Vingt ans sans le rideau de fer

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La loi sur l’entrée et la sortie de l’URSS des citoyens soviétiques, adoptée par le Soviet suprême (parlement) de l’URSS il y a vingt ans, le 20 mai 1991, était un document progressiste et révolutionnaire au même titre que, par exemple, la loi sur les média de 1990.

La loi sur l’entrée et la sortie de l’URSS des citoyens soviétiques, adoptée par le Soviet suprême (parlement) de l’URSS il y a vingt ans, le 20 mai 1991, était un document progressiste et révolutionnaire au même titre que, par exemple, la loi sur les média de 1990. Toutefois, cette première loi a eu une existence moins heureuse pour des raisons, pour ainsi dire, techniques.

L’entrée en vigueur de cette loi ne pouvait pas s’opérer du jour au lendemain. Il était nécessaire de fabriquer des millions de passeports internationaux permettant aux citoyens soviétiques de se rendre à l’étranger, ainsi que de remettre sur de nouveaux rails les milliers de bureaux de l'OVIR (Département des visas et de l'enregistrement, service chargé de la délivrance des passeports internationaux aux citoyens soviétiques et des visas aux citoyens étrangers ainsi que de l'enregistrement obligatoire de ces derniers sur leur lieu de résidence en URSS). Beaucoup d’autres mesures devaient également être prises. Cela a nécessité la publication d’un décret spécial sur l'entrée en vigueur progressive des paragraphes de la loi échelonnée jusqu’au 1er janvier 1993.

On sait que l’Union soviétique s’est effondrée avant cette date. Néanmoins, la loi sur l’entrée et la sortie d’un Etat désormais inexistant a commencé à fonctionner dans son intégralité, mais appliquée à la Fédération de Russie. Trois années supplémentaires ont été nécessaires pour préparer et lancer l'application de la loi russe analogue et pour imprimer les passeports internationaux de la Fédération de Russie.

Cependant, même pendant la première moitié des années 2000, de nombreux citoyens russes se rendaient à l’étranger avec des passeports portant les armoiries de l’URSS. Les policiers européens chargés du contrôle frontalier y réagissaient avec un grand étonnement. Certes, avec moins d’émoi que dans le célèbre Vers sur le passeport soviétique de Vladimir Maïakovski: "Monsieur le fonctionnaire/a touché la pourpre de mon passeport/Il le touche comme une bombe/il le touche comme un hérisson/comme un rasoir à deux tranchants…" La peur a fait place à la consternation: comment est-il possible de circuler avec le passeport d’un Etat inexistant?

Ce n’est pourtant pas un événement sans précédent dans l’histoire de la jurisprudence, qui est elle-même un domaine extrêmement conservateur. Qui plus est, dans ces cas-là, la fabrication de passeports constamment modifiés n’arrive pas à suivre le rythme des changements politiques. Cela conduit parfois à des situations cocasses, et pas seulement dans le domaine législatif.

Ainsi, l’équipe soviétique a été qualifiée pour la Coupe d’Europe de football 1992. Or, l’Union soviétique n’existait plus à ce moment sur la carte, et on a envoyé au Championnat l’équipe d’un Etat unifié inexistant appelée "équipe de la CEI (Communautés des Etats indépendants)" composée de joueurs russes, biélorusses, ukrainiens et (ce qui pourrait paraître particulièrement étrange aujourd’hui) géorgiens. Les années 1990 étaient jalonnées de tels paradoxes.

Quoi qu’il en soit, en mai 1991, le Soviet suprême de l’URSS a annoncé la disparition de jure du rideau de fer. De facto, cette barrière avait été démolie un peu avant. Cette décision a été suivie d’une chaîne de procédures bureaucratiques et policières destinées à mettre le côté juridique en adéquation avec la réalité.

Tout cela constitue un autre argument du débat éternel visant à nommer celui qui a "libéré" nos concitoyens. La loi ultra-progressiste sur l’entrée et la sortie de l’URSS, ainsi que le décret sur sa prise d'effet portent les signatures du président soviétique Mikhaïl Gorbatchev et du président du Soviet suprême de l’URSS Anatoli Loukianov. Ce sont donc eux que nous devons remercier pour les idées révolutionnaires suivantes exprimées dans le premier paragraphe de la loi:

"Chaque citoyen de l’Union des républiques socialistes soviétique a le droit de sortir de l’URSS et d’entrer en URSS. Conformément aux accords internationaux, la présente loi garantit aux citoyens de l’URSS le droit d’entrée et de sortie de l’URSS… Le passeport international autorise son titulaire à sortir de l’URSS à destination de tous les pays du monde… Aucun citoyen de l’URSS ne peut être arbitrairement déchu de son droit d’entrée en URSS."

Pareillement, l’Etat garantissait le droit de sortie à tous ses citoyens, hormis les criminels convaincus et les détenteurs de secrets d'Etat, et même ces restrictions n’étaient pas appliquées avec trop de rigueur. Des criminels notoires, des rois de la pègre et des caïds de la mafia franchissaient les frontières d’abord soviétiques et russes ensuite dans les deux sens et sans trop d’encombres. En règle générale, ils ne se faisaient arrêter et juger que dans les pays occidentaux et non pas dans leur patrie.

Eh bien, la liberté exige des sacrifices. Et cette liberté a été offerte aux citoyens soviétiques par le premier et le dernier président de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev. On ne peut pas lui reprocher l’inertie des instances bureaucratiques et des entreprises chargées d’imprimer les passeports à cause desquelles les citoyens n’ont eu la possibilité définitive de bénéficier de cette liberté et de leur nouveau droit qu’un an après la démission volontaire de Gorbatchev et la disparition de l’Etat qu’il avait dirigé.

Toutefois, par une ironie du sort, au moment même de la disparition du rideau de fer du côté d’abord soviétique et russe ensuite, le même rideau a commencé à être abaissé du côté opposé. Surtout par l’Union Européenne en gestation et les Etats-Unis.

Dès que les citoyens soviétiques eurent cessé d’éprouver des difficultés liées à la sortie de leur patrie, ils ont tout de suite commencé à se heurter à des obstacles à l’entrée des pays "libres" et "démocratiques" qu’on avait l’habitude d'appeler "capitalistes." La quasi-impossibilité de sortir de l’URSS a fait place à des difficultés, voire à l’impossibilité d’entrer dans ces pays. Or, des milliers de Soviétiques y aspiraient.

Telles sont les lois de la dialectique, à l’image de la formule du grand savant russe Mikhaïl Lomonossov qui a dit: "Tous les changements dans la nature s’opèrent de manière à ce que tout ce que l’on ajoute à quelque chose, doit d’abord être retiré à une autre chose." Et vice versa. En termes politico-juridiques la phrase serait la suivante: si dans une partie du monde le volume des droits et des libertés de l’homme augmente, il diminue proportionnellement dans une autre partie du monde."

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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