Hugo Natowicz, pour RIA Novosti
Moscou exclut officiellement toute visée sur la Crimée, un territoire charnière entre Russie et Ukraine.
Une déclaration est venue confirmer l'embellie dans les relations russo-ukrainiennes, qui s'étaient déjà nettement améliorées suite à l'arrivée au pouvoir du président Viktor Ianoukovitch. Après des négociations qualifiées de "chaleureuses" sur la délimitation de la frontière russo-ukrainienne, qui dure depuis la chute de l'URSS, le chef de la diplomatie russe a officiellement déclaré que Moscou ne contestait pas l'appartenance à l'Ukraine de la Crimée, un territoire historiquement cher aux Russes.
"Les présidents Eltsine, Poutine et Medvedev se sont prononcés sur le statut de la Crimée. Chacun de nous peut bien entendu avoir des réminiscences, de la nostalgie, mais tout homme politique responsable, ainsi que tout homme normal doit comprendre que réanimer la question de l'appartenance de la Crimée mènerait à l'effusion de sang, ce dont nul n'en a besoin", a indiqué Sergueï Lavrov sur les ondes de la radio Echo de Moscou.
Lignes de fracture
La Crimée, république majoritairement russophone sur le territoire ukrainien, est une pomme de discorde dans la jeune histoire des deux pays. Il suffit de discuter avec des Russes pour constater combien ce thème affleure facilement dans les conversations politiques. Une certaine animosité perdure à l'égard de Khrouchtchev, qui fit don du territoire à l'Ukraine soviétique en 1954 à l'occasion des 300 ans de la réunification des deux pays. Ancien lieu de villégiature des tsars, la presqu'île est chère à la mémoire russe.
La Crimée revêt un rôle stratégique: la ville de Sébastopol héberge la flotte russe de la mer Noire. Ce thème tiraille un peu plus un pays partagé entre un est russophone et politiquement proche de Moscou, et un ouest tourné vers l'Europe. La question du stationnement de la flotte à Sébastopol, censée prendre fin en 2017, est un puissant irritant dans les rapports Moscou-Kiev. Signe d'une détente, le président Ianoukovitch avait toutefois autorisé le prolongement de la présence des navires russe contre une ristourne sur le gaz, déclenchant l'ire de ses adversaires "orange". En outre, la Crimée est au centre des crispations autour de la mémoire historique: le parlement criméen a récemment condamné les violences survenues à Lvov (ouest de l'Ukraine), quand des nationalistes ukrainiens avaient déclenché des émeutes lors des commémorations de l'armistice de 1945.
Le fantasme d'une "perte" de cette presqu'île au riche passé reste en travers de la gorge de nombreux Russes, et recouvre celui, plus vaste, du divorce des deux pays lors de la chute de l'URSS. Hier "peuples frères" éparpillés sur les deux territoires, Ukrainiens et Russes se retrouvaient du jour en lendemain de part et d'autre d'une frontière, signe d'une rupture définitive des destins nationaux. Cette blessure dans la conscience russe, des hommes politiques peu scrupuleux n'ont pas tardé à l'exploiter. L'ancien maire de Moscou Iouri Loujkov avait été déclaré persona non grata par les autorités ukrainiennes après avoir remis en cause l'appartenance de Sébastopol, principale ville de Crimée, à l'Ukraine. L'homme politique populiste avait indiqué que la Russie règlerait cette question en se basant sur son propre "droit national". D'autres déclarations de responsables russes du même calibre avaient été émises. Le climat politique entourant ces propos était bien différent de celui qui règne aujourd'hui: le président pro-occidental Iouchtchenko, issu de la Révolution orange, était au pouvoir et menait une politique effrénée d'"ukrainisation" linguistique, que supportait mal la population russophone. Des enquêtes étaient menées sur les ventes d'armes à la Géorgie par l'Ukraine à la veille du conflit d'août 2008. Un début de rhétorique guerrière commençait s'esquisser.
La déclaration de Lavrov confirme que les temps sont à la détente, et qu'un dialogue constructif est en marche entre Kiev et Moscou. Pourtant, le problème de la Crimée est loi d'être résolu. De nombreux passeports russes avaient été distribués aux habitants de la région au début des années 2000, faisant craindre une réédition du "scénario abkhaze". Une partie des habitants possèdent la double nationalité, ce qu'interdit la Constitution ukrainienne.
Les déclarations du ministre affirmant que la "double nationalité russe et ukrainienne n'entre pas en contradiction avec la législation russe" résument un malentendu latent: si Moscou renonce à toute prétention territoriale sur la Crimée, la Russie ne semble pas disposée à abandonner de sitôt les Criméens.
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