L’Ukraine indépendante: quand les illusions s’estompent

© RIA Novosti . Andrey Moisenko / Accéder à la base multimédiaL'Ukraine célèbre le 20e anniversaire de son indépendance
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Il y a 20 ans, le 24 août 1991, le parlement ukrainien a adopté la déclaration d’indépendance. Les étapes de l’histoire récente du nouveau pays sont bien connues. Mais une autre question est bien plus intéressante: quel est l’avenir de l’Ukraine?

Il y a 20 ans, le 24 août 1991, le parlement ukrainien a adopté la déclaration d’indépendance. Les étapes de l’histoire récente du nouveau pays sont bien connues. Mais une autre question est bien plus intéressante: quel est l’avenir de l’Ukraine?

Au début des années 1990, il était primordial pour l’Ukraine de s’imposer en tant qu’Etat européen, recevoir une "attestation de pays non-soviétique." Le meilleur moyen était d’adhérer à des organisations européennes et euro-atlantiques qui semblaient si prestigieuses.

Cependant, le drame national ne consistait pas seulement dans l’application des réformes colossales en l’absence totale d'expérience de la souveraineté. Le fait est qu’en réalité personne n’avait l’intention d’accueillir l’Ukraine où que ce soit.

Dans un piège

Selon le consensus informel de l’Occident, les perspectives d’adhésion devaient être offertes seulement aux pays et aux peuples qui se trouvaient géographiquement en dehors du monde soviétique avant la Seconde guerre mondiale. A leur égard l’Occident éprouvait une sorte de sentiment de culpabilité pour les avoir, à Yalta et à Postdam, laissés livrés à leur propre sort de l’autre côté du rideau de fer.

En janvier 2005, juste après la victoire à la présidentielle de Viktor Iouchtchenko au troisième tour, les Etats-Unis ont tenté de briser le consensus de l’Occident concernant l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Cependant, en ce qui concerne l’adhésion du pays à l’UE, les accords informels antérieurs sont restés en vigueur.

La diplomatie ukrainienne s’est retrouvée prise dans un véritable piège. L’Europe parlait de "l’égalité des chances": mettez en œuvre des réformes et vous serez comme la Pologne. Mais l’Ukraine a depuis longtemps rempli les conditions qui avaient permis à ses voisins d’adhérer à l’Union européenne. Même pour le Kosovo l’UE a trouvé une "perspective européenne", qui plus est avant même la proclamation de son indépendance, mais toujours pas pour Kiev.

Leonid Koutchma avait déjà entrepris pendant son second mandat des tentatives pour sortir du cercle vicieux. Il a accepté l’adhésion de l’Ukraine à l’Espace économique commun avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. Mais cela se déroulait dans le contexte particulièrement inconfortable des scandales liés aux "enregistrements Melnitchenko" (enregistrements audio qui auraient été réalisés par un officier de la garde présidentielle, Nikolaï Melnitchenko, dans le bureau du Leonid Koutchma où l’on entend une voix ressemblant à celle du président donner l'ordre de "se débarrasser d’un journaliste"), et à un autre enregistrement où Koutchma aurait donné son aval à la vente des radars Koltchouga à l’Irak en violation des sanctions de l’ONU, et depuis le début ces tentatives n’avaient pas de perspectives claires.

Une pseudo-religion

L’arrivée au pouvoir d’Iouchtchenko a projeté le pays en arrière au début des années 1990. Mais si à l’époque l’euro-romantisme était compréhensible et venait naturellement de l’aspiration de la population à vivre comme en Europe, au nouveau stade il est devenu tout simplement dangereux.

En 2005 a été prise la décision néfaste et contraire aux intérêts de l’Ukraine d'annuler unilatéralement le régime des visas pour les citoyens de l’Union européenne et les pays du G7 sans aucune concession réciproque.

Kiev souscrivait à toutes les déclarations de politique étrangère de l’UE sans se préoccuper des relations commerciales et économiques avec tel ou tel pays. On en connaît le résultat. Cependant, les années de "l’euro-intégration sans intégration" ont laissé une profonde empreinte dans la société ukrainienne. On a assisté à la formation d’une caste de politiciens, d’experts, de journalistes et de politologues, pour qui l’intégration européenne était devenue un fétiche, un axiome idéologique, la vache sacrée de leur pseudo-religion.

La realpolitik

L'essence des limites de l’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne est très simple et a été expliquée au début des années 2000 par le président de l’époque de la Commission européenne Romano Prodi: "Tout partager, sauf les institutions." Aujourd’hui, on compte trois domaines réels de rapprochement entre l’UE et l’Ukraine.

Premièrement, le plan politique, où la limite est l’association politique de l’Ukraine, une chose similaire à l’association des pays d’Europe de l’Est avec l’UE qui avait lieu dans les années 1990. Deuxièmement, le plan commercial et économique, où la limite est la zone de libre échange avec des éléments de rapprochement réglementaire. Troisièmement, le plan humanitaire où la limite est l’acceptation à moyen terme d’un régime sans visas pour les voyages de courte durée en UE pour les citoyens ukrainiens.

Rien de ce qui est énoncé ci-dessus ne conduira à coup sûr à l’adhésion à l’UE. Mais cette politique reflète réellement la situation en Ukraine et en UE, et correspond aux dernières tendances sur le continent européen.

Un réseau d’espaces

La politique européenne de Viktor Ianoukovitch renonce à mendier un statut particulier et se concentre sur la volonté concrète de Kiev et de Bruxelles. Pour cette raison, elle n’est pas menacée par la crise politique et financière actuelle de l’Union européenne.

D’autre part, cette politique s’inscrit parfaitement dans une autre tendance: le processus progressif de la création par l’UE des espaces communs dans les domaines politique, économique et humanitaire, et dans celui de la sécurité englobant les pays européens qui se trouvent à l’Est des frontières de l’UE. Avant tout, cela concerne la Russie, qui possède sa propre stratégie de rapprochement avec l’Europe.

C’est dans ce contexte qu’il convient d’examiner la politique russe et européenne de Kiev, destinée à créer une sorte de réseau des espaces communs. Dans peu de temps l’Ukraine pourrait devenir un pays unique en Europe, partageant une zone de libre échange avec l’UE, la Russie et les pays de la CEI à la fois.

Il ne faut pas exagérer l’ampleur des discussions entre Kiev et Moscou au sujet de l’éventualité de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union douanière (qui comprend la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan - ndlr). A Kiev ce genre de discussions est décrit comme une lutte fatidique entre les géants géopolitiques pour l’Ukraine, dont l’issue déterminerait son appartenance civilisationnelle. En réalité, la situation est simple: l’adhésion immédiate de l’Ukraine à l’Union douanière, en dépit de l’immense profit économique, signifierait la cessation automatique des négociations pour l’accord déjà prêt sur la zone de libre échange avec l’UE.

Cela provoquerait un véritable tsunami de critiques et d’accusations visant les autorités pour l’abandon des principes d’intégration européenne. Les risques politiques sont si élevés qu’ils dépassent les avantages économiques. Mais évidement il serait insensé de négliger également le profit économique, et c’est la raison pour laquelle la nouvelle formule de coopération "3+1" avec l’Union douanière est apparue.

S’armer de patience

La bataille réelle pour l’Ukraine n’est pas aussi évidente à première vue et a lieu dans le domaine de la sécurité nationale. La position de Viktor Ianoukovitch concernant le statut de pays non-aligné de l'Ukraine, qui prend forme dans la loi sur les fondements de la politique nationale et étrangère, s’est avérée trop audacieuse. Cela a provoqué un choc chez beaucoup de ceux qui avaient interprété le non-alignement non pas comme un indicateur de la voie à suivre pour le pays pour les prochaines décennies, mais comme une concession temporaire et forcée au profit de la Russie.

On estime qu’il sera possible de renoncer à cette concession au moment opportun et commencer à nouveau la préparation de l’adhésion à l’OTAN. Or, il serait naïf de penser que l’OTAN affaiblie par les guerres en Afghanistan et en Libye sera capable d’essayer une nouvelle fois d’intégrer l’Ukraine. Toutefois le monde est si imprévisible, qu’il ne faut ignorer aucun scénario, même le plus improbable. Pour cette raison, la meilleure garantie de consécration du statut de pays non-aligné de l’Ukraine serait l’adoption d’un amendement approprié à la constitution du pays. D’autant plus que l’intention de l‘Ukraine de devenir un Etat non-aligné a été proclamée dans la déclaration de la souveraineté de l’Etat en 1990.

L’annonce du statut de pays non-aligné de l’Ukraine et le refus d’adhérer à l’OTAN sont devenus la base de la normalisation des relations russo-ukrainiennes au début de l’année 2010. Or deux ans auparavant, les médias ukrainiens parlaient sérieusement d’un éventuel conflit armé avec la Russie, et le président russe ne s’adressait à son homologue ukrainien qu’indirectement, par vidéo.

La sortie de Kiev de l’état de la guerre froide avec la Russie a permis de commencer à régler les questions économiques et commerciales, au sujet desquelles Kiev et Moscou mènent actuellement des débats ardus. Par définition ce genre de négociations ne peuvent être ni faciles, ni rapides. Il faut simplement s’armer de patience. On parviendra à un compromis, cela ne fait pas l’ombre d’un doute.

L’éveil

L’Ukraine fête le 20e anniversaire de l’indépendance en sortant d’un long sommeil et en revenant à la réalité, en s’efforçant de concilier les priorités de sa politique étrangère non pas avec telle ou telle idéologie, mais avec les besoins sociaux réels et les tendances objectives du développement mondial.

En dépit de tous les troubles traversés par les institutions européennes, la question de nouvelles guerres et de redistribution des sphères d’influence sur le continent ne se pose pas. Cela signifie que l’Ukraine n’aura pas seulement une chance de s’intégrer dans les processus d’unification qui se déroulent doucement mais sûrement dans la Grande Europe, mais également la possibilité d’apporter une contribution particulière à leur accélération.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

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