Au sommaire:
- LA BIENNALE DE VENISE ET LA MYSTERIEUSE AME RUSSE
- « ELENA » ET SES CONQUETES EN AFRIQUE
- LE FOYER IMPERIAL DU BOLCHOI
- « LE POISSON D’OR » DANS L’INFINI DE LA GALAXIE
LA BIENNALE DE VENISE ET LA MYSTERIEUSE AME RUSSE
La participation russe ne passe pas inaperçue à la 54ème Biennale de Venise qui est le plus grand événement dans le monde de l’art contemporain. C’est ainsi que plus de 50 000 personnes ont visité le pavillon russe rien que pendant le premier mois de la Biennale qui dure de juin à novembre.
Parmi les visiteurs, il y avait des représentants du Musée d’art contemporain de Stockholm qui ont manifesté le désir d’acquérir l’installation du peintre conceptualiste de Moscou Andréï Monastyrski, qui se compose d’authentiques pilotis de Venise et de structures qui ressemblent à des bancs grossiers, le tout faisant penser à d’énormes lits de planches. Pourtant, ce n’est qu’une petite partie de l’exposition que l’artiste avait surnommée « Zones vides » et qui est princialement constituée de photos en noir et blanc. Les photos en question font en fait partie de ses archives et de celles du groupe « Actions collectives » qui coopèrent depuis de longues années en organisant leurs événements à ciel ouvert. Boris Groïss, critique d’art de renom qui supervise le projet, estime que ces actions ont pour but de « donner la meilleure part de soi-même au lieu de produire des objets ».
« C’est la métaphysique qui nous fascine le plus en sa qualité d’état qui se situe à la limite du monde physique et du transcendant. Les uns s’inventent toutes sortes de mondes et de symboles dont ils deviennent prisonniers. Alors ils veulent surtout renouer avec la vraie vie et les réalités de ce monde. Par contre, les autres qui sont en permanence plongés dans le « réеl », cherchent à réapprendre à lire les signes », explique Andréï Monastyrski.
A l'exposition du pavillon russe fait écho celle du palais Foscari venue du célèbre Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. Elle est consacrée à Dmitri Prigov, un autre peintre conceptualiste russe qui s’est éteint en 2007. « Ses archives très fournies sont conservées à l’Ermitage et le musée a décidé de donner une dimension internationale à l’oeuvre de cet artiste profondément original », raconte le collaborateur de l’Ermitage Dmitri Ozerkov.
Dmitri Prigov a travaillé toute sa vie sur le projet « Dmitri Alexandrovitch Prigov ». Il est son incarnation et son produit en même temps. C’est pour cette raison que l’exposition traite de la complexité et des facettes multiples de sa personnalité. Mieux encore, elle marque une nouvelle étape de l’étude de l’oeuvre de Prigov qui a laissé à la postérité 35 000 poésies et des milliers de dessins. Il s’agit là d’un champ immense et encore vierge.
Curieusement, les Russes ne sont pas seuls à promouvoir le thème russe à la Biennale de Venise. C’est ainsi qu’animé du désir de « percer la mystérieuse âme russe », Omar Galliani, graphiste italien de renom, a présenté une expostion qui se compose de 28 dessins au crayon de femmes russes qu’il a appelée « Un autre regard sur la Russie ». Il n’a pas choisi ses modèles parmi les personnalités bien connues, mais comme l’affirme l’artiste lui-même, chacune de ses héroïnes a une biographie sortant de l’ordinaire et une personnalité forte. L’artiste estime qu’indépendamment de leur statut social, les femmes russes savent affronter courageusement les revers et les obstacles de toute nature.
« Je n’ai pas encore pu percer les secrets de l’âme russe mais depuis que je travaille sur le projet, je crois avoir mieux compris les Russes », affirme l’artiste. Il se propose de reprendre son projet en automne à la Biennale d’art contemporain russe à Moscou. Il promet notamment d’y exposer « le plus grand dessin » au monde qui comprendra 48 portraits de femmes russes.
« ELENA » ET SES CONQUETES EN AFRIQUE
« Elena », le nouveau film du réalisateur russe Andreï Zviaguintsev, a remporté trois récompenses principales du Festival international du film dans la ville sud-africaine de Durban.
Les prix du meilleur réalisateur, du meilleur rôle féminin et du meilleur cameraman sont venus s’ajouter aux récompenses déjà décernées au Festival du cinéma indépendant aux États-Unis et au 64ème Festival de Cannes dans la nomination « Un certain regard ».
« Elena » n’est pas le premier film d’Andreï Zviaguintsev à être présenté au forum cinématographique de Durban. Il fait suite à son film « Bannissement » où le réalisateur se penche sur les rapports complexes qui se nouent au sein d’une famille. Il est significatif que son film « Elena » traite globalement de la même problématique mais lui ajoute une « dimension criminelle ». C’est une histoire d’une femme de bonnes moeurs qui se transforme en assassine de son mari, ce qui de l’avis d’Andreï Zviaguintsev, est un signe de notre temps.
« Nous avons tous subi un changement qu’on pourrait qualifier de transmutation de l’espèce humaine. Beaucoup de nos amis et connaissances sont devenus méconnaissables depuis ces vingt dernières années. L’histoire d'Elena révèle justement cette mutation de l’espèce humaine. Commettre un acte pour le moins répréhensible est devenu une chose parfaitement normale et cette tendance se manifeste aussi bien en Russie que dans le monde entier. Les idées de l’humanisme sont en train de se dessoudre et de s’user jusqu’à la trame », dit le réalisateur dans son interview à la « Voix de la Russie ».
Champion de l’humanisme, Andreï Zviagintsev construit sa narration de telle sorte que les spectateurs commencent, sans doute malgré eux, à éprouver de la compassion pour l’héroïne principale et ceci dans une grande mesure grâce à l’actrice Nadejda Markina qui interprète le rôle principal et à l’excellent cameraman Mikhaïl Kritchman, tous deux primés à Durban. D’ailleurs, Kritchman est en plus lauréat du prix « Ozella » au Festival de Venise.
« Elena » est le troisième film d’Andreï Zviintsev mais il n’est pas de ceux qui font travailler leur Muse à la chaîne. Selon le critique de cinéma Valeriï Kitchine, « c’est un réalisateur unique et inédit ».
« Il n’a jamais fait d’études cinématographiques - il préférant avoir pour références les chefs-d’oeuvre du cinéma mondial et cette érudition se fait bien sentir dans ses films. Les réalisateurs qui font aujourd’hui les films pour les festivals sont littéralement obsédés par l’éclat de nouveauté et une « technicité » poussée à l’extrême. C’est de l’égoïsme pur et simple et cela se voit bien. Zviaguintsev n’est pas de ceux-ci parce qu’il privilégie justement le sujet choisi pour son film et les personnages », - poursuit Valeriï Kitchine dans son interview à la « Voix de la Russie ».
« Il ne recherche pas l’originalité de la narration et c’est pour cette raison justement que ses films sortent de l’ordinaire, ce qui a d’ailleurs été démontré par le festival de Durban », résume le critique,
LE FOYER IMPERIAL DU BOLCHOI
Les longs travaux de rénovation et restauration du Bolchoï semblent toucher à leur fin. Le 28 octobre, le rideau se lèvera à nouveau sur la scène légendaire et le public remplira les cinq étages de la salle de spectacle. Pour la première fois de l’histoire du théâtre, les spectateurs pourront déambuler pendant l’entracte dans les salles du Foyer impérial !
Historiquement, le Foyer impérial était une enfilade de salles qu’on appelait le foyer Rouge, le Petit et le Grand foyers. Le foyer Rouge menant à la salle de spectacle n’était jamais montré au public y compris à l’époque soviétique. N’étaient accessibles que le Petit foyer rebaptisé Salle Ronde et le Grand foyer renommé Salle Beethoven et utilisé pour les concerts et toutes sortes de rassemblements. Or, ces foyers conçus et luxieusement décorés par l’architecte du Bolchoï Albert Cavos, étaient initialement destinés à servir, en 1856, « d’offrande » pour le couronnement de l’Empereur Alexandre II. Les restaurateurs ont cependant choisi pour modèle l’aspect que les salles du Foyer impérial ont pris plus tard, en 1896, quand elles ont été remises au goût du jour à l’occason du couronnement du dernier tsar russe Nicolas II en devenant encore plus luxieuses. Mikhaïl Sidorov qui représente le maître d’ouvrage chargé de la rénovation du Bolchoï raconte ce qui se passait dans le Foyer impérial aux temps des Empereurs et à l’époque soviétique.
Lorsqu’il venait au Bolchoï, l’Empereur se reposait pendant les entractes ou avant le spectacle en se promenant dans ces salles, accompagné de sa suite. Les salles étaient décorées avec le plus grand luxe et sont maintenant entièrement reconstituées y compris en ce qui concerne leurs propriétés acoustiques. Si on se met au centre de la salle et l'on claque des mains, le bruit est tout smplement assourdissant. C’est que l’architecte Cavos faisait à l’Empereur ce genre de « petits cadeaux ». Supposons que l’Empereur avait une voix enrayée. Peu importe, parce que même dans ce cas de figure l’écho porterait ses paroles à toute l’assistance.
Ces salles ont été sauvagement mutilées au XXème siècle. En 1918, il a été décidé de supprimer au Bolchoï tout ce qui était associé à l’Empereur et à sa famille et d’enlever au théâtre son nom « Impérial ». Comment faisait-on pour enlever les symboles de la royauté dans la décoration des salles? Les moulures d’albâtre étaient détruites à coups de marteau. Il nous a fallu les reconstituer entièrement et on voit maintenant le monogramme de l’Empereur et la couronne tenue par des anges embouchant des trompettes. Mais ce sont les intérieurs du Grand foyer, salle Beethoven à l’époque soviétique, qui ont subi les plus grands ravages. Elles étaient décorées des tapisseries en atlas fabriquées en France à l’occasion du couronnement de Nicolas II. Les tapisseries s’ornaient également de couronnes, d’aigles bicéphales et de monogrammes de l’Empereur. Le pouvoir soviétique a décidé d’agir sans ménagement. On a envoyé un gars armé de ciseaux qui les a découpés en taillant dans le tissu précieux. Plus tard, on a cousu à la place des « éléments socialistes » nouveaux en forme de fleurs.
Beaucoup plus tard, en 1974, les tapisseries ont subi l’ultime outrage. Elles ont été enlevées et envoyées à la teinturerie. Comme c’était un lainage et une soie brodée, les produits chimiques ont dissout les fils organiques et les tapisseries ont commencé à s’effilocher. Mais nos restaurateurs ont été à la hauteur. Ils ont mis cinq ans à nettoyer à la main 750 m² de tissus en utilisant des pinceaux en coton pour essuyer chaque fil séparément jusqu’à ce que le coton soit redevenu entièrement blanc. Puis notre unique entreprise de restauration au monde, « Les tissus anciens », a tissé exactement le même atlas pour remplacer les fragments perdus et reconstituer les broderies d’après les croquis préservés. Les intérieures du Foyer impérial sont maintenant exactement comme ils étaient au moment où l’Empereur y a pénétré pour la première fois après le sacre pour recevoir les honneurs dûs à son rang.
Les miroirs restaurés et encastrés dans les murs pour donner plus de volume à l’espace conformément à l’idée initiale de l’architecte, ont également repris leur place au Foyer tout comme les lustres en cristal richement décorés et les torchères anciennes. Les murs sont décorés d’« authentiques » tissus de soie couleur de « fonte fondue » et brodés de fils de laine. Et, bien entendu, on a refait toutes les dorures avec les attributs d’Etat et les symboles dont doit s’orner le Foyer impérial. « Ce sont les plus belles salles », - assure Mikhaïl Sidorov. Le public pourra s’en convaincre dans un rien de temps.
« LE POISSON D’OR » DANS L’INFINI DE LA GALAXIE
C’est dans la ville d’Anapa au bord de la mer Noire, connue en Russie comme station climatique pour enfants, que se déroule, entre le 13 et le 23 août, le 16ème Festival international du film d’animation pour enfants « Le Poisson d’Or ». C’est l’unique festival au monde des films d’animation professionnels destinés aux enfants.
Les salles pleines sont garanties au festival au cœur de la saison estivale, quand les enfants des quatre coins de la Russie viennent à Anapa pour se soigner et se refaire une santé. D’ailleurs, les jeunes spectateurs et leurs parents ont un embarras de choix entre 87 films dont 7 longs-métrages présentés par les cinéastes de 35 pays.
Mais le véritable grain de sel du festival est le fait qu’il permet aux enfants encadrés de professionnels de créer leurs propres mini-films. A l’occasion de la 16ème édition du festival, ses organisateurs ont proposé comme thème « Nous, les enfants de la galaxie » qui est d’autant plus actuel en cette année du 50ème anniversaire du premier vol spatial humain. Il serait également curieux de savoir ce qu’en pense la génération venue au monde à l’époque où la conquête de l’espace fait pratiquement partie du quotidien.
« Tenir ce genre de festival est une belle idée en elle-même », - a relevé dans son interview à la « Voix de la Russie » Iouri Norstein, un classique de l’animation russe. Ses films « Le Hérisson dans le Brouillard » et « Le Conte des Contes » ont été reconnus les meilleurs films d’animation de tous les temps par un jury international de critiques de cinéma.
« Les films d’animation sont avant tout destinés aux enfants, - estime le maître, - parce qu’ils sont métaphoriques et font travailler l’imagination. Par conséquent, l’animation doit s’adresser aux enfants mais ce n’est pas une contrainte car il y a des films qui s’inspirent des écrivains aussi complexes et tortueux que Platonov et Kafka ».
Les festivals donnent généralement aux spectateurs et participants une sensation de fête et un sentiment de bien-être. Pourtant la situation dans l’animation russe pour enfants est loin d’être au beau fixe. Natalia Bondartchouk, cinéaste de renom et présidente du festival, ne cache pas son inquiétude:
« Si je suis devenue présidente, c’est parce que les films d’animation font un vrai bonheur des enfants. Mais j’ai peur pour eux quand je vois dans les dessins animés contemporains des chatons carrés ou en forme de trapèze ».
D’ailleurs, la façon de dessiner les personnages des dessins animés pour enfants n’est pas seule en cause. Les grands maîtres de ce genre dont Iouri Norstein, sont surtout préoccupés par le primitivisme et la platitude des sujets de nombreux films d’animation.
« Nous assistons, malheureusement, à une prolifération des petits studios qui confectionnent d’année en année des films médiocres et ne pensent qu’à se faire de l’argent. Ils se fichent complètement de leur qualité artistique et de l’avenir de l’animation russe dans son ensemble », - se désole Iour Norstein et explique ce phénomème du point de vue philosophique et social :
« L’atomisation de la société fait qu’il n’y a plus de solidarité sociale. C’est la situation que nous vivons actuellement. Nous sommes si éloignés les uns des autres qu’il n’y a plus de place ni pour les idées, ni pour les sentiments, ni pour la compassion...
Cerné par le classique de l’animation, ce problème est loin d’être exclusivement russe. Les films sélectionnés pour le festival d’Anapa incarnent, bien entendu, les meileures traditions de l’animation pour enfants tout en étant très novateurs du point de vue du sujet et des procédés technologiques employés. C’est ainsi que le réalisateur polonais Leszek Galysz a réservé au festival une véritable surprise. Son film « Le pêcheur au fond de mer », c’est le conte du Poisson d’Or ... mais à l’envers. Ce n’est plus au poisson d’accomplit trois voeux du pêcheur qui l’avait attrapé mais au pêcheur d’accomplir trois voeux du poisson ! Amusant et édifiant en même temps ! »