-Je voudrais évoquer avec vous la situation survenue en Grande-Bretagne: les émeutes qui, selon beaucoup d’experts européens, ont éclaté sans raison à Londres, puis dans d’autres villes. Peut-on parler d’un échec de la politique du multiculturalisme, ce dont a parlé précédemment Mikhaïl Marguelov, président du Comité des affaires étrangères de la chambre haute du parlement russe, ou la cause réside-t-elle ailleurs?
-En effet on peut parler de l’échec de la politique de multiculturalisme en Europe, en particulier dans l'Union européenne. C’est effectivement le cas et pratiquement tous les experts sérieux s’accordent à le dire. Mais il serait erroné de relier les événements en Grande-Bretagne avec ce seul facteur. A mon avis, il existe une série de raisons, y compris l’échec de la politique du multiculturalisme.
-Pourriez-vous énoncer ces facteurs?
-Avant tout, il s’agit des problèmes sociaux, le changement de la politique de l’Etat consécutive à l’avènement du gouvernement de coalition de David Cameron, la réduction des dépenses publiques, la réduction d’autres programmes sociaux, la réforme du système d’éducation et une augmentation considérable du coût des études, notamment supérieures. A mes yeux, il existe beaucoup d’autres facteurs qui ont conduit à cette situation. Ainsi, ces événements sont-ils tout à fait logiques.
-Vous voulez dire que tous ces changements n’ont pas concerné la population autochtone du Royaume-Uni, mais seulement les immigrants?
-Ils ont concerné aussi bien la population autochtone que les immigrés, mais je pense que ces derniers sont les plus touchés car ils sont confrontés au problème de leur adaptation, de leur intégration dans la société. Et en effet, en regardant les images diffusées par les agences depuis Londres, on remarque que la majorité des participants aux émeutes sont des ressortissants d’autres pays, mais il y avait beaucoup individus d’origine britannique également.
-Mais on ignore à quel point ils ont été nombreux.
-En effet, il est difficile de compter, mais je pense que les autochtones représentaient au moins un tiers des émeutiers.
-Alors peut-on dire qu’on assiste à un grand problème social?
-Je dirais même que c’est un problème très large. On sait que les troubles en Grande-Bretagne dans les années 1980 étaient purement raciaux. Il s’agissait d’une vague de colère des immigrants provoquée par le durcissement de la législation migratoire et d’autres problèmes. Je me répète, aujourd’hui, à mon avis, le problème est bien plus large, et il existe plus de raisons et de facteurs qui ont contribué à cette vague de colère. Il ne faut pas tout réduire aux problèmes de l’intégration des immigrés.
-Est-ce qu'il s’agit seulement des facteurs que vous avez énoncés ou existe-t-il d’autres causes qui auraient pu avoir une incidence sur la situation qui est survenue d’une manière assez spontanée?
-Je suis loin d’avoir énuméré tous les facteurs, auxquels on pourrait ajouter des exemples connus d’imitation. Par exemple, l’utilisation des réseaux sociaux, l’utilisation des capacités d’internet pour la coordination des actions: tout cela a été calqué sur les révolutions arabes et certains autres événements.
-Autrement dit, il est possible d’établir un lien?
- A mon avis il est évident, car auparavant la France a été frappée par des incendies, et l’Allemagne a connu également des troubles après les événements en Grande-Bretagne.
-Alors il s'agit d’un simple phénomène de solidarité et d'une imitation, ou bien vous pensez que cette situation pourrait de nouveau survenir au Royaume-Uni et dans d’autres pays européens, en France, en Allemagne…
-Ce genre d’émeutes survient périodiquement. Mais avec le temps les causes et les facteurs de ces troubles changent, certains d’entre eux deviennent dominants. Dans l’histoire lointaine, les problèmes de la pauvreté et de la famine conduisaient à la révolte armée de la population contre les riches. Aujourd’hui, en Europe et en Grande-Bretagne personne ne meurt de faim, mais d’autres facteurs deviennent prioritaires. Il est difficile de prédire ce qu’il en sera dans 10-15 ans.
-Passons-nous des pronostics à aussi long terme et prenons par exemple quelques prochaines années ou même les jours suivants. Est-ce qu’une situation similaire pourrait se répéter au Royaume-Uni et dans d’autres pays européens?
-Probablement pas en Grande-Bretagne.
-Vous estimez qu’elle a été réglée?
-On y a réagi de manière adéquate, qu'il s'agisse des autorités, qui ont durement réprimé les émeutes, ou de la société. Le plus important est que la société ait réagi. En Grande-Bretagne, on a assisté à une chose que l'on n'avait vue nulle part ailleurs: les parents et les proches dénonçaient leurs enfants et amis à la police lorsqu’ils apprenaient qu’ils participaient aux émeutes. Et pas parce qu’ils détestent leurs enfants; il s’agit simplement d’une tradition, telle est la mentalité de la société.
-Voulez-vous dire qu’elle est inhérente même aux immigrés?
-Probablement pas aux immigrés. Ce genre de choses est inculqué, ancré et définitivement formé depuis des siècles. Mais c’est inhérent à la majorité de la population.
A votre avis, quels sont les moyens de régler cette question, si on ne la considère pas seulement comme un problème lié au multiculturalisme, comme le présentent les experts et les politiciens, y compris européens, mais également comme un problème social? Afin d’éviter sa répétition non seulement en Grande-Bretagne, mais également dans toute l’Europe?
-Il faut apporter des changements appropriés dans la politique, et d'après ce que je vois le cabinet Cameron en a déjà pris conscience. Il a déjà été annoncé que le budget de la police ne subirait pas la réduction annoncée auparavant, que la politique sociale serait revue dans une certaine mesure, qu’il n’y aurait pas de réduction aussi importante des programmes sociaux et de rigueur budgétaire précisément sur cet aspect du budget, comme c’était initialement prévu. D’autres mesures pourraient être également prises.
-Lesquelles, par exemple?
-Il s’agira probablement d’un changement dans l’éducation, de nouveaux programmes destinés à l’intégration des immigrés, probablement du durcissement supplémentaire de la législation migratoire, ce qui n’est pas à exclure, et il est difficile de prédire ce genre de choses.
-Autrement dit, vous pensez que c’est l’une des options pour tenter de limiter le flux d’immigrants qui ne peuvent pas s’intégrer dans la société?
-Il n’est pas question de limitation, car ce flux n’est pas très important, si on parle de la Grande-Bretagne, mais il s’agit plutôt de programmes destinés à une meilleure intégration, le règlement des problèmes rencontrés par les immigrés dans le domaine de l'emploi, de l’éducation, etc. Je pense que certains programmes pourraient être mis en place pour régler plus activement ces problèmes.
-A votre avis, la situation pourrait-elle se reproduire?
- A mon avis, le déclenchement d'émeutes est peu probable dans un proche avenir.
-Au Royaume-Uni ou en Europe en général?
-Je parle de la Grande-Bretagne. La situation en Europe est quelque peu différente. Même en comparant l’aspect que nous avons initialement abordé – la présence de minorités ethniques et leur part dans la population autochtone. Si l'on prend la France ou l’Allemagne d’une part, et la Grande-Bretagne de l’autre, vous verrez que l'écart est important entre ces pays. Les troubles sont peu susceptibles de survenir à nouveau en Grande-Bretagne, mais on ne peut pas dire qu’ils soient totalement à exclure. Autrement dit, ils pourraient se reproduire dans quelques années ou dans quelques dizaines d’années.
Propos recueillis par Mikhaïl Goussev
Les émeutes en Grande-Bretagne: les causes et les facteurs des troubles
18:12 24.08.2011 (Mis à jour: 16:05 05.10.2015)
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En Grande-Bretagne, on a assisté à une chose que l'on n'avait vue nulle part ailleurs: les parents et les proches dénonçaient leurs enfants et amis à la police lorsqu’ils apprenaient qu’ils participaient aux émeutes. Et pas parce qu’ils détestent leurs enfants; il s’agit simplement d’une tradition, telle est la mentalité de la société.