Depuis la déclaration de Barack Obama sur le règlement israélo-palestinien et le retour à la frontière de 1967 entre les deux Etats, le monde est en proie à une agitation diplomatique fébrile. Bien sûr, la Russie ne pouvait pas rester impassible. Vendredi, les autorités russes ont reçu à Moscou les leaders des plus importants mouvements palestiniens, le Fatah et le Hamas. Les pourparlers se poursuivront au cours de cette semaine.
Il est évident que les diplomates de tous les pays tentent de profiter de la situation afin de gagner un maximum de points politiques, et chaque grande puissance dispose d’atouts particuliers. Le principal atout de la Russie est le fait que Moscou n’a jamais ostracisé le Hamas, ce qui lui permettra de jouer le rôle d’intermédiaire dans les relations entre ce mouvement palestinien et l’Occident. Ce dernier cherchera bien sûr à éviter la médiation russe.
Les origines de la frontière israélo-palestinienne
Toutefois, aucun règlement ne peut être imposé de l’extérieur si les parties en conflit ne sont pas disposées à l’accepter. En l’occurrence, elles ne sont pas prêtes à résoudre les deux problèmes clés, à savoir le statut de Jérusalem et la question des réfugiés. Or, à défaut de les résoudre, les tentatives de règlement n’ont aucune chance d’aboutir.
Les guerres arabo-israéliennes représentent, en fait, des campagnes d’une seule et même guerre interrompue par des trêves. En 1948, cinq Etats arabes, l’Egypte, la Transjordanie (l’actuelle Jordanie), la Syrie, le Liban et l’Iraq, ont refusé de reconnaître le droit d’Israël à l’existence et lui ont déclaré la guerre. Ils ne cachaient pas que leur objectif était de détruire Israël et de partager entre eux son territoire et celui promis par les Nations unies aux Arabes palestiniens.
Toutefois, comme c’est souvent le cas, la zizanie régnait entre les alliés. En témoignent notamment les pourparlers de paix séparée entre Israël et la Jordanie au cours desquels le roi Abdullah conseillait aux Israéliens de ne céder à aucun prix à l’Egypte de désert du Néguev, qui s’étend entre Jérusalem et la mer Rouge. Le roi souhaitait se réserver Jérusalem, plus exactement son noyau historique, la Vieille ville, où se trouvent les lieux saints des trois religions mondiales. Le fait est que la dynastie hachémite, qui règne sur la Jordanie et qui fait remonter son arbre généalogique directement au prophète Mohammed, venait justement de céder à la dynastie régnante de l’Arabie saoudite les deux villes sacrées de l’islam, la Mecque et Médine. Afin d’étayer leur prestige, les hachémites devaient absolument s’emparer ne serait-ce que de Jérusalem, considéré par les musulmans comme la troisième ville sacrée la plus importante.
La première campagne s’est terminée par une trêve. Israël s’est vu attribuer la partie Ouest de Jérusalem, et la Jordanie la partie Est, notamment la Vieille ville. Le territoire de l’hypothétique Etat palestinien a été partagé entre Israël, la Jordanie et l’Egypte. La ligne de cessez-le-feu constitue justement la frontière de 1967 dont parle le président américain et qui figure dans tous les projets de traité de paix. Il est évident que la ligne est complètement fortuite: elle a été tracée là, où s’étaient arrêtées les armées des parties en conflit.
Jérusalem est indivisible
Nombreux étaient ceux qui croyaient que la trêve se transformerait en une paix à part entière et que la ligne de cessez-le-feu deviendrait une frontière normale. Cela ne s’est pas produit, et l’état de guerre entre les parties en conflit a perduré. Deux autres campagnes ont suivi la première, et à l’issue de l’une d’elle, à savoir de la Guerre des Six Jours de 1967, Israël a repris la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï à l’Egypte, les monts Golan à la Syrie et la Cisjordanie avec Jérusalem Est à la Jordanie. La ville de Jérusalem a été proclamée "capitale unie et indivisible" d’Israël. Quant aux autres territoires, la position d’Israël était simple: les territoires occupés seront restitués à chaque Etat en guerre contre Israël dès qu’il acceptera de signer le traité de paix avec l’Etat hébreu. Le traité de paix entre Israël et l’Egypte a été signé en 1997. La Jordanie a reconnu Israël en 1994.
Après la conclusion de la paix avec Israël, l’Egypte a récupéré la péninsule du Sinaï. Les Egyptiens ont renoncé à la bande de Gaza de leur propre gré afin d’éviter une confrontation avec les militants des mouvements palestiniens. Pour les mêmes raisons, la Jordanie n’a pas voulu récupérer les territoires perdus en faveur d’Israël, alors que ce dernier avait affirmé jusqu’au bout sa disposition à négocier avec la Jordanie et non pas avec l’Organisation de libération de la Palestine, considérée par l’Etat hébreu comme un groupement terroriste. Tout de même, en 1993, Israël est entré en pourparlers directs avec l’OLP. Le règlement définitif paraissait le plus probable en 1999 et en 2000. C’est Jérusalem qui a constitué la première pierre d’achoppement.
Tant qu’il était question de quartiers résidentiels, les négociations avançaient bon train. Les Israéliens étaient eux-mêmes heureux de pouvoir se débarrasser des quartiers arabes de la ville, car la population y augmentait beaucoup plus rapidement que dans la moitié juive de Jérusalem. Ces tendances démographiques risquaient de rendre les Israéliens minoritaires, si la ville restait unie. Or, la partition de la Vieille ville s’est avérée irréalisable.
La Vieille ville est un lopin minuscule où n’habitent que 2 à 3% de tous les Jérusalémites. Mais comment partager la montagne du Temple, cette petite colline au pied de laquelle se trouve le mur des Lamentations, le lieu le plus sacré du judaïsme, et où quelques mètres plus haut est située la célèbre Mosquée Al Aqsa à la coupole dorée? Et comment séparer de la Mosquée et du Mur l'Église chrétienne du Saint-Sépulcre, où chaque année, à Pâques, on assiste à la descente miraculeuse du Feu sacrée?
Les diplomates et les juristes du monde entier ont proposé les solutions les plus baroques, voire parfois absurdes, de ce problème. Par exemple, l’une des recettes prévoyait la partition de la montagne du Temple en trois zones attribuées respectivement aux Israéliens, aux Palestiniens et aux Nations unies. Les débats ont même porté sur l’appartenance du sol sous la montagne du Temple afin de définir la profondeur, en mètres, à laquelle s’étendrait la souveraineté de telle ou telle entité. On a parfois l’impression que Dieu se moque des efforts des hommes visant à partager ce lieu saint.
De nombreux diplomates et orientalistes, notamment de Russie, proposent d’exclure temporairement la Vieille ville du processus de paix. Le fait est qu’actuellement tous les fidèles et les touristes peuvent y accéder, ce qui n’était pas le cas avant 1967. Toutefois, cette option sera sûrement rejetée même par les Palestiniens modérés, sans parler des extrémistes religieux.
Quatre millions de réfugiés Palestiniens
On pourrait croire que la partition de Jérusalem est le problème le plus compliqué. Or, ce n’est pas le cas, c’est la question des réfugiés palestiniens qui est particulièrement insoluble. Il s’agit des Arabes qui ont fui le territoire israélien au cours de la première campagne de 1948. Pourquoi se sont-ils enfuis? Certes, en partie, la politique de l’armée israélienne visait à les évincer, car les Arabes palestiniens se rangeaient manifestement du côté des cinq Etats initiateurs de la guerre. Par ailleurs, ils étaient armés, et Israël ne pouvait pas tolérer une cinquième colonne dans les arrières de ses troupes. Mais les Etats arabes eux-mêmes ont également contribué à l’exode de la population civile palestinienne. Au début de la guerre ils ont recommandé aux Palestiniens de quitter leurs maisons pour la durée des hostilités, car il avait été prévu qu’Israël serait éliminé en quelques jours, après quoi la population "évacuée" pourrait rentrer chez elle. Après l’échec de ces plans, Israël n’a pas permis aux réfugiés Arabes de se réinstaller sur son territoire.
Les pays Arabes ont été loin d’accueillir les réfugiés palestiniens les bras ouverts. La moitié d’entre eux a été installée dans des camps spéciaux derrière les barbelés. Seul Aman a commencé à leur accorder progressivement la nationalité jordanienne. L’Egypte, la Syrie et le Liban ne l’ont jamais fait. Ils avaient intérêt à ce que les réfugiés restent démunis, aigris et prêts à partir en guerre à tout moment.
Il est à noter que tant que la Cisjordanie et Jérusalem Est demeuraient sous le contrôle jordanien et la bande de Gaza entre les mains de l’Egypte, les Arabes locaux ne revendiquaient pas la création de leur propre Etat. Ils exigeaient pourtant qu’Israël autorise le retour de tous les réfugiés arabes qui le souhaiteraient, ainsi que de leurs descendants. Etant donné un taux de natalité élevé de cette population, ce chiffre s’élèverait aujourd’hui à plus de 4 millions de personnes, alors que seulement près de 500 Arabes ont fui Israël en 1948-49.
Au cours des 60 dernières années, de nombreux plans et résolutions des Nations unies sur les réfugiés ont été adoptés. Israël a offert un dédommagement financier à ceux d’entre eux qui renonceraient officiellement à leurs revendications. Mais tous les projets ont échoué. Or, réadmettre quatre millions d’Arabes sur son territoire équivaudrait à un suicide pour Israël, et il ne l’acceptera jamais.
Le problème s’aggrave, notamment, du fait que la nation palestinienne est seulement en phase de création, et son idée fédératrice est davantage celle de la destruction de l’Etat hébreu que de la fondation de l’Etat palestinien. La bande de Gaza et la Cisjordanie se trouvent depuis plus de dix ans sous le contrôle de fait des Palestiniens, mais au lieu de développer leur économie et les institutions publiques, la majorité des chefs de file palestiniens se consacre à la guerre qui dévore la plus grande part des fonds. Et la cote de popularité des rares politiques qui ont des idées différentes est en chute libre.
Barack Obama est-il conscient du fait que le problème de Jérusalem et des réfugiés est insoluble à court terme? Sans aucun doute. C’est la raison pour laquelle il a évité d’aborder ces sujets. Il a seulement dit que la frontière doit suivre approximativement la ligne du cessez-le-feu de 1967, et c’est un des principes de base du règlement. Or, personne ne le conteste. Toutefois, le règlement lui-même ne se profile même pas à l’horizon.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction