« Je ne te reverrai jamais, je ne t’oublierai jamais », les paroles et la mélodie touchante de cette romance que chantent les personnages principaux de l’opéra rock « Junon et Avos » avant de se séparer, sont connues de tous en Russie. La première de ce légendaire opéra rock a eu lieu il y a exactement 30 ans.
Le spectacle « Junon et Avos » était une performance expérimentale qui, du jour au lendemain, est devenue une sensation pour devenir 30 ans après une véritable légende vivante qui se joue invariablement à guichets fermés. En quoi cette histoire montée encore à l’époque soviétique par les grandes figures de leur temps, feu le poète Andréï Voznessenski, le compositeur Alexeï Rybnikov et le metteur en scène Marc Zakharov fascine-t-elle le public?
Pour Voznessenski, le spectacle a commencé au cimetière de San Francisco ou il a vu les tombes du premier gouverneur de la ville, Jose de Arguello, et de sa fille Conchita. Le poète a été inspiré par l’histoire dramatique de l’amour de Conchita et du comte russe Nicolaï Rezanov . Les amoureux ne devaient jamais se retrouver parce que le comte est mort alors qu’il revenait en Russie. Quant à Conchita, elle a attendu son fiancé pendant 35 ans refusant de croire les nouvelles de sa mort et a fini par se retirer dans un monastère. Ce personnage historique est devenu pour Voznessenski une personnification de l’homme moderne en quête du sens de la vie. Le public devinait facilement le message à peine voilé du poète et exultait en voyant le pavillon Saint-André que battait jadis la marine russe, l’image de la Vierge à l’enfant et écoutait dans un silence religieux les cantiques et les prières orthodoxes. Pour ne rien dire des mélodies lyriques qui allaient droit au cœur sur fond d’un enregistrement rock multicanal que le compositeur Rybnikov était le premier à maîtriser en Union Soviétique. C’était tout simplement incroyable à l’époque, se souvient le metteur en scène Marc Zakharov, « Après le spectacle, les spectateurs nous ont fait une ovation monstre en se tenant debout. J’ai compris plus tard que cet événement avait une grande résonance après avoir lu dans le magazine allemand « Stern » que le théâtre « Lenkom » faisait désormais l’éducation religieuse de la jeunesse dans une Union Soviétique athée »
« Les sons d’un rock endiablé parviennent jusqu’au Kremlin qui est à proximité du théâtre », - écrivait le magazine, selon le metteur en scène. « Je me demande pourquoi les auteurs de l’article ont mis ces lignes eux qui connaissaient bien les règles du jeu et ont pointé du doigt la bévue commise par une censure curieusement accommodante. D’ailleurs, nous étions prêts à affronter les interdits et avons même tracé une ligne rouge à ne pas franchir. Pourtant, nous l’avons franchie et la prière « Bénit soit l’amour » chantée en finale est devenue universellement célèbre et était même interprétée par un chœur d’enfants ».
C’est elle qui a accompagné, il y a un mois à Moscou, la première mondiale de la nouvelle collection de Pierre Cardin. En son temps, c’est précisément Pierre Cardin qui a organisé la tournée à l’étranger de ce spectacle. C’est grâce à lui que le public des théâtres de Broadway, de New York et d’Allemagne a pu entendre et voir l’opéra rock russe. D’ailleurs, ce spectacle était avant tout destiné au public russe, fait ressortir Marc Zakharov. « Je dois noter cependant que Elena Chanina, la première interprète du rôle de Conchita, avait eu un succès époustouflant à Paris ».
On l’appréciait même plus qu’à Moscou parce qu’à Moscou, elle était sans doute à l’ombre de son partenaire Nikolaï Karatchentsov, immensément populaire en Russie. Or, tous étaient égaux en France et le triomphe a été scellé par la célèbre chanteuse Mireille Mathieu qui a remis à Elena un énorme bouquet de roses écarlates.
Le personnage de Conchita en est déjà à sa septième interprète et d’autres comédiens ont repris le flambeau de Nikolaï Karatchentsov. « Je pense que le spectacle y gagne », - pense son metteur en scène Marc Zakharov.