Depuis environ 2007 on prédit la disparition imminente du G8 en raison du changement des réalités géopolitiques et du fait que la composition de cette organisation n’est plus du tout en adéquation avec ces réalités, mais le club le plus ancien et le plus élitaire de la politique mondiale refuse toujours de cesser d’exister. La nouvelle réunion du G8 (Grande-Bretagne, Italie, Canada, Allemagne, Russie, France, Etats-Unis, Japon) aura lieu les 26 et 27 mai à Deauville, station balnéaire huppée de la côte normande. Depuis la fondation d’abord du G6 (1975), ensuite du G7 (1976) et enfin du G8 (la Russie y a adhéré en 1997), ce sera le 37ème sommet de l’organisation. Le club célèbrera son 40ème anniversaire en Russie en 2014.
Le sommet de Deauville est une grande réunion au pays du calvados. Ce divin breuvage est le résultat de la distillation du cidre. Dans le département éponyme, le calvados est un ingrédient que l’on ajoute pratiquement à tous les mets et toutes les préparations culinaires et mêmes aux conserves. Dopé avec cette eau-de-vie, que les chefs de tous les Etats membre du G8 auront l’occasion de déguster, le club aura du mal à mourir.
Le sommet actuel fait une impression bizarre. D’une part, il se réunit à un moment très difficile. Les problèmes qui doivent être résolus d’urgence se sont accumulés et ils sont nombreux. Les plus urgents sont liés aux révolutions arabes et à tout ce qui en découle. D’autre part, toutes les questions figurant à l’ordre du jour du sommet ont déjà été concertées à priori et ne nécessitent pas la prise de décision, ou alors elles ne sont pas de nature à être débattues lors de forums aussi pompeux.
Les événements en Libye ont déjà dégénéré en une guerre civile et en une guerre de l’Occident contre le régime de Kadhafi. Cette dernière n’a jamais été avalisée par les Nations Unies et par leurs résolutions sur la Libye. Quant à l’Egypte révolutionnaire, une nouvelle crise gouvernementale y est en gestation. Tous les pays du Maghreb risquent de se précipiter dans l’abîme d’une crise économique. Le règlement israélo-palestinien est au point mort et cette impasse risque de dégénérer en une nouvelle crise d’ici le mois de septembre.
Après le tremblement de terre au Japon, l’avenir de l’énergie nucléaire mondiale tout entière est remis en cause. L’arrestation à New York de Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international (FMI), a décapité cette institution financière internationale, dont la vocation consiste, en principe, à assurer le développement progressif de l’économie et du système financier mondiaux. Qui plus est, les principales raisons pour lesquelles le monde a sombré dans la crise de 2008-2010, sont toujours là et elles sont loin d’avoir été éliminées.
Tous les problèmes susmentionnés joints à la cybercriminalité, à la sécurité nucléaire et au trafic des stupéfiants seront à l’ordre du jour, à en croire Arakadi Dvorkovitch, assistant du président russe et sherpa de Dmitri Medvedev. Et des résolutions seront adoptées dans le cadre de chacun d’entre eux.
Un grand club qui prend de petites décisions
Le plus surprenant est que tous les problèmes ci-dessus mentionnés ne peuvent absolument pas être résolus lors de ce genre de réunions. Ces entrevues ne sont tout simplement pas destinées à servir de plateforme de prise de décisions. A force d’être trop grandiose, leur format est inadapté à la résolution de problèmes concrets.
La Russie, toujours selon Arkadi Dvorkovitch, espère pourvoir profiter du sommet de Deauville pour éclaircir les positions des participants sur la Libye et trouver un terrain d’entente avec eux. Les positions de la Russie et des autres Etats membres du G8 sont, en effet, complètement différentes. Même les membres de l’OTAN ne sont pas unanimes quant à la politique à adopter en Libye (l’Allemagne, par exemple, ne soutient pas l'ingérence militaire trop poussée de l’Alliance). L’alliance anti-libyenne a une façon trop libre d’interpréter les résolutions de l’ONU. Arkadi Dvorkovitch a reconnu que les pourparlers sur la Libye avançaient péniblement. Cette expression, dans la bouche d'un diplomate, signifie le plus souvent que les points communs sont totalement absents.
En réalité, la tentative de la Russie de résoudre ce problème paraît complètement vouée à l’échec. Surtout dans le contexte de la tournée européenne du président américain Barack Obama, effectuée juste avant le sommet de Deauville, et de ses pourparlers (très précisément à la veille de la rencontre arrosée au calvados) à Londres avec le premier ministre britannique David Cameron.
Avant sa visite, Barack Obama avait reçu la confirmation que le porte-avion britannique Ocean doté d’hélicoptères d’attaque Apaches avait mis le cap sur la Libye. Au début du sommet du G8, il devrait justement se trouver dans sa zone d’action au large des côtes libyennes. Les hélicoptères ont pour mission de créer une zone tampon de 16 miles autour du port libyen de Misourata. Les Apaches sont destinés à détruire des cibles terrestres, surtout des blindés, des systèmes de missiles et des postes de commandement. Ils n’ont donc rien à voir avec le maintien de la zone d’exclusion aérienne. La vocation de cette arme est de soutenir des troupes au sol.
Qui plus est, à la veille du sommet du G8, la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a déclaré qu'une mission diplomatique du Conseil national libyen de transition s'ouvrirait à Washington, car les Etats-Unis considèrent les rebelles libyens comme seuls représentants légitimes de leur pays. Washington s’engage par ailleurs à les soutenir pour que la Libye puisse rapidement, et sans heurts, se doter d’un nouveau gouvernement après le départ de Kadhafi. Il faut préciser dans ce contexte qu’actuellement les Etats-Unis assurent 25% de toutes les missions de combat aérien au-dessus de la Libye. Il serait donc exagéré de prétendre qu’ils se sont complètement retirés de l’opération. Toutes ces questions ont déjà été concertées au cours des pourparlers de Barack Obama à Londres.
Dans ce contexte, on est en droit de se demander comment la Russie compte régler ses contradictions avec les autres membres du G8 lors du sommet. Comment est-il possible de régler quoi que ce soit après que toutes les décisions ont déjà été prises à priori et concertées par les membres de l’OTAN?
La discussion du problème du Moyen-Orient semble tout aussi peu prometteuse. Quelques jours avant le sommet du G8, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’est rendu en visite à Washington où il a déclaré en intervenant devant le Congrès qu’Israël ne reconnaîtrait en aucun cas les frontières d’avant le conflit de 1967. Or, Barack Obama avait préconisé cette solution à la veille de la visite du premier ministre de l’Etat hébreu. Tous ceux qui ont une idée tant soit peu précise de la complexité du règlement au Moyen-Orient, sont pleinement conscients qu’il ne peut intervenir que sur une base bilatérale au terme de pourparlers entre les Etats-Unis et Israël. Plus exactement, cela nécessite une certaine pression exercée par Washington sur son allié. A défaut de quoi, aucun règlement au Moyen-Orient n’est envisageable.
Quant à la candidature de l’éventuel successeur de Dominique Strauss-Kahn, cette question sera abordée d’une manière semi-officielle. D’habitude, c’est en comité restreint que les Etats-Unis et l’Europe prenaient la décision concernant la candidature de chaque nouveau directeur général du Fonds monétaire international (traditionnellement, c’est un Européen). Les candidatures ne figurant pas sur la liste américano-européenne ne sont que formelles. Et bien que nombreux soient ceux qui préconisent le changement de cette procédure, il est peu probable que cela se produisent au sommet de Deauville.
C’est en principe vrai pour tous les autres problèmes discutés lors du sommet. Ils sont plus faciles à résoudre dans le cadre de rencontres bilatérales ou de pourparlers multilatéraux spéciaux, plutôt que lors des réunions du club élitaire qu’est le G8. Globalement, ce dernier constitue depuis longtemps un anachronisme onéreux.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction
Le G8 refuse de mourir à Deauville
18:01 26.05.2011 (Mis à jour: 16:05 05.10.2015)
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Depuis environ 2007 on prédit la disparition imminente du G8 en raison du changement des réalités géopolitiques et du fait que la composition de cette organisation n’est plus du tout en adéquation avec ces réalités, mais le club le plus ancien et le plus élitaire de la politique mondiale refuse toujours de cesser d’exister.