La Syrie entre croyances religieuses et modernité

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Dans chaque pays arabe, la population a des raisons de critiquer les autorités. Bien sûr, il y a des éléments similaires: les leaders au pouvoir depuis des années, l’écart important entre les riches et les pauvres, le chômage et bien d’autres. Mais en Libye et au Yémen à cela s’ajoute le facteur de la lutte entre les diverses tribus, ce qui n’est pas le cas en Tunisie.

Dans chaque pays arabe, la population a des raisons de critiquer les autorités. Bien sûr, il y a des éléments similaires: les leaders au pouvoir depuis des années, l’écart important entre les riches et les pauvres, le chômage et bien d’autres. Mais en Libye et au Yémen à cela s’ajoute le facteur de la lutte entre les diverses tribus, ce qui n’est pas le cas en Tunisie.

En Syrie, il existe également une particularité. Le gouvernement arrive à peine à éteindre les foyers de protestation. L’opposition a déjà annoncé que jeudi et vendredi de nouvelles manifestations seraient organisées dans le pays.

Qu’est-ce qui distingue la Syrie des autres pays arabes?

C’est le seul pays dans lequel vit d’une façon compacte (principalement sur la côte méditerranéenne et dans les régions montagneuses) une petite communauté religieuse d'alaouites. Ils y vivent en paix mais ce qui importe c’est que l’ancien dirigeant syrien Hafez al-Assad et, par conséquent, son fils, le président Bachar al-Assad, sont originaires de cette communauté. Cette dynastie règne dans le pays depuis le début des années 1970, depuis l’arrivée au pouvoir de Hafez al-Assad. Qu’il soit dit en passant, en arabe ce nom de famille signifie lion.

Et bien que Bachar al-Assad, qui a hérité en été 2000 le trône de son père à l’âge de 34 ans, ait tenté depuis de freiner les ambitions de ses proches et de ses compatriotes, leur influence dans le pays demeure notable. La majorité de la population est représentée par les musulmans sunnites, il existe également des chrétiens et des druzes, une autre petite communauté religieuse. Ainsi, aux yeux de certains critiques du régime, la minorité dirige la majorité, bien que ce soit une affirmation discutable.

En dépit de toutes les discussions au sujet de la modernisation, la division selon le principe religieux et communautaire se maintient aussi bien en Syrie qu’au Liban voisin. En temps de paix, les diverses communautés vivent de manière plus ou moins conviviale, et une partie des jeunes affiche sa laïcité et défend devant les parents le droit aux mariages d'amour mixtes, et non pas en fonction de l’appartenance confessionnelle.

Cependant, l’histoire de ces pays montre que la situation n’est pacifique que sous un gouvernement stable et centralisé. La moindre secousse, et le problème se transforme en Djinn sorti d’une vieille lampe. Tant qu’il est en colère et non apprivoisé, il peut être à l’origine de nombreux maux. Et si on arrive à le calmer et à trouver un terrain d’entente, il servira encore pendant longtemps pour le bien de la société.

Afin de comprendre la différence entre les alaouites et les autres musulmans, il suffit de poser la question de savoir si l’individu croit en la réincarnation. Un Syrien qui répond que c’est une hérésie est un musulman sunnite ou un chrétien. Et s’il commence à expliquer que l’âme de l’homme est capable de se réincarner dans le corps d’un nouveau-né ou d’un animal, vous avez affaire à un alaouite.

En fait, pendant longtemps l’originalité des croyances de cette communauté ne permettait pas aux musulmans chiites de reconnaître ses membres en tant que coreligionnaires. Néanmoins, dernièrement les alaouites sont de plus en plus souvent appelés musulmans.

Par exemple, dans la première moitié du XXe siècle, les colonisateurs français avaient pris en compte les différences existantes. Dans les années 1920, ils ont créé sur le territoire de la Syrie actuelle une sorte de fédération composée de trois Etats autonomes avec des centres administratifs à Damas, Alep (ou Halab) et Lattaquié. La ville de Lattaquié sur la côte méditerranéenne a été proclamée capitale de l’Etat alaouite.

Le président Bachar al-Assad, il faut lui reconnaître ce mérite, tente d’arracher son pays au passé, de l'amener à rompre avec le principe selon lequel la division en fonction du critère religieux jouait un rôle important. Mais il ne peut pas se permettre d’ignorer ces réalités. Ce n’est pas par hasard que ses premières mesures prises en réponse aux manifestations concernent la religion.

A la demande des croyants, il a fermé le casino ouvert six mois auparavant près de l’aéroport international, à trente minutes de Damas en voiture. Il a permis aux femmes d’entrer dans les établissements d’enseignement avec un voile cachant le visage, ce qui ne correspondait pas jusqu’à récemment au caractère laïque de l’Etat. Tout cela a été obtenu par les musulmans sunnites.

"Aujourd’hui, les protestations en Syrie, ce n’est pas une lutte entre les confessions, mais une lutte du peuple contre le gouvernement", fait remarquer dans un article sur le portail de la compagnie Al-Jazeera le spécialiste des religions, le chercheur mauritanien Mohamed Chankati. Il rappelle la modernité du chef de l’Etat syrien, diplômé d'ophtalmologie, et le fait que son épouse Asma n’est pas une alaouite, mais originaire d’une famille sunnite influente et riche. Ils se sont rencontrés à Londres, où il suivait un cursus de médecine, et elle travaillait dans une banque.

Le chercheur cite des exemples de fréquentes alliances entre les sunnites et les chiites, parmi lesquels il classe les alaouites, dans la lutte contre les ennemis extérieurs. Au Moyen-âge, en particulier parmi les compagnons du sunnite Salah ad-Din dans ses campagnes contre les croisés, se trouvaient plusieurs poètes et scribes chiites. Ils aidaient à inspirer l’armée à la victoire et écrivait parallèlement la biographie du chef.

Mais à la fin de son article, l’expert mauritanien tire une conclusion paradoxale: il appelle les alaouites "avant qu’il soit trop tard à se joindre plus activement aux protestations antigouvernementales."

C’est probablement pourquoi, en raison tant de la complexité régionale que de la situation politique à l'intérieur du pays, le président Bachar al-Assad tarde tant à mettre en œuvre les principales revendications de l’opposition. Il est question de la levée de l’état d’urgence, instauré en 1963 avec l’arrivée du parti Baas au pouvoir, et de l’abrogation du huitième article de la constitution qui consacre le rôle dominant de ce parti "au sein de la société et de l’Etat."

La situation actuelle de Bachar al-Assad, dont le second mandat présidentiel arrive officiellement à échéance en juillet 2014, n’est pas à envier. Et en tant que politicien très cultivé, il doit forcément connaître la citation du célèbre philosophe et sociologue arabe du XIVe siècle Ibn Khaldoun, qui a dit qu’aucune dynastie ne pouvait régner éternellement car "chaque dynastie possède en son sein les germes de sa propre décadence."

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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