Un étrange malaise sibérien

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Un étrange malaise hante les habitants de Sibérie et de l'Extrême-Orient russe, qui se sentent délaissées par le pouvoir central.

Hugo Natowicz, pour RIA Novosti

L'identité russe n'est décidément pas une chose simple. Outre la citoyenneté russe, les habitants de ce pays ont la possibilité de se définir par une ethnie ou nationalité. Un critère hérité de l'époque soviétique qui n'a aucune valeur juridique, mais reste encore fréquemment utilisé à titre indicatif. Ainsi, un Russe peut être Tatar par sa mère, Russe par son père et se sentir appartenir à l'un de ces deux groupes, au choix…

Une nouvelle a récemment fait les choux-gras des journaux russes: lors du dernier recensement, nombreux ont été les habitants de Sibérie à se définir comme "Sibériens" au moment de cocher la case "nationalité". A la base, une blague d'internautes lancée il y a quelques années. Cette boutade de citadins branchés a pourtant fini par dépasser les attentes de ses créateurs et remporter un franc succès. Et ce malgré les mises au point diffusées par les chaînes publiques la veille du recensement, expliquant notamment qu'il n'y avait pas de "nationalité sibérienne", uniquement des Russes, des Juifs, des Tatars, des Ukrainiens, etc.

La blague aurait pu rester un fait isolé. Le problème, c'est que les employés des antennes régionales de Rosstat, l'agence des statistiques en charge du recensement, ont fait savoir que les cas étaient "très nombreux" (les résultats définitifs ne sont pas encore disponibles).  De leur aveu, un nombre éloquent d'habitants de Tioumen, Barnaoul, Kemerovo, Omsk, Novossibirsk, Krasnoïarsk et Irkoutsk se sont ainsi définis en masse comme "Sibériens". Des personnes qui se disaient "Russes" (ethniques) lors du dernier recensement.

Lors d'une conversation avec un chauffeur de taxi (un excellent thermomètre social) à Vladivostok, j'avais ressenti une certaine animosité contre le centre et les Moscovites, avec lesquels mon interlocuteur affirmait avec exagération n'avoir "rien en commun". Cette sensation était également présente en Sibérie, une région d'une richesse énorme pour ses matières premières, mais dont une partie de la population (surtout dans les zones rurales) vit dans une certaine pauvreté, les gens se sentant parfois oubliés par un pouvoir central qui ne leur offre que peu en contrepartie. Un sentiment de délaissement particulièrement prégnant dans la région de l'Amour, où les "khrouchtchevki" (immeubles à 5 étages) de Blagovechtchensk font face aux immenses gratte-ciels de Heihe, côté chinois.

Signe d'un malaise? Le 15 mars, les médias russes rapportaient une série d'immolations par le feu dans ces régions. Un homme a notamment fait irruption dans les locaux d'un tribunal de Krasnoïarsk (Sibérie), avant de s'asperger d'essence et d'y mettre le feu, faisant deux morts dont lui-même. Dans la région de l'Amour, un retraité s'est immolé le même jour dans un hôpital, lassé par les longueurs de l'obtention d'un certificat d'invalidité.

La Sibérie n'a d'ailleurs pas été épargnée par la contestation ces dernières années. Ce n'est certainement pas un hasard si en pleine crise, un véritable soulèvement contre l'augmentation des taxes sur l'importation des voitures étrangères y a fait tâche d'huile. Les manifestations avaient pour foyers principaux l'Extrême-Orient et le littoral pacifique russes, et visaient à faire revenir le gouvernement russe sur sa décision protectionniste contestée, qui consistait à doubler les taxes d'importation sur les véhicules particuliers et tripler celles sur les camions. Une décision sensible quand on sait que la plupart des voitures de l'Extrême-Orient viennent du Japon, et que le secteur fait vivre près de 100.000 personnes. Certains manifestants brandissaient alors des drapeaux nippons…

Le pouvoir prend peu à peu conscience du fait que le développement de la Sibérie et de l'Extrême-Orient constitue une urgence, et cherche à associer ses voisins à ce défi. En témoigne l'appel lancé par le président Medvedev lors du sommet de Boao, le "Davos chinois": "L'avenir de la Russie, la modernisation de la Sibérie et de l'Extrême-Orient sont indissolublement liés à la région Asie-Pacifique, parce que la Russie constitue une partie intégrante de cette région et est intéressée par son développement rapide", a souligné le chef de l'Etat russe. Selon lui, la "coopération pour la modernisation" sera le sujet clé de la présidence russe de l'APEC (Forum de coopération économique pour l'Asie-Pacifique) en 2012. Le sommet doit se tenir à Vladivostok, ce qui donné lieu à des travaux de grande envergure dans toute la ville.

Cette orientation vers les voisins asiatiques possède une logique géographique et économique: les Chinois sont d'ores et déjà à la pointe du développement économique de ces régions, où ils bâtissent les infrastructures destinées à acheminer les matières premières vers leur pays. Le défi sibérien doit être relevé au plus vite: contrairement aux rumeurs de "péril jaune", qui voudrait que la Sibérie soit à terme assimilée par une Chine à la démographie galopante, il se pourrait que le danger vienne de l'intérieur. Des Sibériens eux-mêmes, lassés par l'indifférence du pouvoir central.

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