Les chefs des 19 Etats des pays de l’Europe centrale et de l’Est, qui se réunissent à Varsovie afin de participer au sommet auquel Barack Obama prendra également part, ont l’air de parents pauvres se rendant chez leur oncle d’Amérique. L'oncle est peut-être ronchon et radin, mais il est le seul garant du bien-être. Personne ne considère la Russie comme garant alternatif de la stabilité. Néanmoins, la visite du président américain en Pologne présente un intérêt pour la Russie, et ce pour deux raisons.
Premièrement, le sommet, où Barack Obama sera à l’honneur vendredi soir, sera pour le président américain une occasion de passer en revue les alliés des Etats-Unis en Europe centrale et de l’Est. Et la participation du président ukrainien Ianoukovitch au sommet est une façon de signaler une fois de plus à Moscou que l’Ukraine s’oriente vers l’Occident.
Deuxièmement, lors des pourparlers américano-polonais de samedi, les parties discuteront du déploiement en Pologne de chasseurs américains F-16 et d'avions de transport Hercule. On n’annonce pas officiellement de qui ces avions sont sensés protéger la Pologne, mais c’est un secret de Polichinelle.
Les militaires russes et polonais se permettent des expressions plutôt osées en évoquant cette question et ils s'en veulent de moins en moins les uns aux autres pour ces écarts de langage. Le fait est que les composantes du système américain de défense antimissiles (ABM), dont le déploiement en Pologne est de plus souvent discuté ces derniers mois dans la presse polonaise et américaine, sont installées dans des zones à partir desquelles il est particulièrement facile de détecter les tirs de missiles effectués justement depuis le territoire russe, même si les Polonais et les Américains soulignent officiellement que le système ne vise pas la Russie.
Le sommet des amis de l’Amérique
Le fait même de l’organisation du sommet des amis de l’Amérique à Varsovie est un grand succès de la diplomatie américaine, bien que les Etats-Unis ne puissent pas évidement satisfaire tout le monde en tout point. A titre d’exemple, il suffit de citer le conflit survenu à la veille du sommet de Varsovie. Le président serbe Boris Tadic, invité à la rencontre, a refusé de se rendre en Pologne, quoique ses déclarations officielles permettent de le qualifier de politique proaméricain. Par contre Atifete Jahjaga, présidente du Kosovo, région qui a de facto fait sécession d'avec la Serbie, s'est rendue à Varsovie.
La majorité des participants au sommet ont déjà reconnu l’indépendance du Kosovo. Toutefois, il existe des exceptions importantes. La Slovaquie et la Roumanie, qui n’ont pas reconnu le Kosovo car elles redoutent des agissements séparatistes de leurs minorités hongroises, ont accepté l’invitation au sommet au dernier moment. Ils ont avancé une condition: Atifete Jahjaga ne doit pas participer au sommet en qualité de chef d’Etat à part entière, avec démonstration de drapeau national et signature apposée au bas du document final.
Qu’est-ce qui incite donc les pays de la région à chercher refuge, avec un d’enthousiasme variable, derrière le bouclier militaire et économique des Etats-Unis? La réponse officielle à cette question, à savoir que ces pays le font par désir d’adhérer à la "zone de prospérité, de démocratie et de sécurité", constitue depuis longtemps une simplification rhétorique d’une réalité infiniment complexe.
Même les Polonais, alliés sincèrement fidèles des Etats-Unis, idéalisent ces dernières années de moins l’Amérique. Cette évolution peut être décelée dans les détails de la vie quotidienne. Les journaux polonais évoquent avec nostalgie les visites des présidents américains à l’époque de la guerre froide, qui étaient pour les Polonais une occasion de narguer leur propres communistes au pouvoir et, par la même occasion, à l’URSS (lors de la visite du président américain en 1972, on pouvait observer la banderole "Nixon, sauve la Pologne!" flottant au-dessus de la foule, l’espace de trois minutes).
On se souvient que les gardes du corps de Nixon et de Carter sauvaient des mains de la police secrète les femmes polonaises trop enthousiastes qui tentaient de remettre aux président américains des bouquets de fleurs en bravant les autorités. De nos jours, la presse elle-même demande aux Polonais de ne rien transmettre ou "jeter" au leader américain: au moindre soupçon, les tireurs d’élites protégeant Barack Obama feront usage de leurs armes.
Derrières ces restrictions symboliques se cachent des problèmes plus graves: en dépit de tous les services rendus aux Etats-Unis, notamment la participation de la Pologne aux opérations militaires en Iraq et en Afghanistan, les Polonais attendent depuis vingt ans en vain le droit tant convoité de se rendre aux Etats-Unis sans visas. Les projets d’exploitation conjointe des gisements polonais de gaz de schiste selon les technologies américaines ne dépassent pas non plus le stade des promesses.
Les Etats-Unis, le seul garant
En quoi consiste donc l’attrait des Etats-Unis pour la Pologne et ses voisins? Ce désir de rejoindre l’Amérique n’est pas tellement dû à l’idéalisation générale de l’Occident, mais à l’absence d’autres structures de sécurité en Europe centrale et de l’Est, qui ne soit pas liées aux Etats-Unis.
Prenons, à titre d’exemple, la Croatie. Vingt ans auparavant, au moment où la Croatie proclamait son indépendance, les Américains traitaient de toutes sortes de noms d’oiseaux le père fondateur de la Croatie indépendante, Franjo Tudjman. Toutefois, en juin prochain, le pays espère pouvoir fêter le 20ème anniversaire de son indépendance en qualité de nouveau membre de l’Union européenne, et dès 2009, la Croatie et l’Albanie adhéraient à l’OTAN. Malgré tous les griefs envers les Américains et les Européens liés à la guerre en Yougoslavie de 1999, même le président serbe Tadic considère la présence de l’OTAN, de l’EU et des Etats-Unis dans la région comme une sorte de garantie de stabilité dans la péninsule balkanique. Simplement par manque d’autre garants.
Personne en Europe centrale et de l’Est, hormis la Biélorussie, ne considère la Russie en tant que garant alternatif de stabilité, et c’est dommage, car les intérêts nationaux de la Russie exigent le développement de structures supplémentaires de sécurité dans cette région, auxquelles la Russie pourrait participer.
L’un des thèmes des discussions au sommet de Varsovie sera celui de l’expérience acquise par les pays de l’Europe de l’Est en matière de démocratisation des pays de l’Afrique du Nord récemment libérés de leurs "dictatures." L’ancien président polonais Lech Wałęsa s’est déjà rendu en visite en Tunisie. Cependant, l’Egypte compte 85 millions d’habitants et ressemble à la Russie davantage qu’à la Pologne ou la Slovaquie, mais personne ne s’est encore enquis de la possibilité d’appliquer le modèle russe aux pays du Moyen-Orient.
Soit les participants au sommet de Varsovie considèrent ce modèle comme inapplicable au Moyen-Orient, soit ils ne souhaitent un tel modèle à personne, même pas aux pays nord-africains. L'impopularité de l’expérience russe est un autre problème de la Russie. C’est le problème de son image à l’étranger.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction