Le conflit du Kosovo

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Vous êtes sur la « Voix de la Russie » ! Nous vous invitons à suivre une nouvelle émission du cycle « Les guerres du 20e  siècle », préparée par notre observateur Petr Iskenderov. Nous avons de même invité au studio le spécialiste de l’histoire des Balkans Alexandre Karassev, collaborateur à l’Institut des études slaves de l’Académie russe des sciences…

Lorsqu’en 1945 les canons de la Seconde guerre mondiale se turent, et que les instigateurs subirent une punition méritée au procès de Nuremberg, l’humanité s’attendait à un avenir paisible. Or les décennies qui suivirent s’avérèrent sans précédent dans l’histoire au regard du nombre de grandes et petites guerres, de conflits armés et de leurs victimes. Comment expliquer, donc, que même unie sous le drapeau de l’ONU, la communauté mondiale ne sut pas mettre en place un mécanisme bien réglé pour assurer une paix générale ? Ne serait-ce pas parce que les conflits armés, se déclarant à une régularité menaçante, profitent à d’influentes forces militaires, politiques et économiques ? Quelles sont les causes réelles d’une telle ou telle autre guerre ? Qui se tenait derrière ses parties prenantes ? Et qui doit répondre pour des centaines de milliers et des millions de tués et de blessés ?

Cette fois nous vous parlerons du conflit serbo-albanais du Kosovo, de son histoire, état actuel et perspectives. La confrontation armée entre les autorités de Serbie et de Yougoslavie, d’un côté, et les chefs des séparatistes albanais atteint sa culmination en 1998-1999, lorsque les hostilités gagnent tout le territoire de cette province autonome de la Serbie. Au printemps 1999 l’Alliance nord-atlantique s’ingère activement dans le conflit et bombarde massivement durant 78 jours la Yougoslavie, en exigeant le retrait des unités de l’armée yougoslave du Kosovo et l’entrée des forces de l’OTAN en province. Suite aux ententes de juin 1999, une force multinationale de paix est déployée au Kosovo sous le drapeau des Nations Unies, mais commandée par l’Alliance, ainsi qu’une Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo. En 2008 les autorités albanaises de Pristina proclament à titre unilatérale leur indépendance vis-à-vis de Belgrade, reconnue à ce jour par 76 Etats membres de l’ONU, mais rejetée par la Serbie, Russie, Chine, Inde et par d’autres pays influents, ainsi que par plusieurs pays membres de l’OTAN et de l’UE.

Et voici comment tout commençait…

Des Serbes, des Albanais, d’autres ethnies coexistaient de nombreux siècles durant en territoire du Kosovo, dépression fertile au cœur des Balkans. En haut Moyen Âge les Serbes y prédominaient, et le Kosovo même faisait partie des Etats serbes centralisés, étant un important centre commercial et religieux. Pour ce qui est des Albanais, même s’ils prétendent être un peuple autochtone des plus anciens aux Balkans, à en croire les données de la plupart des historiens, ils ne commencent à peupler massivement le Kosovo qu’aux 14e  et 15e  siècles, lorsque la Serbie tombe sous le joug de l’Empire Ottoman. Alexandre Karassev certifie :

Toutes les thèses avancées, suivant lesquelles les Serbes sont au Kosovo quelques étrangers effrayants, ne tiennent pas debout. Initialement il n’y avait aucuns Albanais au Kosovo. Ils habitaient en montagne, y compris en territoire de l’Albanie voisine, et ce n’est que plus tard, après l’arrivée des Serbes, qu’ils descendent dans la dépression de Kosovo Polje. De ce fait, toutes les discussions pour établir qui a des origines plus anciennes, n’ont aucun sens. Un milieu polyethnique, le mélange des populations serbe et albanaise sont une réalité historique du Kosovo. C’est à la fin du 19e  siècle que le Kosovo devient pour la première fois arène du mouvement national albanais, ayant exercé une influence clé sur les relations serbo-albanaises. Cela est lié à la fondation en 1878 de la Ligue albanaise de Prizren, réunie dans cette ville au plus fort de la Grande crise orientale de 1875-1878 (l’Empire ottoman accuse des faiblesses et commence à s’acheminer vers son effondrement). Les Albanais adoptent un programme, contenant des objectifs tels que « la lutte jusqu’à la dernière goutte de sang contre toute annexion des territoires albanais » ou encore « le rassemblement de tous les territoires peuplés par des Albanais en une seule province ». Ce programme devient un premier témoignage de l’aspiration des Albanais à leur unification territoriale, et les leaders contemporains des séparatistes albanais s’y réfèrent pour argumenter l’indépendance du Kosovo, mais aussi le projet d’unir toutes les terres balkaniques peuplées par des Albanais en un seul Etat – la soi-disant « Grande Albanie ». Aussi l’un des idéologues du mouvement albanais, Pashko Vasa (catholique, occupant dans l’Empire Ottoman le poste de gouverneur du Liban) proclame-t-il au 19e  siècle que « la religion des Albanais est l’albanité ».

En septembre 1991 les Albanais kosovars se prononcent à l’unanimité au référendum en faveur d’une république indépendante et en mai 1992 organisent des élections générales en province. Même si la direction de Serbie les décrète illégales, elle ne s’oppose pas trop à leur tenue. Les Serbes kosovars n’y participent pas. Les Albanais élisent Ibrahim Rugova président de la « République du Kosovo » (95-100%) et votent massivement pour son parti – l’Union démocratique du Kosovo.

Le problème du Kosovo s’explique par le choc des intérêts de la majorité albanaise de la province, aspirant à se séparer de la Serbie et à fusionner avec l’Albanie, et de ceux de la Serbie, défendant son intégrité territoriale. Les deux parties usent de tous les moyens possibles pour atteindre leurs objectifs. « L’instabilité persistante s’est avérée nocive tant sur la population albanaise que sur la minorité serbe en province », constate Boutros Boutros-Ghali, alors secrétaire général de l’ONU. Il caractérise la situation au Kosovo comme sans issue, les deux parties campant sur des positions diamétralement opposées concernant le statut et l’avenir de la province.

Et pendant ce temps dans les capitales mondiales…

En mai 1994 une Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie adopte une déclaration enjoignant les autorités de la Serbie et les chefs des Albanais kosovars à ouvrir un dialogue sur le statut de la province. Le leader serbe Slobodan Milosevic répond « ne voir aucun obstacle à l’exercice de l’autonomie politique et culturelle du Kosovo et de sa population albanaise ». La partie albanaise réclame « un arrêt immédiat de l’humiliation, des répressions et de l’expulsion des Albanais, l’ouverture des écoles et des entreprises pour les Albanais ». Tandis que les Serbes souhaitent que les Albanais reconnaissent la Serbie comme « leur Etat ». Ce n’est que le 1er  septembre 1996 que M. Milosevic et le président non reconnu par Belgrade de la « République du Kosovo » Ibrahim Rugova signe un projet d’accord ne touchant que le système d’enseignement au Kosovo. Vers ce moment les positions clés dans le mouvement séparatiste albanais au Kosovo commencent à passer à l’aile radicale, principalement à l’Armée de libération du Kosovo (UCK), formation paramilitaire, financée par la diaspora albanaise des pays européens et pratiquant des méthodes violentes et terroristes. En 1998-début 1999 des hostilités d’envergure opposent les forces de l’UCK aux unités de l’Armée du peuple de Yougoslavie, et la communauté internationale décide de s’ingérer. Or sous la pression des Etats-Unis, de l’OTAN et de l’Union Européenne cette ingérence prend forme de pression exclusivement sur Belgrade. L’Occident exige son retrait du Kosovo, en y laissant entrer les forces de l’OTAN, mais aussi de circuler librement dans tout le territoire de Yougoslavie. Au printemps 1999 la Yougoslavie subit des bombardements massifs de l’aviation de l’Alliance nord-atlantique, tandis que les accusations jamais prouvées de massacres des Albanais (dont le génocide) contre les Serbes servent invariablement à argumenter l’indépendance du Kosovo. Alexandre Karassev raconte :

La proclamation de l’indépendance du Kosovo est injuste à l’égard des Serbes. Toutes ces références au génocide, à la dictature de M. Milosevic – aujourd’hui ne sont pas d’actualité. On l’a déjà entendu lors des frappes aériennes contre les Serbes. Les experts ont établi qu’il n’y avait pas de dizaines de milliers de victimes massacrées, et que les Albanais fuyaient les bombardements et non seulement le régime de Milosevic. De ce fait, la question, disons-le, est inventée. Les Etats-Unis et l’OTAN voulaient justifier post factum leurs bombardements sur la Yougoslavie par un verdict de culpabilité contre Slobodan Milosevic, que les nouvelles autorités de la Serbie livrent au Tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie en 2001. Or la mort subite du principal accusé au TPI à La Haye en cellule de détention provisoire en mars 2006 laisse de nombreuses questions non élucidées.

Voici comment les événements ont évolué par la suite…

Conformément à la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU n°1244 à la date de 10 juin 1999, le problème du statut définitif du Kosovo doit trouver une solution négociée sur la base « de l’attachement des tous les Etats membres de l’ONU à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la République Fédérale de Yougoslavie et d’autres Etats de la région », ainsi que par l’octroi au Kosovo « d’une autonomie substantielle et d’une auto-administration réelle ». La Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo, installée à Pristina a à satisfaire aux mêmes conditions requises. Toutefois, déjà en 1999-2000 on voit se former au Kosovo des organes du pouvoir albanais, où les fonctions clés reviennent aux chefs militaires et combattants de l’UCK formellement dissoute. Rien d’étonnant que les premiers mois de la présence internationale au Kosovo sont marqués par un départ massif des Serbes de leur province (350 mille, d’après certaines données) qui fuient la terreur, déchaînée à leur encontre par les Albanais. Simultanément environ 400 mille Albanais passent de l’Albanie voisine au Kosovo. Et en violation de son propre règlement, la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies les munit de papiers d’identité indispensables.

Entre temps les violences reprenaient de plus belle…

En mars 2004 une vague de pogroms antiserbes déferle à travers tout le territoire du Kosovo. En trois jours, du 17 au 19 mars, avec la complaisance des forces de paix de l’OTAN, qui laissent faire les groupes d’Albanais, 19 personnes sont tuées et plus de 900 autres – blessées, principalement des Serbes kosovars. Les extrémistes albanais mettent complètement en ruines ou endommagent fortement 35 églises et monastères serbes, brûlent près de 1 000 maisons serbes et chassent de la province 4 000 Serbes. Toutefois, personne n’est jugé pour ces crimes. Qui plus est, bien des ultranationalistes albanais, anciens combattants de l’UCK, sont enrôlés dans les « Forces de protection du Kosovo », formées sous la houlette de l’administration internationale en province, ainsi dans la police de Kosovo.

En Occident on se frottait déjà les mains…

Au début de 2006 avec la médiation internationale les pourparlers sur le statut du Kosovo s’ouvrent entre Belgrade et Pristina. Mais à chaque rencontre c’est toujours la même rengaine. Les délégués serbes proposent des variantes sans cesse nouvelles de règlement du problème du Kosovo dans l’esprit de la résolution du CS de l’ONU n°1244 du 10 juin 1999, compte tenu des modèles d’autonomie existant dans le monde, y compris des îles Åland (prononcé [o:land]) et de Hongkong. Tandis que la partie albanaise, bénéficiant du plein soutien des Etats-Unis et de l’UE, rejette invariablement toutes les propositions, en insistant n’être d’accord pour aucune variante, sauf l’indépendance. En mars 2007 l’ex-présidant de Finlande Martti Ahtisaari, envoyé spécial de l'ONU chargé de superviser les pourparlers sur le statut final du Kosovo, présente au Conseil de Sécurité son rapport, en annonçant qu’une « réintégration » de la province du Kosovo en Serbie « n’est pas une variante viable ». D’après lui, l’autonomie du Kosovo dans les frontières de Serbie ne peut être considérée, même théoriquement, une solution raisonnable ». De là découle la conclusion : « L’indépendance du Kosovo sous contrôle international est l’unique variante viable ».

Mais à Moscou on suivait attentivement la situation…

Après la publication du « plan Ahtisaari », Vladimir Poutine, alors président de Russie, confirme au cours d’une conversation téléphonique avec son homologue américain George Bush que Moscou « est contre tous les scénarios imposés aux parties » et préconise « l’élaboration d’une solution qui arrange à la fois Belgrade et Pristina ». Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a prévenu l’auteur du plan « d’indépendance sous contrôle » Martti Ahtisaari que «si sa décision est de négliger les divergences entre Belgrade et Pristina, elle n’aboutira pas ». De l’avis du ministre, le problème du Kosovo ne peut pas être résolu sans qu’on tienne compte des opinions des parties prenantes du conflit ».

Le moment est venu de négocier la paix…

Après qu’en juillet 2007 la Russie oppose son veto à une résolution du CS de l’ONU en faveur du « plan Ahtisaari », le processus des pourparlers reprend. Et c’est alors qu’à un haut niveau international est pour la première fois formulée l’idée d’un partage du Kosovo en parties serbe et albanaise à titre d’une possible variante de solution du problème. En ce cas, les régions centrale et méridionale de la province seraient albanaises et celle du nord – serbe.

Plusieurs mois de pourparlers n’apportent pas d’accord à Belgrade et à Pristina, mais la pression de la communauté mondiale permet d’éviter une nouvelle escalade. Suite à la proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo en février 2008 le problème acquiert définitivement le caractère d’un conflit latent. En plus de la mission de l’ONU, une mission de justice et de police Eulex, de l’Union Européenne est déployée au Kosovo, tandis que la province devient membre de la Banque Mondiale et du FMI. Mais vains restent les espoirs de Pristina et de ses alliés occidentaux d’obtenir la reconnaissance de la part de la Serbie et une décision du CS de l’ONU favorables à eux qui permettrait au Kosovo de devenir membre des Nations Unies. D’entre les pays de l’UE l’indépendance du Kosovo n’est toujours pas reconnue par la Grèce, l’Espagne, Chypre, la Roumanie et la Slovaquie. Au début de 2011 une nouvelle série de pourparlers serbo-albanais commencent, cette fois à Bruxelles sous les auspices de l’UE. Les parties parviennent à conclure des ententes touchant une libre circulation des citoyens, la reconnaissance mutuelle d’actes d’état civil et de diplômes universitaires. Vient le tour de concerter d’autres questions à caractère déjà politique, dont dépendent les perspectives de l’intégration de la Serbie et du Kosovo dans l’Union Européenne, met en relief Alexandre Karassev.

Je crois que les Serbes vont garder pendant encore quelque temps leur ligne ferme sur le refus de l’indépendance du Kosovo sous toute forme. Mais tôt ou tard ils vont entrer dans l’UE. On verra comment va se comporter l’UE par la suite. Si elle accélère maintenant l’adhésion de la Serbie et du Kosovo en son sein, alors cela pourra détendre dans une certaine mesure la situation. Mais, de toute façon, le précédent du Kosovo restera dans le droit international. Car la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo par les puissances occidentales, tout comme le verdict de la Cour Internationale de l’ONU, ayant constaté en juillet 2010 que les actions de Pristina ne contredisaient pas les normes du droit international, est devenu un cas de référence pour d’autres conflits analogues à travers le monde – du Québec canadien aux crises dans l’espace postsoviétique. Concernant le Kosovo même, à présent la communauté compacte de quelque100 mille Serbes, peuplant le nord de la province, continue de ne pas reconnaître la juridiction de Pristina, alors que les autorités albanaises, quant à elles, évitent des conflits avec eux, redoutant un mécontentement de la part des Etats-Unis et de l’Union Européenne.

Le conflit armé a-t-il été éteint sûrement ?

Le chemin heureusement parcouru par les séparatistes albanais du Kosovo montre que même après les accords de paix de Dayton sur la Bosnie-Herzégovine de 1995, ayant mis, semble-t-il alors, le point final au démembrement de la Yougoslavie, la mappe de la région balkanique demeure changeante. La nécessité d’une division du Kosovo est de plus en plus souvent évoquée par des hommes politiques en Serbie même. Le ministre de l’Intérieur et vice-Premier ministre Iviza Dacic insiste que ce sera le seul mécanisme efficace permettant de résoudre rapidement le problème. Cette idée correspond aussi aux évaluations de l’influent Groupe international de crise, considérant que l’impasse à propos des régions septentrionales du Kosovo, peuplées par les Serbes, « maintiendra la Serbie hors de l’UE, et le Kosovo – hors de l’ONU ».

Pour leur part, de nombreux leaders albanais insistent qu’en ce cas il faudra inévitablement poser la question sur un échange de territoires, y compris concernant la vallée de Presevo, à population serbo-albanaise, ainsi que pour la Macédoine et le Monténégro. Albin Kurti, leader du mouvement parlementaire « Autodétermination » réclame le retrait de toutes les forces internationales du Kosovo, la rupture des pourparlers avec Belgrade tant que l’indépendance du Kosovo ne soit reconnue par la Serbie, mais le principal – de tenir des référendums au Kosovo et en Albanie voisine sur la fusion en un seul Etat. Et vu que le projet de la Grande Albanie dans les Balkans est de même soutenu par les Albanais en Macédoine, au Monténégro et en Grèce, les développements de la situation à propos du Kosovo paraissent tout aussi imprévisibles que dangereux.

Merci d’avoir suivi cette émission du cycle « Les guerres du 20e  siècle ». Et à la prochaine !

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