Les allusions les plus claires au sujet du prochain président russe viennent, comme toujours, de l’étranger. Le président russe Dmitri Medvedev a tenu un discours devant les participants au forum Dialogue de Saint-Pétersbourg à Hanovre et a dérouté son auditoire de façon surprenante en faisant allusion à la politique intérieure russe à venir. Il a d’abord déclaré que ce forum était une "bonne invention", mais surtout qu'il était important qu'il ne devienne pas "ennuyeux." Cette onzième réunion du forum depuis 2001 n’aura certainement pas été marquée par l’ennui.
Car le bref discours d’introduction a été suivi par une réplique inattendue, qui ne faisait certainement pas partie du discours officiel, adressée à la chancelière allemande Angela Merkel: "Nous avons convenu qu’avec toi on ne présiderait pas ce forum avant longtemps."
Merkel, candidate à la présidence du forum
Il convient de rappeler ici que jusqu’en 2009 le Comité de coordination du forum était composé d’anciens chefs d’Etat. Du côté allemand, le dernier dirigeant de l'Allemagne de l'est, Lothar de Maizière, a tenu et tient toujours ce rôle. Pour la Russie, Mikhaïl Gorbatchev l'a représentée jusqu'en 2009, et aujourd’hui, ce poste est occupé par le vice-premier ministre, Viktor Zoubkov.
A l’heure actuelle, tout le monde essaye de comprendre ce que le président russe a voulu dire: qu’il serait certainement réélu, ou qu’il resterait aux plus hauts échelons du pouvoir russe dans une fonction différente mais très importante. Pratiquement tous les pays du monde essayent avec de plus en plus d’insistance de trouver la réponse à cette question.
L’Allemagne est un pays qui a des relations particulières avec la Russie, une amitié gazière spécifique, l'espoir de voir croître ses exportations en Russie et de faire des investissements intéressants. Elle fait aussi preuve d'un intérêt particulier. La majorité est encline à croire à la première version (le second mandat de Medvedev), bien que nul n’exclue les autres possibilités. Il est de plus en plus difficile pour les Allemands, comme pour les Russes, de comprendre la politique et la disposition des forces russes.
En Allemagne, les prochaines élections législatives auront lieu en 2013. A moins qu'Angela Merkel ne soit contrainte de partir plus tôt car les électeurs ne sont plus aussi satisfaits de leur chancelière qu’auparavant. Selon les derniers sondages d’opinion, les socialistes et les verts devancent d'environ 10% la coalition CDU/CSU au pouvoir (l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne et l’Union chrétienne-sociale en Bavière).
Il semble ainsi qu’Angela Merkel soit bien plus proche de coprésider le forum Dialogue de Saint-Pétersbourg que ne l'est Dmitri Medvedev.
Les vapeurs de gaz de l’amitié russo-allemande
Lors de ces forums, accompagnés de consultations intergouvernementales, auxquels participent les principaux ministres, le plus intéressant se passe toujours "en coulisses". Bien avant cette réunion, il était clair qu'on attendait des progrès en ce qui concerne les accords économiques. Berlin fonde de grands espoirs sur la Russie en tant que marché d'exportation pour ses produits: sans cela le premier exportateur de l’UE aura d’importants problèmes économiques. Notamment dans le contexte de la crise des dettes souveraines qui secoue l'Union européenne et des incertitudes qui entourent l'évolution de la conjoncture de toute la Grande Europe. Il est certain qu'à court terme, la demande ne devrait pas y augmenter.
Mais en Russie, la demande existe. Medvedev a ouvertement déclaré que cette année les échanges commerciaux atteindraient le niveau record de 2008. Cela signifie qu’ils pourraient dépasser 60-70 milliards de dollars (51,8 milliards de dollars en 2010). Dans le même temps (en 2008), l’Allemagne a investi en Russie 10,4 milliards de dollars. Les deux pays mettent actuellement en œuvre le programme Partenariat et Modernisation, qui sera étendu à de nouveaux secteurs: des transports ferroviaires aux nouvelles usines de pneumatiques, en passant par l’échange de hautes technologies.
Mais aujourd’hui les Allemands sont de plus en plus préoccupés par les fondements énergétiques de la prospérité économique du pays. Après la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon, Berlin a annoncé le début de l’arrêt des centrales atomiques et sa sortie définitive du nucléaire pour 2022. Cependant, il n'existe pas d'alternative pour couvrir ses besoins énergétiques, à moins d'augmenter les importations de gaz russe (en premier lieu) et de pétrole.
L’Allemagne est le premier importateur de gaz russe en Europe. Il est désormais difficile de compter sur la fiabilité de l'approvisionnement énergétique venant d'autres sources, comme l’Afrique du Nord. Les pays de cette région mettront encore beaucoup de temps à se remettre de "l’élan révolutionnaire" qu'ils traversent. Et on ignore ce qui arrivera en Libye, la plus grande puissance gazière d’Afrique du Nord.
Or, en raison du début de la fermeture des centrales nucléaires, les usines allemandes connaissent déjà des problèmes d'approvisionnement électrique. Et les prix de l’électricité commencent progressivement à prendre l'ascenseur. Dans cette situation, il est difficile de se passer de Moscou quand bien même ce "rapprochement gazier" entre la Russie et l’Allemagne provoque toujours une forte opposition politique de Washington.
On dit que Berlin et Moscou n’excluent pas la construction d'un troisième tronçon du gazoduc Nord Stream, qui acheminera du gaz russe vers l'Europe en passant sous la mer Baltique. Les deux premiers devraient être mis en service dès le mois d'octobre 2011, autrement dit deux tubes sont déjà installés. Quoi qu’il en soit, cette question a été abordée pendant l’entretien de Merkel avec Medvedev.
Si un troisième tronçon reliait l’Allemagne et la Russie, les liens gaziers entre les deux pays seraient encore plus forts que ne le prévoyait le prédécesseur de Merkel, Gerhard Schroeder, actuellement le chef du comité des actionnaires de Nord Stream AG, principal opérateur du gazoduc éponyme. Il n’est pas exclut que si Nord Stream était rallongé, la Russie soit contrainte de suspendre les travaux de construction de son autre gazoduc, South Stream. D’autant plus que les négociations pour la mise en œuvre du projet rencontrent des difficultés avec la Turquie et la Bulgarie. South Stream est un projet auquel participent la Russie, l’Italie et la France. Il était prévu de faire passer ce gazoduc sous la mer Noire en reliant la région de Novorossiïsk à la région de Varna en Bulgarie, puis à l’Autriche et à l’Italie en passant par les Balkans.
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