Cette semaine, le site anglophone international Project Syndicate publiait un article de Christopher Hill, diplomate et chercheur américain, sur les bévues commises par Washington dans des pays arabes. L’auteur se montre pessimiste quant aux perspectives du règlement au Moyen-Orient, en particulier parce que "l’arrivée de l’année de l’élection présidentielle aux Etats-Unis crée des obstacles pour la relance du processus de paix."
Il est difficile de ne pas souscrire à l’opinion de M. Hill, ancien secrétaire d'Etat adjoint américain et diplomate expérimenté. En effet, l’examen des derniers événements aux Etats-Unis montre que le problème palestinien et même les relations américano-israéliennes sont pratiquement devenus une monnaie de change dans la lutte pour le pouvoir en Amérique.
Barack Obama, qui se comporte comme un joueur d’échecs aguerri, a joué un véritable gambit contre les lobbyistes pro-israéliens en les persuadant de lui accorder leur soutien dans la lutte qui vient de démarrer pour la Maison blanche.
Le président des Etats-Unis ne dissimule nullement son intention de briguer un second mandat en 2012. Il semblait encore en janvier, février et mars 2011 que les positions de Barack Obama faiblissaient. Son parti avait perdu en automne les élections de mi-mandat au Congrès, et les républicains s’étaient retrouvés en avec entre les mains un puissant levier d’influence sur la politique de la Maison blanche, obtenant, en fait, le contrôle du budget fédéral. Cependant la contre-offensive acharnée lancée en avril par Barack Obama, lui a permis de "regagner" pratiquement toutes les positions précédemment perdues.
Ainsi, par exemple, le démarrage en force de la campagne présidentielle a rendu pratiquement impossible l’avancement de candidatures autres que celle de Barack Obama lui-même par le parti démocrate, et les changements programmés au sein du ministère américain de la Défense assureront aux compagnons de lutte du président en exercice le contrôle des commandes publiques des matériels de guerre. Et par la même occasion, la résolution du problème du financement de la campagne électorale de Barack Obama grâce aux moyens des entreprises du complexe militaro-industriel américain. Enfin, l’élimination d’Oussama Ben Laden, tombée à point nommé, a également aidé le chef de l’Etat à gagner des points supplémentaires.
En ce qui concerne le Moyen-Orient, le soutien du lobby puissant pro-israélien est une condition sine qua non pour tout président des Etats-Unis modernes qui brigue un second mandat. Ce lobby est en mesure de permettre à un candidat de bénéficier de dividendes politiques et financiers importants.
Il est à noter que Barack Obama, considéré tout récemment encore comme indécis et timoré, s’est montré ferme et agressif envers ce lobby. On peut dire qu’il ne s’est pas présenté en tant que solliciteur mais qu’il a exigé le soutien des lobbyistes, étant en position de force après avoir réalisé une stratégie simple mais efficace.
Rappelons que le 19 mai dernier le président américain a déclaré qu’Israël devrait réintégrer ses frontières d’avant la guerre de 1967. Certes, la déclaration stipulait la nécessité d’un "échange des territoires" mutuellement concerté afin de fixer des frontières plus sûres et reconnues [par la communauté internationale]. Toutefois, le service des relations publiques de Barack Obama a fait tout son possible pour mettre en avant le chiffre 1967 dans la déclaration présidentielle. Le fait est que jamais auparavant, un président des Etats-Unis n’a évoqué, avec une telle précision, cette date historique et les frontières concernées.
Juste après l’attaque informationnelle surprise, qui a laissé perplexe le milieu américain et international des experts (ces derniers se demandaient si la déclaration présidentielle était un premier pas dans la voie de l’élaboration d’une nouvelle stratégie des Etats-Unis au Moyen-Orient ou juste un geste tactique à l’intention des pays arabes), la Maison blanche a procédé à une série de négociations officieuses et fulgurantes mais extrêmement serrées avec des membres du lobby pro-israélien aux Etats-Unis et avec les milieux d’affaires respectifs.
Selon une source proche de l’administration de Barack Obama, la déclaration pratiquement neutre du président américain a été transformée en un ultimatum exigeant le soutien des forces mentionnées lors de l’élection de 2012. Qui plus est, les négociateurs agissant au nom du président ne laissaient pas le temps de la réflexion à leurs partenaires.
Il faut reconnaître que la Maison blanche a pleinement profité du handicap de ses partenaires aux négociations dû à une dépendance excessive d’Israël vis-à-vis des Etats-Unis sur l’échiquier mondial. En cas de refus du lobby pro-israélien d’accorder son soutien au président en exercice, on peut seulement se perdre en conjectures sur ses futures démarches au Moyen-Orient d’ici janvier 2013 (date du départ éventuel de Barack Obama en cas d'échec à l’élection). Le respect des intérêts d’Israël ne paraissait pas du tout assuré. Aussi les participants aux négociations à huis clos ont-ils rapidement trouvé un langage commun.
La conclusion d’un accord entre les partenaires a été confirmée par l’intervention du 22 mai dernier de Barack Obama devant le Comité américano-israélien pour les relations publiques. Le président en exercice a fait un discours ostensiblement pro-israélien, à l'opposé, en fait, de sa déclaration faite deux jours auparavant. Il a notamment été promis à Israël de maintenir sa "supériorité militaire qualitative" sur les voisins arabes, et les journalistes ont été accusés d’avoir mal interprété la déclaration présidentielle relative aux frontières de 1967.
Autrement dit, après avoir été compromis pendant deux jours, le statut quo des relations américano-israéliennes a été rétabli, et Barack Obama a fait un pas de plus vers son second mandat. C’est ainsi que le règlement au Moyen-Orient a mérité le pronostic pessimiste de Christopher Hill.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction