Le Conseil Russie-OTAN (CRO), qui s’est tenu le 4 juillet à Sotchi, a soulevé le thème de la défense antimissile (ABM) américaine en Europe et a une nouvelle fois décidé de le reporter. L’interruption durera cette fois jusqu’à la réunion de Chicago, où en mai 2012 se tiendra le prochain sommet de l’OTAN, en parallèle avec la réunion du G8. Cela donne à penser, car Chicago est pratiquement la ville natale du président américain Barack Obama: il a été sénateur de l’Illinois, et Chicago est la plus grande ville de cet Etat. Obama y a déjà déployé son quartier général de campagne électorale pour la présidentielle de 2012.
L’affaire ne s'est pas radicalisée à l'extrême
Après la réunion de Sotchi, le président russe Dmitri Medvedev a reçu les ambassadeurs de l’OTAN et a exprimé sa satisfaction du bilan de la réunion du CRO. "Je pense que dans l’ensemble nous sommes inspirés par les résultats obtenus. Comme on me l’a rapporté, la réunion du Conseil Russie-OTAN, qui vient de s’achever, a été productive dans l’ensemble."
C’est une bonne nouvelle. Le fait est que ces derniers temps les réunions du Conseil Russie-OTAN rappelaient des rencontres de personnes munies d’appareils auditifs différents. Tout le monde entend ce qu’il souhaite entendre, et donne des interprétations différentes, voire opposées, de ce qui a été entendu.
Mais cette fois, le secrétaire général de l’OTAN Anders Fogh Rasmussen a déclaré que "nous [commencions] à voir les choses de la même manière" concernant l’ABM, et qu’il était préférable de prendre son temps pour arriver à une bonne entente à ce sujet. Si la seconde thèse "prendre son temps pour arriver à un bon résultat" est indéniable, on ignore ce que Rasmussen sous-entendait par la première. Sa proposition d’attendre jusqu’à Chicago, où il espère que "nous pourrons trouver un terrain d’entente pour l’ABM", intrigue également.
Ensuite, le Conseil Russie-OTAN s’est tenu au niveau des ambassadeurs. Généralement, à ce niveau on ne s’attend jamais à un résultat révolutionnaire. Mais après les négociations, les ambassadeurs de l’OTAN ont été reçus par le président russe Dmitri Medvedev.
Auparavant, certaines rumeurs disaient qu’il poserait une sorte d’ultimatum à l’OTAN: soit on trouve une solution dans l’année (la Russie est intégrée dans la création du nouvel ABM à part entière ou l'ABM est mis en place selon le principe sectoriel: l’OTAN et la Russie définissent leurs secteurs de défense), soit Moscou prend des mesures en conséquence, en augmentant ses forces ABM, en déployant de nouveaux missiles à ses frontières ou quitte même le nouveau Traité de réduction des armes stratégiques START-3, signé par Medvedev et Obama en avril 2010. Ces options ont été énoncées par le représentant permanent de Moscou auprès de l’OTAN Dmitri Rogozine.
Il est bon que l’affaire ne se soit pas radicalisée à l'extrême, et qu’au moins une pause ait lieu jusqu’à l’année prochaine, lorsque le sommet de l’OTAN et du G8 se tiendra en mai à Chicago.
Dmitri Rogozine est à la fois pugnace et enclin aux comportements émotionnels. Toutefois, il n’a certainement pas formulé d’avertissements aussi fermes sans tenir compte de la position du président russe.
En principe, la Russie est en mesure de mettre œuvre tout ce qui a été dit ci-dessus. Mais il faudrait réfléchir au prix à payer. Aussi bien économique que politique.
Sur le plan matériel, tout cela signifierait l’allocation d’importants fonds pour une nouvelle course aux armements. Dans l’état hypotonique de l’économie russe, cela reviendrait à un don de sang d’une personne gravement anémiée. La Russie ne pourrait pas tenir longtemps à ce rythme. L’état de l’économie et des finances des pays de l’OTAN est également loin d’être brillant, mais il est bien plus facile d’accumuler les fonds en équipe qu'en étant seul. Bien qu'en fait tout cela serait principalement financé par les Etats-Unis.
Une pause jusqu’à l’élection aux Etats-Unis?
Les Etats-Unis y jouent le rôle principal. Il s’agit de "leur" système. Il est difficile de s’imaginer que Barack Obama, à un an de la présidentielle, renonce complètement à ses plans d’ABM européen modernisé. Il a déjà modifié les plans de Bush. Une seconde concession à la Russie serait un bien trop grand cadeau pour les républicains. L’économie américaine n’est pas au mieux de sa forme, et si la situation s’aggravait, et que, par ailleurs, un nouveau retrait soit opéré sous la pression de Moscou dans le domaine de l’ABM, Obama ne serait jamais réélu pour un second mandat. Or, il serait bien plus difficile, voire impossible, pour la Russie de s’entendre avec les républicains.
En ce qui concerne cette question, la Russie devra effectivement faire une pause, et elle durera plus longtemps que jusqu’aux réunions de Chicago. Elle durera certainement jusqu’à la fin de la présidentielle aux Etats-Unis.
Il est clair pour tous qu’il faut chercher un terrain d’entente avec les Etats-Unis sur l’ABM, et non pas avec l’OTAN. Avec les Etats-Unis, individuellement.
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov rappelle sans cesse que le Conseil Russie-OTAN travaille sur une base très particulière. Il l’a déclaré à Sotchi, en faisant remarquer que le CRO "travaille sur une base nationale équitable: un pays – une voie, et non pas l’OTAN plus la Russie." Autrement dit, la Russie s’entend au Conseil non pas avec l’OTAN, mais avec chaque pays en particulier. On ignore alors pourquoi le Conseil Russie-OTAN existe s’il est possible de s’entendre avec chaque pays individuellement. Et l’OTAN sait-il que chacun peut fonctionner séparément? Mais si tel est le schéma, on ne peut rien y faire.
Le Conseil est né le 28 mai 2002 au sommet Russie-OTAN de Rome. Le site officiel de l’OTAN indique son principal objectif: "être un forum de consultations et un mécanisme pour parvenir au consensus, à la coopération, à l’élaboration des décisions conjointes et des actions sur toute une série de questions concernant la sécurité dans la région euro-atlantique." Mais pour l’instant, il ressemble plutôt à un mécanisme de recherche permanente d'un objectif que l'on n’arrive pas à atteindre.
Et il n’existe aucune garantie qu'une solution puisse être trouvée à Chicago. Peut-être la Russie doit-elle réellement formuler sa demande d'adhésion à l’OTAN? Soumettre l’Alliance au test de sincérité? Ainsi, tous les problèmes disparaîtront, et ce sera la grande Journée de la jonction OTAN-Russie.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction