La rupture des contrats gaziers ne profitera pas à l’Ukraine

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Les autorités ukrainiennes sont prêtes à contester le prix du gaz russe devant le tribunal. Cependant, les experts estiment que même en obtenant la révision des prix fixés par les contrats, l’Ukraine ne pourra pas acheter de gaz bon marché à la Russie, car la rupture des accords entraînera la perte des privilèges existants.

Les autorités ukrainiennes sont prêtes à contester le prix du gaz russe devant le tribunal. Cependant, les experts estiment que même en obtenant la révision des prix fixés par les contrats, l’Ukraine ne pourra pas acheter de gaz bon marché à la Russie, car la rupture des accords entraînera la perte des privilèges existants.

L’échange de piques entre l’Ukraine et la Russie autour de la question gazière prend de l’ampleur. Dans une interview publiée par le quotidien russe Kommersant le 6 septembre, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch a déclaré que la formule du prix du gaz en 2009 était "ambiguë et contestable, nous ne pouvons pas l’accepter." "En Comparaison avec l'Allemagne, nous payons près de 200 dollars de plus… Pour nous cette différence de prix représente 5-6 milliards de dollars par an", a déclaré le président ukrainien en faisant remarquer que cette somme représentait 20% du budget du pays.

Viktor Ianoukovitch a souligné: "La position de la Russie est selon nous tout à fait inacceptable, et si elle ne change pas, nous aurons recours à l'arbitrage international ", en évoquant les cours arbitrales de Stockholm et de La Haye.

En réponse, le président du russe Gazprom Alexeï Miller a déclaré que "le gouvernement ukrainien [avait] été induit en erreur en ce qui concerne le prix de la fourniture du gaz russe pour les consommateurs ukrainiens et le coût du transit. Le coût du transit via l’Ukraine est bien plus élevé qu’en Allemagne, en Pologne ou en Slovaquie. Le prix du transit est lié au prix du gaz, et le prix du gaz pour les consommateurs ukrainiens est nettement inférieur au prix du combustible bleu en Pologne, en Hongrie, en Turquie ou en Roumanie ." Les contrats en vigueur entre Gazprom et Naftogaz portant sur la fourniture et le transit correspondent aux normes du marché gazier européen, a souligné Alexeï Miller.

Gazprom a déclaré à plusieurs reprises que la question du changement du prix de gaz ne pourrait être examinée que si Gazprom et Naftogaz fusionnaient. L’Ukraine refuse toute forme de fusion entre ces entreprises. En diminuant les risques, la Russie construit les gazoducs South Stream et Nord Stream en contournant l’Ukraine.

"L’Ukraine est notre partenaire de longue date, a déclaré le 6 septembre le premier ministre russe Vladimir Poutine, présent lors du remplissage du premier tube de Nord Stream avec du gaz technique. Tout pays de transit est soumis à la tentation de profiter de sa position transitaire. Désormais, cette exclusivité disparaît. Les relations russo-ukrainiennes acquerront un caractère de plus en plus civilisé."

Un prix litigieux
Les experts évaluent avec prudence la perspective d’un litige judiciaire sur la question gazière auprès d’une cour d’arbitrage.

"Les autorités ukrainiennes le promettent depuis longtemps mais ne s’adressent pas au tribunal d’arbitrage de Stockholm car elles sont parfaitement conscientes qu’elles n’ont rien à gagner au tribunal, a déclaré à RIA Novosti Konstantin Simonov, directeur de la Fondation pour la sécurité énergétique. L’affirmation de Ianoukovitch, selon laquelle le prix du gaz pour l’Ukraine est supérieur de 200 dollars par rapport au prix concédé à l’Allemagne, paraît totalement absurde."

Au troisième trimestre 2011, le prix du gaz vendu à l’Ukraine s’élève à 354 dollars les mille mètres cubes. "En suivant la logique de Ianoukovitch, l’Allemagne achète actuellement le gaz russe au prix de 154 dollars? Bien sûr que non, actuellement l’Allemagne paye 403 dollars [les mille mètres cubes]", déclare l’expert. Le prix du gaz vendu à l’Ukraine est inférieur de 50 dollars au prix du gaz vendu à l’Allemagne, car ce dernier inclut le coût du transit (un peu plus de 40 dollars), a expliqué Konstantin Simonov.

"Quels seront les arguments de l’Ukraine devant la cour d’arbitrage de Stockholm? En 2010 l’Ukraine a bénéficié d’une remise de 30% sur le prix prévu par le contrat, ce qui représente 100 dollars les mille mètres cubes", déclare Konstantin Simonov. De plus, la Russie a passé l'éponge pour la violation par l'Ukraine du contrat de 2009, lorsque Kiev n’avait pas acheté le minimum de gaz fixé par le contrat, bien que la pénalité ait pu s’élever à près de 8 milliards de dollars, ajoute-t-il.

Valentina Goïdenko de l’Institut des pays de la CEI estime également que l’Ukraine a peu de chances de gagner le procès si le tribunal international adopte une approche impartiale et objective de cette affaire. "L’Ukraine n’a pratiquement aucune planche de salut: personne n’a fait pression sur Ioulia Timochenko en 2009 lors de la signature du contrat et elle avait les compétences pour le faire. Le président de l’époque Viktor Iouchtchenko connaissait le fond des accords signés par la première ministre", déclare Valentina Goïdenko.

La restructuration affecte les contrats
Toutefois, Alexeï Gromov, directeur adjoint de l’Institut des stratégies énergétiques, estime que les perspectives judiciaires sont équivoques dans l’éventualité d’une contestation des prix du gaz au tribunal. "Si la restructuration de Naftogaz n’avait pas lieu, il n’y aurait aucune perspective judiciaire, a-t-il déclaré à RIA Novosti. La restructuration de Naftogaz est le seul prétexte permettant de parler de suspension des contrats."

Toutefois, selon Gazprom, même la restructuration de l’ukrainien Naftogaz n’entraînera pas le changement des prix du gaz prévu par le contrat. Les droits et les obligations des parties devront être respectés par la compagnie qui succédera à Naftogaz.

Cependant les experts déclarent qu’il existe des précédents de changement de clauses des contrats par Gazprom. Les compagnies allemandes RWE, E.ON et l’italienne Edison exigeaient la révision des prix. Ces sociétés exigeaient la diminution des prix contractuels pour les aligner sur les prix de la bourse. "Gazprom avait accepté de changer la formule du prix", fait remarquer Konstantin Simonov.

Dans l’interview Viktor Ianoukovitch a expliqué sa formule du prix juste pour l’Ukraine: le prix du gaz pour l’Allemagne moins le coût du transit. Mais le fait est qu’en parvenant à revoir les conditions du contrat de 2009, l’Ukraine ne gagnerait pratiquement rien. Et voici pourquoi.

Il pourrait n’y avoir aucune remise
Le prix initial de 450 dollars les mille mètres cubes, fixé par le contrat de 2009 et contesté actuellement par l’Ukraine, n’est pas tombé pas du ciel. D’autres pays achetaient le gaz au même prix. Par exemple, au dernier trimestre 2008, le prix des mille mètres cubes pour la Slovaquie était de 470 dollars. "D’où le prix pour l’Ukraine de 450 dollars: 470 dollars moins 20 dollars de transit", déclare Konstantin Simonov.

Le prix du gaz russe vendu à l’Italie a été pris pour base lors de l’établissement du prix du gaz pour l’Ukraine en 2009. "Le marché italien est celui où les produits pétroliers sont les plus chers en Europe, déclare Alexeï Gromov. Donc c’est le prix du marché, mais le plus élevé possible."

Les experts soutiennent l’idée de lier le prix du gaz pour l’Ukraine au prix du gaz à la frontière avec l’Allemagne en soustrayant le coût du transit. "Si le coût du gaz pour l’Ukraine était calculé sur le prix à la frontière de l’Allemagne, et non pas de l’Italie, actuellement les Ukrainiens paieraient près de 100 dollars de moins – environ 270 dollars", a calculé Alexeï Gromov.

Toutefois, le prix du gaz de 270 dollars est calculé sans prendre en compte la taxe d’exportation de 30%. Ce taux est nul pour les exportations en Ukraine, alors qu’il devrait être presque égal à la remise de 100 dollars faite à l’Ukraine. Si Kiev contestait au tribunal les termes du contrat de 2009, l’Ukraine perdrait certainement cette remise. Ce privilège a été accordé à l’Ukraine sous réserve de ne pas changer les contrats, affirme Konstantin Simonov. "Pour une raison inconnue l’Ukraine insiste sur la fixation d’un prix "juste" tout en considèrant la remise de 100 dollars comme un dû, s’étonne Konstantin Simonov. Mais le contrat de 2010 stipule clairement que la remise de 100 dollars n’est valable qu’en cas d’immuabilité des accords de 2009."

"Il n’existe pas de prix juste dans le milieu pétro-gazier. Il est toujours inventé par les acheteurs indigents afin de justifier leurs griefs", a fait remarquer Konstantin Simonov.

"Si l’on ajoute au prix du gaz "pour l’Allemagne", qui est de 270 dollars, la taxe d’exportation de 30%, le prix du gaz pour l’Ukraine diminuerait à peine", a déclaré Alexeï Gromov. Son coût sera bien plus élevé par rapport aux 230 dollars exigés par Kiev.

Konstantin Simonov a estimé qu'en cas de révision du contrat, de recalcul du coût du gaz comme "pour l’Allemagne" et d'annulation de la remise, le prix du gaz vendu à l’Ukraine se chiffrerait aux alentours de 370 dollars.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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