La reconnaissance du CNT en Libye: une démarche hâtive et risquée

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La rencontre entre le colonel Mouammar Kadhafi et le président de la Fédération internationale d'échecs (FIDE) Kirsan Ilioumjinov s’est tenue, comme on le disait à l’époque soviétique, "dans une ambiance chaleureuse et conviviale."

La rencontre entre le colonel Mouammar Kadhafi et le président de la Fédération internationale d'échecs (FIDE) Kirsan Ilioumjinov s’est tenue, comme on le disait à l’époque soviétique, "dans une ambiance chaleureuse et conviviale." Mais l’entretien entre les deux guides du peuple (entre l’ancien et l’actuel) n’a eu aucune retombée juridique. Par contre, les rebelles libyens ont eu plus de chance avec les visiteurs étrangers.

Le ministre allemand des Affaires étrangères Guido Westerwelle, au cours de sa visite dans la capitale des rebelles à Benghazi, a solennellement déclaré que désormais Berlin reconnaissait le Conseil national de transition (CNT) formé par les opposants à Kadhafi en tant que représentant légitime des intérêts du peuple libyen. Après l’Allemagne, le Conseil national de transition libyen a été reconnu par le Canada. De tout mon cœur je souhaite l’effondrement du régime de Kadhafi. Mais la vague de reconnaissances diplomatiques qui s’est abattue aujourd’hui sur les rebelles libyens n'ôte pas en moi le sentiment d’inquiétude qui me taraude.

Dans les années 1930, il existait sur Terre un pays très intéressant: le Grand Empire mandchou. Le Mandchoukouo avait tous les attributs d’un Etat: son propre monarque, le dernier empereur de Chine Puyi (ou Pu Yi), sa propre armée sous la forme de la garde impériale. Son propre hymne: dans le chant à un seul couplet les Mandchous étaient appelés à "libérer leur pays du chagrin."

Le Grand Empire mandchou était également reconnu par la diplomatie internationale. Après la création de l’Etat mandchou, en 1932 il a été reconnu par le Salvador et la République dominicaine. Plus tard, ils ont été rejoints par des pays plus influents: l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, la Hongrie et autres.

En un mot, tout se passait bien au Mandchoukouo. A l’exception d’un tout petit détail. L’empire était moins un pays indépendant qu’une entité territoriale manipulée par les Japonais.

A quel point est-il juste de comparer le Grand Empire mandchou et l’Etat des rebelles libyens? Je serai le premier à reconnaître qu’il s’agit de deux phénomènes politiques complètement différents. Les rebelles libyens ne sont pas des marionnettes de pays étrangers. Ce sont simplement des gens qui veulent connaître une vie meilleure.

Rappelons une chose dont les partisans russes de Mouammar Kadhafi ne veulent pas se souvenir. Même si vous n’aviez rien à voir avec la Libye, vous pourriez malgré tout devenir victime des bizarreries du colonel extravagant.

Officiellement, il est dit qu’en 1988, pour une raison inconnue, Kadhafi a fait poser une bombe dans un avion de la Pan Am. Comme nous le savons, le Boeing-747 a explosé au-dessus de la ville écossaise de Lockerbie. Tous les passagers et les membres de l’équipage, 259 personnes, sont morts dans l’accident. 11 autres personnes parmi les habitants locaux ont été tuées par les débris de l’avion.

Et maintenant, posons-nous la question suivante: si les fantaisies de Kadhafi aboutissaient à la mort d'étrangers inconnus, que se passait-il pour ses sujets? En un mot, toutes mes sympathies vont aux rebelles libyens. Mais est-ce que cela signifie que le régime établi par eux mérite dès maintenant la reconnaissance diplomatique internationale?

Un gouvernement peut être reconnu en tant organe dirigeant du pays dans l’un des deux cas suivant: premier cas de figure, un gouvernement arrive au pouvoir par le biais d'élections. Le Conseil national de transition n’a pas été élu. Et en principe, était-il possible de le faire si certains de ses membres préfèrent garder l’anonymat? D'après eux, s’ils dévoilaient leurs noms, ils seraient tués par les agents de Kadhafi!

Second cas de figure: ce gouvernement contrôle la majeure partie du territoire du pays. Ce n’est pas non plus le cas. En l’absence d’ingérence étrangère sous la forme de soutien aérien, il ne resterait aujourd’hui que des souvenirs du Conseil national de transition libyen.

D’où la conclusion inévitable et désagréable qu'en: en dépit de toutes les différences, il existe tout de même des similitudes entre la reconnaissance diplomatique du régime de l’empereur Puyi au Mandchoukouo et la reconnaissance internationale du gouvernement créé par les rebelles libyens.

On pourrait me poser la question suivante: que préconisez-vous précisément? Ou peut-être ne le savez vous pas vous-mêmes? Le régime de Kadhafi ne vous est pas sympathique mais vous vous opposez également à la reconnaissance internationale du gouvernement créé par ses opposants.

Je répondrais que je me prononce en faveur des formulations les plus précises possibles et souhaite qu’on appelle les choses par leur nom. Le droit international est un système juridique particulièrement flexible. On y trouvera des termes précis pour chaque occasion. Le conflit libyen actuel ne fait pas exception.

Ce n’est pas l’affaire de l’Allemagne ou d’une autre puissance étrangère que de décider qui est le seul porte-parole légitime des intérêts du peuple libyen. Mais cela ne signifie pas que les Etats étrangers n’ont pas le droit de communiquer au niveau officiel avec le gouvernement des rebelles libyens.

Tout pays qui se respecte n’a pas seulement le droit de le faire. C'est aussi son devoir. Heureusement, pour cela il suffit seulement de reconnaître le Conseil national de transition à Benghazi en tant qu'"interlocuteur légitime" pour les affaires libyennes, comme l’ont fait la Russie, l’Australie et Malte.

Vous croyez que je me suis trop pris au jeu des termes diplomatiques? Je suis d’accord: il est questions de nuances. Mais les "nuances" et les "détails techniques mineurs" ne sont pas exactement la même chose.

Le mépris des nuances dans la situation de la Libye signifierait la création d’un très dangereux précédent. Un précédent qui à terme pourrait être utilisé pour créer un régime manipulé dans un autre pays étranger. C’est la raison pour laquelle je suis pour l’instant hostile à la reconnaissance diplomatique à part entière du gouvernement des rebelles libyens. Je n’apprécie pas le régime de Kadhafi, mais je suis avant tout l'ami de la vérité.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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