Trois ans après la guerre des cinq jours : la léthargie russe

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Trois années seulement se sont écoulées depuis la guerre russo-géorgienne, cependant on a l’impression que c’était il y a très longtemps.

Trois années seulement se sont écoulées depuis la guerre russo-géorgienne, cependant on a l’impression que c’était il y a très longtemps. Depuis, beaucoup d’événements se sont produits dans la politique mondiale, en mettant au second plan les problèmes géorgiens et à bien des égards dans l’espace postsoviétique en général. La crise financière mondiale, le changement de pouvoir et l’intensification de la lutte politique aux Etats-Unis, le déclin de l’Union européenne, la vague de cataclysmes au Moyen-Orient, la montée de la tension en Asie orientale, la campagne afghane au point mort – tout cela a rejeté à la périphérie la question de la confrontation entre la "jeune démocratie géorgienne" et  "l’Empire russe". Mais les problèmes qui ont conduit à la guerre des cinq jours n’ont pas disparu après sa cessation. Toutefois, Moscou ne semble pas avoir déployé une grande activité pour trouver une perspective plus favorable.

Le seul résultat incontestablement positif : la situation est stable et aucune menace de reprise du conflit ne se fait sentir. Par rapport à la tension constamment croissante au milieu des années 2000, le statu quo actuel, bien qu’il ne soit officiellement reconnu pratiquement par personne, garantit des règles de conduite stables. A titre privé les représentants de l’Union européenne, chargés du monitoring sur place, doivent également le reconnaître.

Puis les difficultés commencent. Avant tout, Moscou a sous-estimé la solidité des positions de Mikhaïl Saakachvili. Immédiatement après la guerre, on avait l’impression que les événements allaient évoluer selon le scénario traditionnel pour la Géorgie : le chaos politique et le renversement du troisième président du pays. Cependant, rien de tel ne s’est produit. En se remettant du choc, le dirigeant géorgien a réussi à convertir les fruits de son propre aventurisme en dividendes.

La Géorgie s’est assuré le soutien politique de l’Occident (quoi que l’on y pense de ses actions, il n’est pas correct d’abandonner un allié dans une telle situation) et des fonds considérable pour les normes locales (4,5 milliards de dollars) pour la réhabilitation. Le gouvernement a acquis une image convenable et indiscutable d’un ennemi en la personne de la Russie, ainsi qu’un prétexte pour réprimer l’opposition, qu’elle soit liée à Moscou ou non. Pendant la première année qui a suivi la campagne, notamment après le changement de "l’équipe"  à Washington, Saakachvili était d’une certaine manière isolé de l’Occident, où l’on tentait d’éviter des gestes prononcés en sa faveur, cependant l’attitude envers lui a changé par la suite. Bien sûr, nous n’avons pas assisté à quelque chose de similaire à 2004-2008, lorsque l’administration de Bush misait pratiquement tout sur le soutien de Tbilissi, mais le "business traditionnel"  a été rétabli.

Pendant tout le temps, Moscou préférait ignorer la Géorgie, et ne pas formuler sa politique à l’égard de ce nœud de problèmes. A l’exception des tentatives d’élargir le cercle des Etats reconnaissant l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, grâce au recrutement des pays lointains ou qui ont besoin d’argent. L’utilité de cela est très douteuse, car au fond cela ne change rien, qui plus est place la Russie et nouveaux pays dans une situation assez ridicule.

Lorsque Moscou a unilatéralement reconnu les deux anciennes autonomies géorgiennes, il n’existait probablement pas d’autre issue : l’absence d’un statut au moins quasi-légal aurait rapidement conduit à une nouvelle guerre. Depuis le début il était clair que cela provoquerait des problèmes politiques pour une longue période. Et ils ne sont pas liés à la question de la reconnaissance de ces territoires, qui est secondaire, mais au fait que le changement forcé des frontières ne peut être conceptuellement approuvé par aucun des Etats souverains sérieux, indépendamment de leur attitude envers la Russie ou la Géorgie. Et cette question fera constamment surface aux moments les plus inopportuns, ce dont la Géorgie prendra, bien sûr, soin. La position "nous les avons reconnus, le reste ne nous importe pas", sans accompagnement politico-propagandiste approprié, ni travail sur la sortie des nouveaux pays à un autre niveau, conduira au final la Russie dans une situation d’aliénation de tout le monde. Il est clair que même à terme les Etats importants ne reconnaîtront pas les deux territoires autonomes, mais la dynamisation des contacts internationaux informels avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud est nécessaire.

L’insolubilité de la situation dans le Caucase du Sud crée des difficultés pratiques pour la Russie. Premièrement, l’allié de Moscou, Erevan, s’est retrouvé encore plus isolé, notamment en termes de coopération militaro-technique. Evidemment, la Géorgie n’a pas l’intention de contribuer au renforcement de la présence russe dans la région. Deuxièmement, les relations se détériorent avec l’Abkhazie, qui espère plus qu’une indépendance nominale, reconnue pratiquement par personne, et aspire à une souveraineté à part entière et non formelle. Les frictions sont programmées. Troisièmement, la Géorgie ne reste pas assise les bras croisés et mène une politique consciente, bien que très risquée, d’influence sur le Caucase du Nord russe, en contribuant à la déstabilisation d’une région déjà explosive. Vraisemblablement, cela va s’accroître au fur et à mesure de l’approche des Jeux olympiques de Sotchi. Je ne mentionne pas dans ce contexte le problème de l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : la Russie n’est toujours pas dans une situation où la Géorgie est le seul obstacle, et il n’y a aucune certitude qu’elle y arrivera.

Par ailleurs, le dernier thème est seul discuté, le reste est en dehors du champ de discussion et d’actions actives. Toutefois, il faut prendre en compte que Tbilissi sait jouer sur les cordes politiques à Washington et utilisera indubitablement la campagne électorale qui y a commencé dans son intérêt. L'idée populaire véhiculée en Russie selon laquelle Saakachvili est un psychopathe et une marionnette américaine est incorrecte et ne favorise pas l’analyse. Il faut reconnaître que le président géorgien est un politicien fort qui a bien conscience de ce qu’il veut et comment y arriver, mais n’évalue pas toujours le risque. Pour cette raison dans les 12-18 mois à venir il faut s’attendre à une dynamisation progressive de Tbilissi et de ses amis sur toutes les scènes internationales. En principe, cela a déjà commencé au sein de l’ONU et du Congrès américain. L’absence de politique russe traduite par la position " tant que le criminel militaire est au pouvoir, nous ne bougerons pas le petit doigt", pourrait conduire à une situation où il faudrait une nouvelle fois prendre une décision extrême.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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La Russie est-elle imprévisible? Peut-être, mais n'exagérons rien: il arrive souvent qu'un chaos apparent obéisse à une logique rigoureuse. D'ailleurs, le reste du monde est-t-il prévisible? Les deux dernières décennies ont montré qu'il n'en était rien. Elles nous ont appris à ne pas anticiper l'avenir et à être prêts à tout changement. Cette rubrique est consacrée aux défis auxquels les peuples et les Etats font face en ces temps d'incertitude mondiale.

Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs.

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