Un projet de loi sur l'arrêt de l’aide financière au Pakistan tant que les Etats-Unis n'auront pas acquis la certitude que le gouvernement d'Islamabad ne cachait Oussama Ben Laden a été soumis le 6 mai dernier à la Chambre des représentants du Congrès américain. C’est sans doute un événement clé dans la confusion régnant actuellement aux Etats-Unis sur les détails de l’élimination de Ben Laden dans la ville pakistanaise d’Abbottabad.
Il pourrait sembler que cette confusion soit due au désir des républicains d’accuser le président Barack Obama de son incapacité à dire clairement à son peuple ce qui s’est passé. Par exemple, pourquoi refuse-t-on de publier la photo de la dépouille mortelle, pourquoi au début était-il question d'un échange de coups de feu, dont il s’est avéré par la suite qu'il n'avait pas eu lieu: l’homme a simplement été tué; est-ce que le terroriste numéro un a tenté de se protéger en se servant de sa femme comme d'un bouclier? Mais un examen attentif montre que le problème ne réside nullement dans la maladresse des déclarations de la Maison Blanche, mais dans de nombreux détails concernant un fait très simple: l'événement s’est produit au Pakistan, et cette affaire comporte de nombreux éléments étranges. Le projet de loi au Congrès pose la question sans ambages: tirons tout cela au clair. Et l'enquête pourrait montrer que pour les Etats-Unis la question des relations avec le Pakistan à presque plus d'importance que la lutte contre le terrorisme international.
Un site militaire près du repaire de Ben Laden
Il existe des personnes qui ont le don de construire des phrases avec des mots, on les appelle des écrivains. Il est difficile de dire si Salman Rushdie, qui vit actuellement aux Etats-Unis, est le meilleur écrivain du monde, ou s'il se classe dans le top 10. Mais il est originaire d’Inde, puis il a vécu au Pakistan: c’est un presque un autochtone. Il a publié sur plusieurs sites un essai court mais très clair, où il est notamment dit: "La maison de Ben Laden a été découverte au bout d’un chemin de terre, à environ 730 mètres de l’Académie militaire d’Abbottabad, l’équivalent pakistanais de West Point ou de Sandhurst, dans une cité militaire avec des soldats à tous les coins de rue, à environ 130 kilomètres de la capitale Islamabad."
On pourrait également rappeler toute l’histoire de l’apparition du phénomène appelé "Ben Laden." Même s’il est d’origine saoudienne, sa guerre contre l’URSS en Afghanistan n’aurait pas pu devenir réalité sans l’amitié étroite entre les services de renseignement américains et pakistanais. Et le mouvement des talibans qui était au pouvoir en 2001 en Afghanistan a été également enfanté par les services pakistanais.
Et aujourd’hui, lorsque le public cherche à comprendre les détails étranges de l’opération américaine contre Ben Laden, la principale question est la suivante: comment ont-ils travaillé? Avec l’aide des autorités pakistanaises ou seuls? Ou existe-t-il une troisième version?
Il semblerait que la troisième version soit la bonne. Autrement dit, certaines personnes au Pakistan savaient, et d’autres pas. Par exemple, au cours de l’opération un hélicoptère américain se serait crashé. Au début, il était question d’une panne de moteur. Aujourd’hui, la Maison Blanche nie d’un air entendu qu'il s'agissait d'une "panne accidentelle." Quelqu'un parmi les militaires pakistanais n’aura pas su évaluer la situation.
Incompétence ou trahison?
Dans l’ensemble, tous ces événements constituent une crise politique pour le Pakistan. Commençons par l’argent. Concrètement, Islamabad reçoit des Etats-Unis jusqu’à 1,5 milliard de dollars par an pour la lutte contre le terrorisme. On estime que l’économie pakistanaise s’effondrerait sans cet argent.
Ensuite, le Pakistan est un allié des Américains depuis 2001, c’est-à-dire depuis le début de la guerre en Afghanistan (contre les amis talibans des pakistanais qui cachaient en Afghanistan Ben Laden, l'instigateur de l'attentat de New York en septembre 2001). Islamabad n’avait pas vraiment le choix. Etant donné que la diplomatie américaine avait promis à l’époque de "bombarder le Pakistan pour le renvoyer à l'âge de pierre" s’il n’acceptait pas de coopérer. Mais ce choix est loin de plaire à tous les Pakistanais.
L’opération d'élimination de Ben Laden montre une nouvelle fois à tous les insatisfaits du régime pakistanais que soit le gouvernement est une marionnette des USA, soit il ignore ce que les services spéciaux des Etats-Unis font sur son territoire (ainsi que ses propres militaires qui vivaient à proximité du terroriste). Les deux versions sont pires. En fait, pour l’instant Islamabad, en choisissant entre l’incompétence et la trahison, a choisi la première solution. Autrement dit, on ignorait qui vivait à Abbottabad. Et on ne savait rien de l’opération militaire américaine.
N’oublions pas que les Etats-Unis n’accusent pas tout le Pakistan d’avoir recelé un terroriste, mais concrètement l’armée et l’Inter-Service Intelligence. On estime que cette dernière structure a créé Al-Qaïda (pour la guerre en Afghanistan, bien sûr), de même que les talibans. Cet establishment militaire de renseignement est qualifié d’"Etat dans l’Etat" et de seule force capable de maintenir un ordre relatif dans le pays. Beaucoup de Pakistanais débordent de haine impuissante à cause des drones américains qui lancent constamment des frappes sur le territoire du Pakistan en tuant des innocents par la même occasion. Et aujourd’hui, éclate l’histoire Ben Laden, avec l’ingérence américaine de surcroît. Que va devenir le Pakistan? Nul ne peut le dire.
Déclarer hors la loi?
L’écrivain Salman Rushdie qui a connu des complications avec sa seconde ancienne patrie, appelle à la proclamer Etat terroriste et la déclarer hors la loi. Admettons que quelqu’un, c’est-à-dire les Etats-Unis, tente de le faire. Il s’avérera alors que les problèmes du Pakistan après l’élimination de Ben Laden sont futiles. Mais les problèmes des Etats-Unis sont un véritable cauchemar.
Commençons par le fait que le Pakistan compte 169 millions d’habitants, c’est le sixième pays le plus peuplé du monde. C’est une puissance nucléaire. Ce n’est pas du tout la Libye, mais une entité plus grande et plus effrayante. Et c’est un pays, depuis le territoire duquel les Etats-Unis mènent la guerre en Afghanistan. Admettons que le retrait des troupes d’Afghanistan soit accéléré dans la situation actuelle. Et qu’en sera-t-il? La région Afghanistan-Pakistan représente un territoire immense, grouillant de terroristes, sur lequel, en retirant ses troupes et en suspendant l’aide au Pakistan, Washington n’aurait plus aucun levier de pression.
L’Inde n'est pas loin non plus, qui tente depuis des années de se faire entendre des Etats-Unis, en leur expliquant qui envoie les terroristes sur le territoire indien et qui est responsable (fût-ce indirectement) de la destruction du Wolrd Trade Center. Mais si les Etats-Unis rompaient leurs relations avec le Pakistan, l’Inde se ferait payer cher pour une nouvelle entente mutuelle avec Washington.
Mais il convient de s’arrêter là et de reconnaître que nous avons suffisamment de scénarios catastrophes, et la seule bonne chose est qu’ils sont peu susceptibles de se réaliser tous en même temps.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction
Affaire Ben Laden: il est temps de clarifier les relations USA-Pakistan
19:09 11.05.2011 (Mis à jour: 16:05 05.10.2015)
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Un projet de loi sur l'arrêt de l’aide financière au Pakistan tant que les Etats-Unis n'auront pas acquis la certitude que le gouvernement d'Islamabad ne cachait Oussama Ben Laden a été soumis le 6 mai dernier à la Chambre des représentants du Congrès américain.