Au sommaire:
- SEPT DESTINEES HUMAINES AU COEUR D’UNE BATAILLE GRANDIOSE
- LE XXème SIECLE REAPPARAIT AU MUSEE RUSSE
- LA FACADE DU BOLCHOI A L’HEURE DES DERNIERES RETOUCHES
- LA CHAUDE INTIMITE DES « DIALOGUES » DE SAINT-PETERSBOURG
Sept destinées humaines au coeur d’une bataille grandiose
Les tournages d’un nouveau film dont le titre est « Stalingrad » ont commencé en Russie le 23 août.
Cette date occupe une place particulière dans l’histoire de la ville parce qu’elle marque le tournant majeur de la Seconde Guerre Mondiale. Le 23 août 1942, l’aviation nazie a procédé aux bombardements de Stalingrad en faisant périr de nombreux habitants de cette grande ville sur la Volga. Mais ce n’était que le cercle premier de l’enfer que la ville a vécu de l'été 1942 à la fin de l’hiver 1943. Les soldats de l’Armée Rouge et les envahisseurs nazis se livraient un combat acharné littéralement pour chaque rue et chaque maison de la ville. Les hitlériens qui avaient attaqué l’Union Soviétique en juin 1941, ont poussé leur avance jusqu’à la Volga pour subir ici à Stalingrad une défaite foudroyante qui s’est transformée en retraite et la libération des terres russes et des pays européens qu’ils avaient envahis. C’est en souvenir des victimes des premiers bombardements que le 23 août est célébré comme la Journée de commémoration et de douleur dans cette ville qui porte aujourd’hui le nom de Volgograd.
« Dans le nouveau film consacré à cette page sanglante de la Seconde Guerre Mondiale, il n’y aura pas de scènes de batailles à grande échelle », - assure son auteur, le réalisateur russe de renom Fedor Bondartchouk. Il affirme que le sujet du film « est une histoire des rapports entre les hommes vus à travers leurs caractères qui s’affrontent dans cette guerre à la fois tragique, héroïque et horrible avec pour toile de fond des mutations historiques profondes ».
« C’est l’histoire vécue par sept êtres humains qui se sont retrouvés au coeur des événements », - raconte le réalisateur. « Il y a parmi eux une jeune fille de 17 ans qui ne quitte pas sa maison parce qu’elle y a enterré tous ses proches, ses voisins et tous ceux qui y ont habité ou s’y sont trouvés au mauvais moment. Il y a aussi l’histoire de l’officier allemand Kahn qui a pris position dans la maison d’en face, située littéralement à deux mètres. Du reste, à cette bataille est associée une quantité prodigieuse d’histoires quasiment mystiques , - ajoute Fedor Bondartchouk, - parce que l’esprit humain est impuissant à comprendre comment il était possible d’endurer les combats d’une telle intensité... »
« J’ai toujours rêvé de faire un film sur la Seconde Guerre Mondiale, - avoue Fedor Bondartchouk, - et je pense que tout réalisateur, qu’il soit partisan du cinéma d’art et d’essai ou du mainstream, avait un jour réfléchi aux pages tragiques d’une histoire encore toute récente. Or, Stalingrad est justement l’exemple d’un courage absolument inédit ». D’ailleurs, c’est précisément ici que le père de Fedor, le grand réalisateur russe et lauréat d’Oscar Sergueï Bondartchouk, a tourné un de ses meilleurs films « Ils se sont battus pour la Patrie », consacré aux soldats soviétiques héros de la bataille de Stalingrad.
Fedor Bondartchouk a mis plusieurs années à se préparer aux tournages du film « Stalingrad ». Il a visité ces lieux plus d’une fois pour receuillir les souvenirs des témoins et des participants des combats au coeur de Stalingrad. Un homme d’âge très avancé lui a raconté comment, alors qu’il n’était qu’un gamin de 7 ans, il courait sous les balles en allant cherché du charbon pour se réchauffer quand il gelait à pierre fendre. Une femme de 80 ans se souvenait comment elle survivait dans la ville transformée en un tas de ruines, quand elle était une jeune fille de 18 ans. « Ces témoignages sont vraiement précieux », - pensent le réalisateur et l’auteur du scénario Ilya Tilkine qui l’a refait plus d’une fois en y ajoutant des scènes et des événements racontés par des témoins et des participants de la bataille.
Le réalisateur a déjà sélectionné une prestigieuse équipe internationale d’acteurs et les sites pour les prises de vues en extérieur. Les créateurs du film pensent pouvoir le sortir à la fin de 2012 à l’occasion du 70ème anniversaire de la bataille de Stalingrad qui avait duré 220 jours et nuits et a abouti à une défaite complète des hitlériens.
Le XXème siècle réapparaît au Musée Russe
Le Musée Russe de Saint-Pétersbourg qu’on appelle « la trésorerie de l’art russe » a officiellement déclaré que son exposition reflétait désormais toute l’histoire de l’art plastique national. Les salles consacrées à la peinture et à la sculpture des trois dernières décennies du XXème siècle peuvent se visiter depuis le mois d’août.
« L’art du XXème siècle occupe en tout 19 salles du musée dont 3 sont réservées aux oeuvres des années 1970-1990 dont plus de la moitié n’ont jamais été exposées. Les raisons pour lesquelles tous ces beaux tableaux étaient conservés dans les réserves du musée, étaient principalement de nature idéologique. Leurs auteurs appartenaient à ce que qu’on appelait l’underground et leurs créations étaient bien loin des canons du réalisme socialiste, le style qui dominait largement l’art officile soviétique. C’est dans la mesure du possible que le musée collectionnait ces oeuvres « non-officielles » et les conservait en attendant les temps meilleurs », - raconte sa vice-directrice Evguenia Petrova.
« Elles figurent désormais dans notre exposition générale consacrée au XXème siècle qui commence par Vroubel, c’est-à-dire par le symbolisme et s’arrête aux années 1990. Nous montrons les principaux courants des années 1960-1990 qui incluent tant le « style austère » que l’art de l’underground et les peintres contemporains aux individualités les plus diverses. L’ensemble donne l’impression d’un panneau en mosaïque ».
En effet, les oeuvres de « l’académiste » Victor Ivanov y voisinent avec celles de « l’informel » Eric Boulatov, les créations d’un Dmitri Jilinski choyé par le pouvoir sont exposées à côté des toiles de Vladimir Yankilevski réprouvé par les autorités.
Les collaborateurs du Musée Russe avaient sans doute raison de ne pas s’empresser de créer cette partie de l’exposition qui vient clore le XXème siècle. On leur reprochait pourtant plus d’une fois d’être en retard sur la Galerie Tretiakov de Moscou dont l’exposition d’art contemporain était déjà fin prête. Mieux encore, on disait que le Musée Russe avait « échoué » sur l’art d’avant-garde du début du XXème siècle et ne se risquait pas à franchir le cap des années 1950... D’ailleurs, le critique d’art Vladimir Leniachine est sûr que cette « lenteur » avait un sens profond.
Il ne serait pas tout à fait correct de boucler le XXème siècle alors que celui-ci n’était pas encore fini. Les critiques d’art étaient encore divisés sur la définition à donner à chacun des artistes et sur leur appartenance aux courants aussi variés que multiples. Le recul dans le temps est trop petit du point de vue de la grande histoire des arts, mais il permet néanmoins de cerner les contours des années 1960-1990.
« La sélection des artistes devant figurer dans l’exposition et leur attribution n’en ont pas moins suscité de nombreuses controverses », - raconte la critique d’art Alfia Nizamoutdinova.
« Nous avons décidé, - dit l’experte, - de ne pas nous en tenir rigoureusement à la chronologie en préférant prendre plus de recul et en essayant d’imaginer ce que nos descendants penseraient de cette période de l’art russe.
C’est pour cette raison que nous avons disposé les tableaux librement en les espaçant dans la mesure du possible afin de faire valoir chacun d’eux ».
Mais le travail sur l’exposition est loin d’être fini parce que l’effort accompli pour restituer aux spectateurs l’art « interdit » a pratiquement fait oublier la création des artistes qui travaillaient dans le style soviétique officiel. Or, on trouve dans ce flux du réalisme socialiste des oeuvres hautes en couleur et d’une grande maîtrise artistique qui sont dignes d’être exposées au musée.
La façade du Bolchoï à l’heure des dernières retouches
Les longs travaux de rénovation-restauration de l’édifice historique du Bolchoï touchent à leur fin. Le 28 octobre le rideau se lèvera à nouveau sur la scène légendaire et les spectateurs rempliront les cinq étages de la salle de spectacle. On assiste entre-temps à la procédure de réception des derniers détails de sa façade monumentale qui a repris son aspect initial conçu en 1856 par l’architecte Albert Cavos.
Son symbole le plus reconnaissable a repris sa place sur la façade. Il s’agit du quadrige d’Apollon, le char antique attelé de 4 chevaux et conduit par le protecteur des muses. Les muses elles-mêmes ont été les dernières à réoccuper leurs places. Si Apollon conduit son char sur le portique de la façade depuis un an, les muses Terpsychore et Erato ont occupé leurs niches de part et d’autre de l’entrée il y a seulement quelques jours. Situées à une hauteur de 5 mètres, elles mesurent 3,5 m et chacune d’elles pèse plus de 2 tonnes. Ce retard s’explique par le fait qu’il a fallu les refaire complètement parce que les prédécesseuses historiques de ces sculptures ont été détruites lors des bombardements nazis de Moscou pendant la Seconde Guerre Mondiale. Mikhaïl Sidorov qui représente le maître d’ouvrage des travaux de restauration en a parlé dans son interview à la « Voix de la Russie » :
« Placées en 1856 dans les niches par Cavos, les muses Terpsychore et Erato ont été anéanties pendant la guerre, en 1941. La bombe qui a touché le Bolchoï a explosé dans le vestibule du théâtre et les sculptures ont volé en éclats sous l’effet de l’onde de choc. Il était impossible de les reconstituer. Deux nouvelles statues ont été réalisées en 1942 mais elles n’avaient rien en commun avec les muses ci-devant. Elles n’étaient même pas des copies mais quelque chose qui « s’en inspirait » vaguement. Quand les travaux de restauration ont été lancés, - poursuit Mikhaïl Sidorov, - il a été décidé de redonner absolument à la façade son aspect initial. Architectes, restaurateurs, sculpteurs et historiens faisaient l’impossible pour retrouver leur image exacte. Les photographies du théâtre datant d’avant-guerre ne livrent presque rien de l’aspect extérieur de ces sculptures et donnent tout juste leurs contours étant donné que les tous les clichés de la façade ont été pris d’assez loin. Une commission spéciale a mis plus d’un an pour comprendre de quelle façon précisément ces sculptures ont été faites ».
Si le problème a finalement pu être résolu, c’est parce que les carcasses historiques authentiques d’Erato et de Terpsychore ont été préservées et ont servi de modèles pour les sculptures nouvelles conçues dans le style se rapprochant au maximum des originaux.
Un autre détail important de la façade a repris son aspect historique. C’est la fameuse colonnade qui est, soit dit à propos, antérieure à l’édifice principal. Elle a été érigée dans les années 1820 par Ossip Bovet qui a précédé Albert Cavos au poste d’architecte du Bolchoï. Ces colonnes en pierre blanche ont pris au cours de restauration l’aspect d’un convalescent qui n’a plus besoin de soins médicaux. « Nous avons retiré il y a quelques jours les compresses appliquées pour les dessaler », - raconte Mikhaïl Sidorov.
Quand Cavos a reçu ces colonnes en héritage de Bovet, il a utilisé comme hydro-isolants les matériaux qu’il avait sous la main, l’écorce de bouleau en l’occurence. Elle était étanche mais avait largement eu le temps de pourrir et tomber en poussière en 150 ans si bien que la pierre était complètement imbibée d’eau. Chaque colonne est désormais posée sur un socle en béton qui la protège de l’action destructrice des eaux de la nappe.
« Nous n’avons négligé aucun détail », - dit en conclusion Mikhaïl Sidorov. Si la façade est généralement considérée comme le visage du bâtiment, le Bolchoï a recouvré la physionomie noble d’un monument culturel et historique en parfait état de conservation!
La chaude intimité des « Dialogues » de Saint-Pétersbourg
La dixième édition des « Dialogues », la biennale internationale d’art contemporain se tiendra à Saint-Pétersbourg du 26 août au 4 septembre. 150 artistes de 22 pays occupent « le Manège » qui est la plus grande salle d’exposition de la ville.
La Biennale de Saint-Pétersbourg est la plus ancienne en Russie. Elle se tient depuis 1993 pour reprendre tous les deux ans le dialogue entre les artistes actuels venus des quatre coins du monde et les spectateurs de Saint-Pétersbourg. Il faut préciser que le public de Saint-Pétersbourg est spécial en ce sens qu’il a été élevé sur les chefs-d’oeuvre d’architecture classique et manifeste une certaine méfiance à l’égard des « élucubrations » que se permettent les auteurs contemporains. Selon Larissa Skobkina, commissaire inchangée de la Biennale, il faut non seulement sélectionner les oeuvres dignes de ce nom mais encore savoir les présenter au public à la fois avantageusement et avec tact.
Il va de soi que nous pensons surtout aux spectateurs parce que de nombreux artistes qui participent à la Biennale se connaissent déjà. Quant aux spectateurs, ils ont bien du mal à comprendre la matière aussi complexe. C’est pour cette raison que nous avons choisi de disposer les oeuvres en fonction de leurs déclinaisons thématiques et leurs qualités plastiques parfaitement reconnaissables, ce qui donne en fin de compte une sorte « d’histoire de l’art ».
La Biennale de Saint-Pétersbourg est la moins conceptuelle de toutes ses semblables. On n’y annonce jamais le soi-disant thème que sont supposés faire valoir les artistes, comme cela se passe à Venise ou à Moscou. Les technologies et les genres les plus récents comme art vidéo et performances y sont, certes, présents mais n’occupent pas le devant de la scène. Les amateurs « d’extrême » artistique et les spectateurs vraiment avisés peuvent aller visiter le Festival international d’art expérimental et de performance qui se tient spécialement pour eux. On reproche même souvent à la Biennale son caractère « vieux jeu ». En effet, pense la coordinatrice de l’exposition Elena Voïnova, l’exposition est plutôt conçue pour les conservateurs:
« Je tiens à dire sans tomber dans le pathétisme que notre Biennale possède ce qu’on appelle la chaleur humaine et dégage une certaine impression de rétro. Nous avons, par exemple, beaucoup plus de peintures qui perdent en Europe leur qualité de méthode de communication artistique en devenant un élément du décor des intérieurs ».
« L’art contemporain de Saxonie » est cette année le plus grand projet à la Biennale de Saint-Pétersbourg. C’est tout une exposition dans l’exposition qui fait étalage de la grande diversité des genres dans lesquels travaillent les diplômés des Académies des Beaux-Arts de Leipzig et et de Dresde qui appartiennent à l’école saxe très connue en Europe. Le musée « Vigeland » d’Oslo présente son projet conceptuel « La simplicité complexe » consacrée aux artistes russes d’avant-garde Kazimir Malévitch et Alexandre Rodtchenko. Les artistes norvégiens sont toujours passionés par les découvertes créatrices de ces artistes russes du début du XXème siècle qu’ils essaient d’incarner dans leurs oeuvres à grand renfort des technologies modernes. L’exposition des oeuvres graphiques slovaques occupe une place particulière à la Biennale. Les disciples de l’artiste slovaque de renom Albin Brunovski font preuve d’une excellente maîtrise des techniques de linogravure, de l’eau-forte et d’aquatinte. Leurs expositions juissent d’une grande popularité en Europe. Et pourtant, c’est le photo-projet polonais « 365 arbres » qui a tout pour devenir le véritable hit de la Biennale. La jeune artiste-photographe polonaise Cecilia Malik se prend en photo dans les bois et les parcs, tant sur le fond des arbes qu’en grimpant périlleusement à leurs sommets.