L’intensification du facteur islamique en Afrique du Nord est l’une des conséquences prévisibles du « printemps arabe ». Après les victoires des révolutions de couleur en Tunisie et en Egypte les partis modérés et islamiques radicaux déclarent de plus en plus instamment leurs prétentions au pouvoir dans ces pays. La guerre civile en Libye et la participation de l’OTAN ayant soutenu ouvertement les adversaires du régime Kadhafi et bombardant presque tous les jours les positions de l’armée ont brusquement aggravé la situation dans la région. Or, le regain d’activité de l’« Al-Qaida au Maghreb islamique” (AQMI), groupe terroriste le plus cruel, est la conséquence la plus sérieuse de ces événements pour l’Afrique du Nord et le Sahel voisin, estime Alexei Grigoriev. « L’AQMI se fait de plus en plus menaçant », selon le directeur central du Renseignement intérieur francais Bernard Squarcini . « Ce groupe dispose, grâce aux rançons versées pour libérer les nombreux otages étrangers enlevés au Mali, au Niger, en Algérie, et aux divers trafics locaux, d'un trésor de guerre », explique-t-il dans le quotidien « Le Télégramme » du 21 mai. L’AQMI « a donc pu acheter des équipements dernier cri: armes, GPS, matériel de communication cryptée et de vision nocturne, véhicules ». Ils ont également recruté de nouveaux combattants et ont désormais clairement les moyens de passer à la vitesse supérieure », affirme-t-il. Les opérations armées en Libye permettent de renforcer les arsenaux des groupes terroristes d’AQMI. « La Libye est devenue un dépôt d'armes à ciel ouvert. Il y a beaucoup d'armes qui circulent dans ce pays et qui sont transférées vers des zones de conflit », a déclaré le ministre délégué algérien chargé des Affaires maghrébines et Africaines Abdelkader Messahe, lors d'une conférence de presse le 31 mai à Alger. Le ministre a dit que les commandos de l’AQMI avaient entrepris fin avril plusieurs attaques contre les postes des forces de sécurité à proximité de la frontière libyenne ayant tué 30 soldats algériens. Les armes des fronts libyens tombent entre les mains des commandos déployant leurs activités au Sahel. De nouvelles menaces de déstabilisation dans la région comprenant le Mali, le Niger, la Mauritanie, l’Algérie émanant de l’AQMI pendant les opérations armées en Libye et la nécessité de réunir les efforts dans la lutte contre ce groupe et la criminalité transfrontière ont focalisé l’attention des ministres des AE des quatre pays réunis le 20 mai à la conférence à Bamako. Au micro le chef de la diplomatie malienne Soumeylou Boubèye Maïga :
« Nos pays devraient former et mobiliser dans les dix-huit prochains mois des effectifs de 25 000 à 75 000 hommes dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale », a ajouté M. Maïga, qui souhaite « plus d'unité et d'efficacité » dans la lutte contre le « terrorisme, le trafic de drogue, le recours à la prise d'otages ». Le ministre algérien délégué, chargé des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel, a de son côté indiqué que « les défis qui nous interpellent nous imposent une planification de plus en plus pointue et une coordination plus efficace de nos actions ».
L’AQMI met en cause la stabilité du Mali, du Niger et de la Mauritanie mais aussi de leurs voisins : les pays du Sahel. Le groupe « dispose de cellules dormantes » dans la plupart des pays d’Afrique occidentale, ont conclu les experts en sécurité nationale à la réunion régionale consacrée à la lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontière engagée récemment à Banjul, capitale gambienne, par le Centre africain d'études et de recherche sur le terrorisme, organisme de l'Union africaine en collaboration avec l'Espagne. Le Sénégal, la Guinée-Bissau, le Togo, la Gambie sont mentionnés parmi les pays où existe des « cellules dormantes » de l’AQMI. « En silence, les représentants de l'AQMI, pas nombreux dans ces pays, recrutent, font un travail de terrain », est-il indiqué dans le communiqué final de la réunion. Selon le journaliste algérien Atmane Tazaghart, l’auteur de l’ouvrage récemment paru consacré à la stratégie militaire du groupe, « l’ AQMI, enquête sur les héritiers de Ben Laden au Maghreb et en Europe», les leaders du groupe ont des plans grandioses. Ainsi, Mounir el-Haidara, l’un des émirs les plus célèbres du djihadisme tunisien, ayant conclu les accords de coopération avec les tribus de Berbères et de Touaregs en profitant de la situation en Libye, les exhorte à poursuivre la cause du terroriste numéro un de la planète Oussama ben Laden tué le 2 mai par les fusiliers marins au Pakistan et à fonder un «nouvel Afghanistan» dans le grand Sahara. «L’AQMI, qui est actuellement la filiale la plus active d’Al-Qaida, a reçu de la « maison mère » des directives l’incitant à multiplier les actions terroristes dans le Maghreb et au Sahel, voire au-delà, en Europe et en Afrique noire. L’objectif étant de faire de la région «la base arrière d’une légion djihadiste capable de se lancer à l’assaut du Maghreb et de l’Europe» via des camps installés au Sahara, écrit un journaliste algérien en dévoilant les projets des radicaux islamiques. On s’imagine facilement ce qui arrivera au Sahel si l’AQMI se met à réaliser de tels projets, écrit pour conclure Alexei Grigoriev. Il est clair que seuls les efforts concertés de tous les pays du Sahel et d’Afrique du Nord dans la lutte contre le terrorisme international constitueraient l’alternative au chaos. Les pays du G8 devront prêter, en particulier, leur concours technique et militaire ce qui est reflété dans le communiqué conjoint G8-Afrique signé au récent sommet à Deauville.