L'économie de la Russie au seuil d'une percée industrielle

© RIA Novosti . Alexei Nikolski / Accéder à la base multimédiaLe premier ministre russe Vladimir Poutine
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Le 20 avril, le premier ministre russe Vladimir Poutine a rendu compte devant les députés de la Douma d’Etat (chambre basse du parlement russe) du travail du gouvernement en 2010.

Le 20 avril, le premier ministre russe Vladimir Poutine a rendu compte devant les députés de la Douma d’Etat (chambre basse du parlement russe) du travail du gouvernement en 2010. La majeure partie du discours de pratiquement trois heures comprenant force chiffres, faits et prévisions, était consacrée à l’économie. Le premier ministre n’a pas caché sa satisfaction: l’économie russe a surmonté honorablement l’épreuve de la crise et se trouve probablement au seuil d’une percée industrielle. C'est sans doute le message principal du chef du gouvernement: le pays a besoin d’une nouvelle industrialisation qui contribuera à régler la multitude de problèmes économiques et sociaux, et deviendra à terme une base de l'édification d’une économie novatrice.

Les victoires et les défis

Le premier ministre a constaté que la crise se repliait sur tous les fronts, et qu’elle serait définitivement surmontée début 2012, et non pas en 2013-2014. Aujourd’hui, des objectifs ambitieux sont fixés pour la Russie: d'ici 2020 faire partie des cinq premières économies du monde et atteindre un PIB de 35.000 dollars par habitants et par an, ce qui est proche du niveau des pays européens développés.

La tâche n’est pas seulement ambitieuse, mais également difficilement réalisable, étant donné l’usure des immobilisations (la majorité n’a pas été mise à jour depuis l’époque soviétique) et le retard sur les économies développées en termes de productivité du travail. Selon les estimations du président de Delovaïa Rossia (Russie des affaires) Boris Titov (il en a fait part lors de sa conférence de presse à RIA Novosti sur les résultats du rapport du premier ministre à la Douma), ce retard dans divers secteurs est de trois à dix fois. Le facteur technologique (les dépenses de la main d’œuvre en Russie sont bien plus importantes pour une productivité de travail équivalente), qui est renforcé par l’aspect social, joue un rôle néfaste. Comme l’a fait remarquer la veille Iaroslav Kouzminov, recteur du Haut collège d’économie, lors de la conférence "Productivité du travail et qualité de la main d’œuvre: les objectifs du développement d’après la crise", la Russie subit le phénomène appelé "emploi social", c'est-à-dire l'aide aux entreprises peu rentables et le maintien des emplois notoirement excédentaires.

De plus, n’oublions pas que l’Occident ne fait pas du sur-place. Selon les estimations de Boris Titov, la croissance annuelle de la productivité du travail aux Etats-Unis s’élève à 10%. Cela signifie qu’avec un indice de croissance de 3-4%, la Russie ne réduit pas mais accroît son retard sur les Etats-Unis.

Le recul industriel

Ce n’est pas par hasard que le premier ministre russe a déclaré à la Douma qu’il était nécessaire d’augmenter la productivité non pas de quelques pour cent, mais de plusieurs fois: "Dans les dix prochaines années il est nécessaire de multiplier la productivité du travail au moins par deux, et par 3-4 dans les secteurs clés de l’économie russe."

Les spécialistes de la société FinExpertisa ont calculé qu’il ne serait possible de multiplier la productivité du travail par deux en dix ans qu’avec une croissance économique annuelle de 7-8%. Un tel objectif est irréalisable pour le modèle économique russe actuel, mais il n’est pas question de maintenir ce modèle. Selon l’idée du gouvernement, dans les années à venir, la Russie doit effectuer une percée industrielle, mettre en œuvre une nouvelle industrialisation. "Nous avons besoin de lancer une nouvelle vague de développement technologique industriel en Russie, créer des conditions favorables à l’afflux des investissements dits "intelligents" à long terme et de technologies de pointe", a souligné dans son discours Vladimir Poutine.

La communauté des affaires parle depuis longtemps de la nécessité d’une nouvelle industrialisation. La mise en œuvre de cette idée devrait régler au moins trois objectifs: augmenter la productivité du travail, accélérer la croissance économique et constituer la base de la formation d'une économie novatrice. La pratique mondiale montre que l’économie postindustrielle n’est capable de se développer que sur une base industrielle puissante. Et les tentatives de construire une économie postindustrielle en sautant la phase industrielle, conduisent dans le meilleur des cas à la création de pôles isolés, à l’instar de Bangalore en Inde. Evidemment, du point de vue de l’image de marque et des finances du pays, c’est une chose favorable mais cela ne détermine pas le vecteur du développement économique de l’Etat.

Les pays qui ont misé précisément sur l’industrialisation à grande échelle atteignent les meilleurs taux de croissance économique. Dans la première moitié du XXe siècle, la preuve en a été apportée par l’URSS, et par l’Asie du Sud-Est à la fin du siècle. A l’heure actuelle, la Chine le montre clairement.

Et pas seulement la Chine. Les pays développés commencent à se rendre compte qu’ils sont allés trop vite en besogne en annonçant que leurs économies étaient postindustrielles. Le fait est que les revenus de la vente de la propriété intellectuelle et des services ne peuvent pas compenser les dépenses d'acquisition des produits manufacturés.

Les Etats-Unis avec un déséquilibre immense dans le commerce extérieur en sont un parfait exemple. En fait, les Etats-Unis commencent à faire doucement marche arrière: en janvier 2011, dans une intervention devant le Congrès, Barack Obama a annoncé la nécessité de doubler les exportations américaines et de créer deux millions d'emplois nouveaux dans l’industrie au cours des cinq prochaines années.

Développer la politique de l'emploi

Les emplois sont un autre aspect important. Les politiciens et les économistes en Russie et à l’étranger parlent de moins en moins du déficit de main-d’œuvre, et de plus en plus souvent du manque d'emplois. Il est question des emplois bien rémunérés pour des travailleurs hautement qualifiés. "L’essence de notre politique sur le marché du travail consiste à créer des emplois modernes, efficaces et bien payés, à stimuler l’introduction de nouvelles technologies, et abandonner par ce moyen les industries dangereuses et nocives", a déclaré le premier ministre aux députés. En fait, c’est le seul moyen de résoudre le problème de l’emploi social, qui pèse lourdement sur l’économie russe. Cette année, selon Vladimir Poutine, 105 milliards de roubles seront accordés à l'aide aux chômeurs et aux programmes de l’emploi, y compris pour l’amélioration des compétences des employés.

Bien sûr, cela ne signifie pas que la Russie n’a pas besoin de spécialistes étrangers. Elle a réellement besoin de spécialistes étrangers hautement qualifiés. L’un des objectifs de la nouvelle industrialisation, hormis les investissements et les technologies, est d’attirer des spécialistes compétents qui feront fonctionner les technologies importées, comme l’a fait l’Union soviétique pendant l’industrialisation.

Les premiers pas dans ce sens ont déjà été accomplis: le 1er juin 2010, la procédure d’attraction des spécialistes étrangers a été simplifiée. Depuis, selon le chef du Service fédéral de l’immigration, Konstantin Romodanovsky, plus de 6.500 autorisations de travail ont été délivrées pour les employés des représentations et des succursales des entreprises étrangères.

Les secteurs prioritaires

L’afflux augmentera très probablement, vu la nature des secteurs qui joueront le rôle de moteur de la nouvelle industrialisation, selon Vladimir Poutine. Dans son discours, hormis le complexe énergétique, le premier ministre a mis l’accent sur la construction automobile, l’agriculture et la construction de logements. Ces secteurs enregistrent une bonne croissance d’après la crise. Et le secteur agraire a été l’un des rares à maintenir une dynamique positive en pleine crise. Cependant, tous les secteurs, notamment la construction automobile et l’agriculture, ne pourront faire un bond que grâce aux technologies étrangères. Le retard technologique dans le secteur agraire est particulièrement visible: les exploitations agricoles fonctionnement pratiquement à la limite de la rentabilité. Selon Boris Titov, si la rentabilité du complexe énergétique constitue environ 30%, celle des constructions mécaniques ne représente que 8%, et celle de l’agriculture moins de 4%. En termes de productivité, l’agriculture russe affiche un retard d’environ cinq fois sur l’agriculture américaine.

Il est prévu d’affecter 320 milliards de roubles en 2010-2011 pour soutenir et renouveler technologiquement le complexe agroindustriel: il est question de subventionner des taux d’intérêts, de faciliter le crédit-bail, d’accorder des préférences fiscales, etc. De plus, actuellement on étudie la possibilité de mettre en place un autre mécanisme de soutien qui a fait ses preuves dans l’industrie automobile. Il s’agit du programme de prime à la casse pour le matériel agricole.

La réanimation de l’industrie automobile russe est directement liée aux technologies étrangères. Comme l’a fait remarquer Vladimir Poutine, aujourd’hui pratiquement tous les grands fabricants étrangers d'automobiles possèdent des usines en Russie. Actuellement, le gouvernement avance de nouvelles exigences concernant une intégration locale plus poussée et les volumes de production accrus: le niveau d’intégration locale doit atteindre près de 60%, et la compagnie doit produire près de 300.000 véhicules par an. Selon le premier ministre, un tel volume de production rentabilisera la délocalisation des compagnies étrangères en Russie. Bien sûr, il n’est pas facile de s’entendre à ce sujet, et le premier ministre l’a souligné, mais les pays asiatiques (le Japon, la Corée du Sud) ont suivi pratiquement la même voie. Ils ont réussi à créer une industrie automobile d'avant-garde, et la Chine progresse sur cet axe avec succès. Et cela signifie qu’avec de la volonté politique, il est possible d’y arriver.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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