L’émigré français au service russe le général d’infanterie Alexandre Langéron décrit comme suit le grand capitaine russe Alexandre Souvorov: « Le feld-maréchal Souvorov est parmi les personnalités extraordinaires du siècle. Doté d’héroïsme, d’intelligence et d’habileté sans précédent celle-ci dépassant parfois, à ce qu’il paraît, ses facultés et son intelligence, … il est un grand capitaine et un grand politicien …».
Souvorov a en fait la réputation de grand capitaine n’ayant essuyé aucune défaite pendant toute sa carrière militaire: à l’issue de plus d’une soixantaine de batailles. D’une part, Souvorov mérite d’innombrables distinctions et grades: prince d’Italie, comte Rymnikski, comte du Saint Empire romain, généralissime des forces terrestres et maritimes russes, général-felmaréchal des troupes d’Autriche et de Sardaigne, comte du Royaume de Sardaigne et prince de sang royal (au titre de « cousin du roi »), chevalier de tous les ordres russes et de plusieurs ordres militaires étrangers.
Dans le même temps, Souvorov est en une certaine période en disgrâce. Il prétend avoir sept plaies: deux – reçues à la guerre et cinq – à la cour et selon lui, ces deux dernières sont beaucoup plus pénibles.
« Fais en sorte que tes troupes ne ressentent jamais le manque de nourriture », dit Souvorov en s’adressant aux officiers et généraux. « Pense à ta santé! Epure l’estomac , conseille-t-il. La faim est le meilleur remède ». Il donne des ordres liés à l’organisation de la nourriture des soldats.
Le mode de vie de soldat influe sur les goûts de Souvorov même orsqu’il devient feldmaréchal et généralissime. Il aime le kvas, le potage au chou et la bouillie.
Souvorov ne prend jamais le petit déjeuner ni le dîner.
Il se réveille très tôt, voire la nuit, verse sur soi de l’eau glacée avant de prendre du thé.
Le cuisinier fait bouillir de l’eau en présence de Souvorov. Ayant rempli la tasse à moitié, il le lui donne à goûter. Si le thé est très fort, il ajoute de l’eau. Souvorov aime le thé noir de meilleure qualité. Il prend, d’habitude, trois tasses de thé à la crème, sans pain et les jours de carême – sans crème.
Il convient de noter qu’Alexandre Souvorov observe strictement les carêmes. La Semaine de la passion il se contente du thé sans pain. Il lit à haute voix «Notre Père» et se signe trois fois après le repas.
En invitant chez lui le cuisinier après le thé du matin, Souvorov commande un repas de 4 à 5 mets en petits pots. Les jours gras, c’est de la viande cuite aux épices, une soupe de choucroûte, parfois un potage kalmyk, des pelmenis, des bouillies ou du rôti de gibier ou de veau. Au printemps Souvorov aime du brochet cuit. Les jours du carême – des bolets, des gâteaux aux champignons, du brochet farci au raifort. Il prend avant le repas un verre de vodka au thym doux, mais pas plus et boit pendant le déjeuner un peu de vin hongrois ou de malaga et les jours de fêtes – du Champagne. Souvorov n’aime pas les fruits ni les délicatesses. Parfois on lui sert au lieu du dîner un citron coupé en rondelles avec du sucre ou trois cuillères de confiture avec du vin doux.
Souvorov déjeune vers huit heures du matin. Ensuite il dort pendant trois heures après avoir bu un verre de bière anglaise avec l’écorce de citron et du sucre et reprend le travail et se couche à 10 heures du soir.
Souvorov ne déjeune jamais seul pendant les campagnes. La table est couverte pour 15 personnes: pour les généraux et les officiers. Atteint souvent d’indigestion, Souvorov est modéré en nourriture. Son valet Prochka se tient toujours debout derrière sa chaise et lui arrache son assiette pour qu’il ne mange pas trop. Quiconque souhaite régaler Souvorov, doit inviter son cuisinier.
Souvorov est connu comme un homme très original et viole souvent les normes admises dans la société. Il a des préjugés à table : il déteste qu’on prenne le sel avec un couteau …
Souvorov préfère manger avec une cuillère en étain et non pas en argent, l’argent contenant, à son avis, du poison. Les mets ne sont pas mis sur la table mais apportés chauds de la cuisine et servis à chaque invité. Il n’aime pas ceux qui mangent copieusement. Un étranger ayant déjeuné un jour chez Souvorov a un appétit. Souvorov dit le lendemain: « Je remercie mon invité, il a eu le premier la bonté de rendre hommage à mon cuisinier en mangeant comme s’il n’avait pas d’estomac ».
Il aime que les invités parlent sans cesse et si le silence s’établit, il dit toujours : « Dites donc quelque choses ! »
Un jour un général étranger fait les éloges à Souvorov au point de l’embêter. Les invités se voient servir un gâteau rond brûlé que tout le monde refuse de manger. Seul Souvorov en prend un morceau. « Messieurs, dit-il, le métier de flatteur n’est pas simple. La flatterie ressemble à ce gâteau: il faut savoir cuire, farcir comme il faut, ne pas mettre trop de sel et ne pas brûler. J’aime bien mon cuisinier Michka : il est un mauvais flatteur ».