Avant le début de la conférence de presse du président russe Dmitri Medvedev, deux rumeurs aussi fantastiques l’une que l’autre parcouraient la communauté médiatique. Selon la première, le président russe était sensé annoncer son intention de briguer un second mandat. Selon la seconde, il se préparait à donner sa démission. En toute honnêteté, cette seconde hypothèse méritait d’être rejetée d’entrée de jeu, car le président n’aurait sûrement pas organisé un événement d’envergure dans son centre préféré de Skolkovo (cité de l’innovation près de Moscou), cet îlot de modernisation, pour reconnaître sa défaite définitive. Quant à la première option, elle paraissait tout aussi improbable. Certes, Dmitri Medvedev avait promis lors de sa visite en Chine de prendre prochainement une décision sur sa participation à la campagne présidentielle, mais personne n’a jamais lancé le processus électoral lors de conférences de presse. En tout cas, pas en Russie. Et un geste aussi symbolique aurait équivalu à un faux départ.
Le tandem (Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine) qui gouverne la Russie est actuellement en train de faire du surplace, comme disent les coureurs cyclistes pour signifier qu’ils maintiennent l’équilibre sans avancer et sans tourner les pédales. Le fait est que celui qui s’élance le premier dépense toute son énergie et est dépassé au dernier virage. C’est probablement une démarche correcte sur le plan tactique. Ce n’est pas par hasard que Dmitri Medvedev a évoqué les lois de l’art des élections. Or, il existe d’autres lois également.
Une de ces lois oblige les politiques à se conduire de manière responsable envers la société. Les grands chefs, même s’ils ont réduit le système électoral à la portion congrue, ont des comptes à rendre non seulement à leurs clans et leurs groupes d’influence, mais aussi à la population, dans la mesure où son destin entre en collision avec les vecteurs politiques. Or, pour le moment, nos dirigeants ne se sentent comptables que devant ceux qui ont misé sur eux dans les affaires, la politique et la bureaucratie, sans égards pour les autres. Toutes leurs interviews, interventions et discours, que ce soient des déclarations du leader de la nation (Vladimir Poutine), destinées à un public plus simple, ou des discours plus sophistiqués tenus dans la cité de l’innovation de Skolkovo (par Dmitri Medvedev), fascinent les politologues qui se perdent en conjectures en se demandant ce que l’orateur a sous-entendu. Ferait-il allusion au fait qu’il à l’intention de se mettre à la tête du parti politique Juste Cause? Serait-on en train de passer le parti Russie unie par pertes et profits? S’agit-il de réintégrer Dmitri Rogozine (ambassadeur russe actuel auprès de l’OTAN et ancien leader d’un parti politique) dans la vie politique? Se prépare-t-on à libérer Mikhaïl Khodorkovski (président de la compagnie pétrolière Ioukos) ou, au contraire, à le condamner à perpétuité? Et que signifie cette allusion? Et que veut dire ce geste?
Toutefois, la majorité de la population trouve ce jeu de semi-allusions et d’idées ensevelies sous une avalanche de phrases générales, quoique bien tournées et syntaxiquement correctes, complètement inutile et insensé. Non seulement il ne contribue pas à l’épanouissement de l’individu, mais il étouffe toute initiative, tout désir d’avancer et de changer. On finit par avoir l’impression que l’aigle bicéphale figurant sur les armoiries russes devrait être remplacée par deux vecteurs qui, du fait qu'ils vont dans des directions opposées, ont un effet nul.
Nous ne sommes pas obligés de nous y connaître en technologies qui permettent de remporter la victoire. Nous ne sommes pas obligés de nous perdre en conjectures. Nous avons besoin de clarté, et le plus tôt sera le mieux. La vraie question est de savoir lequel des deux candidats réellement présidentiables rendra publique sa décision de briguer le fauteuil présidentiel. Non pas parce qu’il est tellement important pour nous de connaître le nom du futur président, mais parce que nous voulons comprendre, quelles sont nos perspectives. Devons-nous nous préparer à une progression incroyablement lente? Ou à une régression extrêmement rapide? A un cheminement cahotant et jalonné de compromis en direction du monde moderne? Ou à une dégringolade brusque et autoritaire vers l’archaïsme?
Peut-être est-il vrai que nous ne méritons pas la démocratie, car nous avons trop peu œuvré pour elle et l’avons défendue trop mollement. Mais avons-nous au moins le droit de savoir à quoi nous devons nous préparer? Ou nous a-t-on également dépossédés de ce droit?
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction