Afghanistan: un piège pour les occupants

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La Seconde guerre mondiale est depuis longtemps finie. Mais la paix tant espérée reste toujours insaisissable. Comme les abcès murs les conflits armées se percent ici et là sur la planète. L'Afghanistan est parmi les moins chanceux : pour sa population multiethnique la guerre est devenue banale.

Pour certains experts, il faut chercher les explications au XIX siècle. Après s'être cassée les dents à l'Hindou Kouch, l'Empire britannique, a alors tracé la frontière afghano-pakistanaise sans tenir compte, consciemment ou par négligence, desPachtounes qui se sont ainsi retrouvés de deux côtés de la frontière. Mais ce seul facteur ne saurait pas expliquer toute la complexité de la situation en Afghanistan. La parole au docteur en histoire Sergueï Gouk et à son invité, l'historien et diplomate, Valentine Faline qui a participé à l'élaboration de la stratégie soviétique en Afghanistan.

Pour beaucoup celle-ci s'est formée sous une influence extérieure. Laissons de côté les temps passés et regardons de près les origines récentes du conflit actuel. Ce sont les guerres civiles, l'intervention soviétique et celle de l'OTAN.

« C'est dès 1943 que les Américains ont commencé à « prospecter » l'Afghanistan en tant que leur base de départ en Asie. Ils ont donc commencé à agir dans ce sens en utilisant le Pakistan, l'Iran où ils avaient établi le contact avec le Shah. C'est avec leur participation qu'il y a eu plusieurs opérations militaires depuis le territoire pakistanais contre l'Afghanistan. Malgré nos avertissements ils continuaient. Ensuite le roi a été renversé toujours à l'aide de Washington. Enfin, en avril 1978 il y a eu une opération contre les officiers de gauche dans l'armée afghane qui critiquaient l'orientation de l'Afghanistan vers les Etats-Unis ainsi que sa transformation en Pakistan numéro deux et la détérioration des rapports avec l'URSS. Ces officiers étaient condamnés à une peine de mort. Mais à la veille de leur exécution il y a eu un coup d'Etat. Amin, Taraki et compagnie se sont emparés du pouvoir », affirme le docteur en histoire Valentine Faline.

Si seulement le peuple savait quel est la vraie nature de ceux qui le dirigent...

Les leaders de cette révolution d'avril voulaient suivre l'exemple de la Mongolie et passer du féodalisme au socialisme au mépris de toutes les lois de développement. Une réforme agraire, sociale et éducative a été mise en œuvre. C'était un échec surtout dans le domaine de l'agriculture. Les paysans refusaient à prendre des terres confisquées. Pour les musulmans qu'ils étaient, c'était du vol. Les sages du Kremlin pouvaient ignorer ou ne pas tenir compte de toutes les nuances de la mentalité afghane mais comment expliquer la cécité des révolutionnaires de la dernière pluie ?

En avril 1979 c'est la guerre civile en Afghanistan. Les nouvelles autorités ne contrôlaient à peine que les grandes villes du pays. Il n'y rien d'étonnant parce que le Parti démocratique populaire ne constituait que 0,5% de la population y compris les sympathisants. Par ailleurs, des groupes financés par les Américains attaquaient régulièrement depuis le territoire pakistanais ou iranien. L'Union soviétique était priée à prêter main forte.

Au début la position du Kremlin était très ferme.

« Vous avez fait cette révolution sans nous consulter, sans le feu vert de Moscou. Maintenant c'est à vous de défendre votre révolution. Nous sommes prêts à vous donner de l'aide matérielle, vous aider en armes mais c'est à vous de sauver la révolution.

Après cela nous avons reçu près de 13 demandes de la part d'Amin et de Taraki d'aider à accuser les coups des Américains. Pendant longtemps ces demandes sont restées sans réponse. Andropov et Kossyguine étaient contre. Ensuite le retournement de la situation. Moi, j'ai participé à  la composition des messages adressés au gouvernement américain où j'indiquais : un tel paquebot a quitté un tel port britannique avec une charge d'armes à bord ; il est arrivé à tel port pakistanais d'où les armes ont été livrées àPeshawar pour être acheminer en Afghanistan. Dans le nord du Pakistan il y avait des camps de formation des mercenaires. La réponse était invariablement la même : nous ne savons rien. Nous n'allons donc pas agir. Bref, il s'agit non de la lutte à l'intérieur de l'Afghanistan mais de la tentative des Américains d'imposer à l'Union soviétique le deuxième Vietnam », dit Valentine Faline.

Mais on a finir par y mettre le pied...

Pour Valentine Faline, l'intervention soviétique en Afghanistan était une erreur gravissime du gouvernement. Les armes modernes sont à la pointe de la technologie mais on oublie que les Afghans continuent à vivre au XV ou XVI siècle, rappelle l’historien. De quelles transformations socialistes, que quelle dictature du prolétariat peut-on parler s'il n'y a que 30 000 d'ouvriers?

« Mais nous avons fini par intervenir. Ousstinov (le ministre de la Défense soviétique) disait : deux ou trois mois nous suffiront pour mettre tout en ordre. Mais lorsqu'on a commencé à s'enliser, lorsqu'on a dû affronter les soldats de pratiquement tout les pays de l'OTAN, il a fallu choisir : soit aller au Pakistan c'est-à-dire procéder à l'américaine – lorsqu'il y avait des combats dans le Sud du Vietnam, les Américaines larguaient des bombes sur le Vietnam du Nord – soit de trouver une autre solution ».

C'est l'indécision qui tue. C'est à cette conclusion qu'arrive Valentine Faline qui a participé aux négociations entre le leader afghanBabrak Karmal etBrejnev en 1982. L'armée soviétique s'est en fait transformée en principale force dirigée contre les moudjahid.

Nul n'est prophète en son pays...

Valentine Faline :

« J'ai tenté à réaliser une opération délicate. Nous, les militaires, avaient des contacts avec le commandantAhmed Chah Massoud. On lui a demandé s'il se chargeait de mettre tout en ordre en Afghanistan. La réponse était : si j'ai les mains libres, dans 6 ou 8 mois vous aurez ce que vous appeler l'ordre. J'ai négocié le changement de cap pour que nous, on ne soit que simples conseillers et que c'est quelqu'un d'autre qui se charge des opérations militaires. Mais il y a eu une personne au Comité central du parti communiste qui a rapporté à Andropov ce que je prenais de nouveau part aux événements en Afghanistan. J'ai été exclu du Comité central ».

Lorsque Reagan devient président des Etats-Unis, il agit contre l'URSS sur tous les fronts. Les moudjahid ont eu à leur disposition lesStinger et d'autres armes modernes ainsi que les informations sur les déplacements des troupes soviétiques. Les pertes parmi les soldats soviétiques étaient considérables. Neuf ans, un mois et 19 jours après l'intervention en Afghanistan l'Union soviétique a procédé au retrait de ses troupes. Plus de 15 000 soldats ont été tués. C'était le prix payé pour une autre « épreuve de force » entre l'URSS et les Etats-Unis. Encore une après celle de Corée, de Cuba, de Vietnam, de Mozambique... Selon le général de bridage Alexandre Liakhovskiy, les Soviétiques n'avaient pas de difficultés particulières pour mener des combats. Leur problème, c'était ce que les victoires militaires n'étaient pas suivies par les victoires politiques et économiques à l'intérieur du pays.

Le départ des troupes soviétiques en 1989 n'ont pas amélioré la situation en Afghanistan...

De nouveau, la guerre civile fait rage en Afghanistan en opposant des groupes armés. Les victimes, c'étaient les femmes, les personnes âgées, les enfants. Les armes continuaient à être livrées en abondance en provenance des Etats-Unis, des pays de l'OTAN et du Pakistan. Les seigneurs de guerre en ont bien profité.

Le règne des talibans n'a pas duré longtemps. Un mois après les attentats du 11 septembre 2001 les Etats-Unis ont fait leur intervention en Afghanistan. Le prétexte pris était le soutien par Kaboul des terroristes, la main prêtée au chef d’Al-Qaïda Oussama Ben Laden qui avait d'ailleurs collaboré avec la CIA, l'hébergement sur le territoire pakistanais des camps de formation des terroristes. Par la suite aucune des ces accusations ne s'est trouvée confirmée.

Au début le régime des talibans avait l'air d'un tigre de papier.

En effet, il a été renversé en seulement un mois et demi. Il est vrai que les forces de l'OTAN étaient soutenues par l'Alliance du Nord. Mais dès que celle-ci s'est retirée la machine de guerre occidentale s'est arrêtée net. Les talibans sont devenus des maquis. En théorie les Américains aurait depuis longtemps dû prendre sous contrôle chaque centimètre de la terre afghane. Il en est rien : avec soutien de la population civile l'ennemi reste insaisissable. Les soldats et policiers afghans ne sont pas fiables. Enfin les mouvements radicaux pakistanais sont d'une aide précieuse pour les talibans afghans.

Ceux-ci disposent d'un autre allié : les narcotrafiquants finançant les terroristes. Avec l'intervention des forces de l'OTAN en Afghanistan la production de l’héroïne et d'autres stupéfaits a augmenté de 40 fois. Corrompu, le gouvernement en place n'agit pas contre le narcotrafiquant. L'establishment local fait son beurre sur ce sale business. C'est la Russie qui souffre le plus du narcotrafic afghan. Mais même dans les pays de l’OTAN le nombre de personnes mortes de la surdose d’héroïne afghane dépasse le nombre de soldats occidentaux tués depuis le début de l'intervention en Afghanistan. Enfin, les drogues causent de pertes considérables parmi la population locale.

Mais personne ne veut détruire l'origine du mal...

Les experts expliquent l'indifférence des Occidentaux face à ce problème par le calcul froid et cynique. Les militaires sont convaincus qu'un toxicomane afghan vaut deux chômeurs afghans. Puisque ces derniers risquent de rejoindre l'armée des talibans. Les agriculteurs afghans peuvent bien cultiver autre chose que le pavot, affirment les experts. Il y avait une époque où tous les produits alimentaires étaient produits dans le pays. Mais personne ne pense priver les talibans de leur principal moyen de financement. Les commandants peuvent donc se permettre de payer à leurs soldats un salaire bien supérieur à celui des militaires ou policiers afghans.

En dix ans de guerre d'Afghanistan il y a une autre circonstance intéressante qui est apparue. L'objectif initial de cette guerre s'est estompé. Aujourd'hui presque personne ne souffle pas mot du « foyer de terrorisme » ou du « menace pour l'Occident ». Il n'y a qu'une question qui préoccupent les esprits : est-ce qu'on réussira à battre les talibans ou pas? Mais personne ne saurait dire qui sont ces talibans. Cela fait longtemps qu'on n'a pas entendu de déclarations de la part des chefs talibans. Les opérations militaires entreprises par ceux-ci ressemblent plutôt à des opérations de différents groupes armés privé d'un seul commandement. Les experts se demandent s'il ne s'agit pas aujourd'hui de la lutte des Pachtounes d'Afghanistan et de Pakistan pour l'indépendance ce qui demande de chasser les envahisseurs. Quoi qu'il en soit, il est clair que les Etats-Unis et l'OTAN n'ont pas pu identifier l'ennemi et n'ont donc pas de stratégie élaborée.

« Quelle est la différence entre notre intervention à nous et l’intervention d'aujourd'hui ? Les Américains n'arrivent pas à prendre la situation sous contrôle. En fait, ils contrôlent à 90% tout ce qui touche à la formation, au déplacement, à l'aide extérieure voire au financement intérieur des forces armées sur le territoire afghan. A l'époque c'était au fond une sorte de guerre menée contre l'Union soviétique. L'opération américaine en Afghanistan est en fait une opération locale qu'on n'arrive toujours pas à terminer. Présentée par les Américains comme une opération de liberté, elle ne sert qu'effacer les traces de leurs « exploits » passés. J'ai l'impression que les Etats-Unis commettent la même erreur que nous avons commis à l'époque. Il est impossible de changer l'Afghanistan, le faire évoluer par la force. Le changement demande du temps et d'énormes moyens. Et l'or y a son rôle à jouer. Aujourd'hui c'est la drogue qui joue le rôle semblable à celui de l'or », indique Valentine Faline.

Et la Russie dans tout cela?

Malgré tout les Américains restent fidèles à eux-mêmes. Leur stratégie est la même : la démocratie par la force. L'enjeu, ce sont les bases militaires, le contrôle de la région stratégique au Moyen Orient, la possibilité de garder un œil sur l'Iran et la Chine. Les généraux américains ne se lassent pas à dire : donnez-nous plus de soldats et vous aurez la victoire. Mais malgré le renforcement du contingent militaire en Afghanistan les choses ne s'avancent pas. Et voilà que le retrait des troupes occidentales est annoncé, équivalent à la reconnaissance de la défaite. Peu à peu on prend conscience : il fallait s'associer avec les talibans modérés. La question est comment les reconnaître, comment distinguer les bons et les mauvais talibans, enfin comment les mettre à la table de négociations?

L’Occident cherche à pousser la Russie à « s'impliquer plus activement au règlement afghan ». L'idéal, ce serait que Moscou retombe dans le même piège. La position du Kremlin n'inspire pas de craintes pour l'instant : le gouvernement russe est loin de décider d'envoyer les jeunes Russes à la mort. C'est ce qu'a déclaré le secrétaire du Conseil de Sécurité, Nikolaï Patrouchev: « Nous sommes catégoriquement contre ce que nos gars se battent en Afghanistan ».

Il est vrai qu'il existe un tas d'autres façons de participer indirectement au conflit. En 2008 lors du sommet de l'OTAN à Bucarest le Premier ministre russe Vladimir Poutine a signé un accord sur le transport des charges non-militaires de l'Alliance atlantique via le territoire russe. Un an plus tard le président russe Dmitri Medvedev s'est mis d'accord avec le président Barack Obama pour élargir la liste de charges autorisées à transiter par la Russie. Désormais les Ricains acheminent leurs soldats et leurs armes par les chemins de fer et voies aériennes de Russies.

Plus on fait de concessions, plus on perd en estime et volonté de tenir compte des intérêts de son « partenaire stratégique ». Washington continue à négliger les problèmes de la sécurité de la Russie. Les Américains semblent s'être installés pour toujours dans les ex-républiques soviétiques en Asie Centrale qui ont accepté d’accueillir leurs bases militaires. L'objectif est d'obtenir la perte progressive par la Russie de l'influence dans cette région riche en ressources naturelles. L'OTAN s'active désormais non seulement à l'ouest de la Russie mais aussi au Sud de celle-ci. Une bonne expression a été trouvée par un expert pour décrire toute cette situation : aider l'OTAN de battre les talibans est équivalent à conclure une alliance avec le diable contre Lucifer.

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