pourrait le perdre également.
L’opposition interne et externe du régime syrien est très diversifiée, et on ignore qui remplacera Al-Assad en Syrie. Très probablement il pourrait s’agir des Frères musulmans. Dans ce cas, le pays pourrait être le théâtre d'une guerre civile lourde de conséquences pour tous, et avant tout pour les Syriens. Mais même si les libéraux occidentaux, appuyés par la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, s’emparaient du pouvoir, les contrats économiques seraient certainement transmis aux compagnies occidentales. L’armement russe serait remplacé par les armes américaines et françaises, comme c’est arrivé en Egypte près de 40 ans auparavant.
En d’autres termes, en "trahissant" al-Assad, la Russie ne gagnerait rien ou pratiquement rien. Par contre l’Occident, en offrant le pouvoir à une opposition qui lui serait fidèle, pourrait obtenir un avant-poste contre l’Iran, sans compter la liberté d’action sur le marché syrien. Toutefois, cela pourrait conduire à une situation similaire à celle de l'Irak ou de la Libye, mais sans le pétrole.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction