On se souvient que, lorsqu’en 2005, les banlieues parisiennes étaient ravagées par les flammes, les Britanniques disaient que cela ne risquait pas de se produire en Grande-Bretagne, car les communautés ethniques étaient soudées et vivaient en bonne entente et en paix entre elles. Aujourd’hui, les maisons, les véhicules, les magasins, les pubs et les restaurants sont en feu, et les gangs de casseurs sévissent dans les rues de Londres. Le match entre les équipes d’Angleterre et des Pays-Bas, qui devait être joué le 10 août à Wembley, ainsi que d’autres matchs de la Coupe de la Ligue, dont trois devaient se dérouler à Londres, ont déjà été reportés. D’autant plus que personne ne s’est engagé à affirmer que la situation n’affecterait pas la première journée de Premier League dont les matchs devraient être joués samedi et dimanche prochains. Si un business multimillionnaire tel que Premier League est remis question, alors c'est que les affaires vont vraiment très mal.
Ce n’est pas un problème mais une honte pour la capitale de la future Olympiade-2012. Ce genre de choses ne rehausse pas la réputation de la ville. Désormais, les Britanniques devront beaucoup et sérieusement travailler pour la remettre en état. Très probablement, ils y arriveront et les
Jeux olympiques se tiendront dans les délais impartis et dans le calme et la dignité. Il est impossible d’imaginer qu’une nation aussi organisée et prisant tant sa dignité nationale puisse être humiliée au point d’être montrée du doigt par les autres pays.
Il s’agit d’une question de réputation internationale. Ce genre d’émeutes spontanées influent de manière bien plus forte avec des conséquences bien plus importantes sur les affaires nationales : avant tout sur la confiance des électeurs accordée au gouvernement.
Les autorités britanniques déploient l'activité du désespoir
Le cabinet des libéraux conservateurs et le premier ministre David Cameron personnellement sont actuellement confrontés à une crise très grave, par rapport à laquelle tous les événements antérieurs sont des problèmes bénins. Et le scandale récent autour du News of The World de Murdoch, et tous les malheurs de la zone euro, et l’endettement des Etats-Unis sont des broutilles par rapport à celle-ci.
Dans le comportement du premier ministre britannique (arrivé à son poste en mai 2010) on note beaucoup de choses qui lui vaudraient en Russie la "perte de confiance du président" (l’ancien maire de Moscou Iouri Loujkov a été limogé l’année dernière pour ce motif). En Grande-Bretagne, l’époque où leurs Majestés décidaient (l'institution présidentielle n'existait pas encore) qui doit être ou ne pas être premier ministre est révolue depuis longtemps. La seule confiance que Cameron pourrait perdre est celle des électeurs. Et il n'en est pas loin
Les électeurs pourraient oublier la crise de l’euro et pardonner les liens trop étroits avec l’empire médiatique de Rupert Murdoch. Mais ils ne pardonneront jamais de les avoir laissés dans une ville qui a été littéralement prise d’assaut par des casseurs. L’avenir politique personnel du premier ministre est en jeu.
Cameron tarde à réagir. Les trois journées des "combats à Londres" ont obligé les principaux ministres du cabinet et les chefs des partis à interrompre leurs congés et à regagner la capitale de toute urgence. Le premier ministre s’est rendu dans la matinée du 9 août au 10 Downing Street en revenant de Toscane, en écourtant ses vacances d’été d’une semaine. Le matin même il présidait la réunion de la commission pour les situations d’urgence COBRA. Cette nuit-là plus de 10.000 policiers ont été déployés dans les rues de Londres. Le parlement britannique devra mettre un terme à ses vacances et se réunira d’urgence dès jeudi.
Mais la question n’est même pas de savoir quelles mesures sont prises pour éliminer les conséquences des actions des "rebelles des rues" ou qui sera choisi par Cameron en tant que bouc émissaire. Le gouvernement déploie une activité incroyable, mais avec beaucoup de retard. Le nom de Cameron est désormais associé à jamais à la malédiction de nombreuses crises : l’euro, les défauts de paiement, Murdoch, et aujourd’hui les émeutes de Londres.
La ville des rassemblements dangereux
Même dans les années 80 racialement tumultueuses, les Britanniques n’avaient assisté à rien de ce genre. Certes, en termes de concentration de violence et de nombre de victimes, les émeutes de l’époque étaient supérieures à celle d’aujourd’hui, mais elles n’avaient évidemment pas une telle ampleur géographique ni cette organisation lugubre. Car le Sud de Londres n’est pas la seule région à être embrasée, comme dans les années 80, mais également le Nord, l’Est, l’Ouest et le centre. Les affrontements avec la police et les actes de vandalisme ont été enregistrés à Liverpool, à Bristol et à Birmingham.
A l’heure actuelle, les policiers et les autorités municipales négocient avec les organisateurs du célèbre carnaval de Notting Hill à Londres, qui se tient généralement fin août. La situation dans la capitale est telle que nul n’est convaincu que ces événements publics ne seront pas le détonateur de nouvelles émeutes…
Peut-on considérer comme saine une ville ou une société dans l’ensemble où les rassemblements de masse sont devenus aussi dangereux? D’où vient tout ce "monde parallèle" d’indignés qui s’est révolté dans la nuit du jeudi 5 août et a semé la violence pendant trois jours en terrifiant toutes les communautés locales et tous les "honnêtes" citoyens?
Or le cabinet a prévu pour fin 2015 de réduire les dépenses publiques de 80 milliards de livres, et les premières réductions (4 milliards cette année) ont déjà commencé. La Grande-Bretagne est-elle capable de faire face à une telle situation dans cette récidive des émeutes des années 80 et dans le contexte des troubles de 2011 qui se poursuivent?
Cela concerne l’ordre général des choses. Mais en particulier, les Londoniens ont accumulé beaucoup de questions à poser à leurs ministres.
Pourquoi ont-ils tant tardé à réagir, que faisaient-ils avant, de quelle manière tout cela est-il arrivé et s’est répandu aussi rapidement? Pourquoi Londres était-elle dévorée par des flammes, mais ni le premier ministre David Cameron, ni la ministre de l’Intérieur Theresa May, ni le maire de Londres Boris Johnson n’étaient en ville? Pourquoi les Londoniens ont-ils été contraints de vivre pendant trois jours, pour reprendre les propos du journal Daily Telegraph," dans une zone d'opérations militaires, au milieu de l’anarchie"? Comment se fait-il que Scotland Yard n’avait plus de chef (le commissaire de police de la métropole a démissionné en raison du scandale récent autour de News of The World de Murdoch)? Est-ce une coïncidence ou la raison est-elle ailleurs? Qui a dirigé les émeutes, y avait-il un organisateur? Et pourquoi tout le monde blâme seulement la police qui lutte contre les conséquences et non contre les causes?
Or Cameron était averti que les réductions budgétaires colossales conduiraient certainement à des protestations, on lui avait conseillé de les étendre sur une période plus longue.
L'efficacité de la combinaison Twitter-BlackBerry
Les nouveaux gadgets et les technologies électroniques ont évidemment joué un rôle dans les émeutes à Londres. Mais actuellement les experts déclarent que leur influence sur l’ampleur des émeutes est quelque peu exagérée. En Grande-Bretagne, selon les statistiques, un adolescent sur quatre possède un BlackBerry, pratiquement tout le monde a un téléphone cellulaire. En combinant le système de messagerie instantanée BlackBerry Messenger (BBM) avec Twitter ou Facebook, l’instrument obtenu se transforme en un système presque parfait de "gestion intégrée de combat".
Mais ce système fonctionne seulement à condition que l’armée soit déjà mobilisée, moralement et mentalement prête, et motivée à la révolte. BBM et Twitter ne sont qu’un moyen de liaison. Il serait naïf de dire qu’ils sont la base institutionnelle des manifestations.
Avec le même succès on pourrait accuser la téléphonie mobile de toutes les "révolutions arabes". Bien sûr, les explosions d’indignation populaire en Tunisie et en Egypte sont survenues sans l’aide de la téléphonie mobile. Et dans le quartier Brixton de Londres, celui de Toxteth de Liverpool, à Bristol et à Birmingham au début et au milieu des années 80 personne ne connaissait la téléphonie mobile. Mais l’intensité des incendies locaux n’était pas moindre pour autant.
Quelle issue sera proposée par David Cameron pour son pays qui s’est subitement retrouvé dans la situation de quelqu'un dont la propre maison est en feu? Saura-t-il trouver en lui la propriété "téflon" de l’un de ses prédécesseurs, Tony Blair, alias "Teflon Tony". Ou bien le bagage politique qu’il a réussi à accumuler au poste de premier ministre l’a-t-il déjà rendu irremplaçable? Désormais le sort de Cameron n’est plus entre ses mains.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.