Quelle que soit la durée d'une guerre, la paix revient toujours. L'étrange guerre en Libye ne fait pas exception à la règle: il semblerait que la majorité des puissances se préparaient à l’avance à l’établissement de la paix, très à l’avance. Et on assiste actuellement à un véritable attroupement des forces de maintien de la paix prêtes à agir.
L'Afrique dépasse l’Asie, l’Asie se concerte avec le Brésil
Lundi et mardi (4 et 5 mars), le chef de l’Union africaine Jean Ping mène des négociations à Bruxelles avec les dirigeants de l’OTAN et de l’Union européenne. Il a apporté un plan concret et relativement détaillé pour stopper la guerre et régler pacifiquement le conflit en Libye. Il serait intéressant de voir l’évolution de la discussion: sera-t-il question du discours général ou concrètement de la manière d'établir la paix?
L’Afrique (du moins en ce qui concerne les affaires liées à la Libye) est un acteur important, mais on a l’impression que les Africains sont seulement pressés de ne pas être dépassés par d’autres soldats de la paix.
Le fait est qu’il existe plusieurs autres initiatives pacifiques similaires, et avant tout celle qu’on appelle l'initiative "latino-américaine." Un groupe de pays, disons, de gauche, avant tout Cuba et le Venezuela, ont soumis au Conseil de sécurité des Nations Unies leur propre plan de cessation des combats.
Les Latino-américains de gauche auraient paru être des acteurs secondaires dans cette histoire, si sous la requête n’étaient apposées les signatures de l’Indonésie et du Vietnam, ce qui n’est pas rien. De plus, il existe encore trois pays qui n’ont pas signé ce document car ils sont membres du Conseil de sécurité. Il s’agit de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud. Ce n’est plus l’Indonésie ou le Vietnam, mais de véritables poids lourds.
La requête a été transmise au représentant de la Chine auprès de l’ONU (à l’époque la Chine présidait le Conseil de sécurité). Et il est temps de regarder ce que fait la Chine, le pays qui a depuis le début choisi une manœuvre difficile, à l’instar de la Russie: elle s’est abstenue lors du vote au Conseil de sécurité des Nations Unies sur la résolution N 1973 qui a sanctionné le début de l’opération militaire contre la Libye.
Rien de plus simple. Le 1er avril, un "dialogue stratégique" entre les ministres chinois et allemand des Affaires étrangères s’est tenu à Pékin. Et ces deux pays ont rappelé au monde que les deux s’étaient abstenus lors du vote sur la résolution, car cette dernière était sensée défendre la population civile, mais l’inverse s’est produit. Il faut donc désormais œuvrer pour faire cesser les hostilités.
Une question se pose donc: qui se trouve du côté de la Grande-Bretagne, de la France, de la Belgique et du petit groupe d’Etats qui mènent les opérations militaires? Surtout à l’heure actuelle, lorsque les Etats-Unis ont déclaré qu’ils cessaient de participer aux "distractions militaires" antilibyennes?
Le second mandat d’Obama et l’Europe isolée
La nouvelle de lundi concerne la supplication des membres européens de l’OTAN des Etats-Unis: ne partez pas si vite, bombardez Kadhafi encore un peu! Et les Américains ont accepté: d’accord, encore une journée, car le temps est mauvais, car vous nous suppliez… Mais pas plus.
Le ministre américain de la Défense Robert Gates qui s’était rendu à Moscou les 21 et 22 mars avait déjà annoncé que les Etats-Unis se retireraient bientôt de la Libye. Beaucoup d’autres promesses et signes indiquaient que l’administration d’Obama, du moins une partie de son administration, ne souhaitait pas s’impliquer dans cette guerre. Mais la majorité des Russes est impossible à convaincre. Ils sont persuadés que les Etats-Unis ont besoin du pétrole libyen, et qu’ils ne quitteront pas l’Afghanistan comme promis…
Or, les Américains quitteront la Libye sans l’ombre d’un doute. Et ils rejetteront la honte militaire sur l’OTAN (où les Etats-Unis représentent pourtant la principale force) et sur les Européens.
Lundi, le 4 mars, Barack Obama a annoncé solennellement qu’il souhaitait briguer un second mandat. Et le retrait des Américains de Libye coïncide clairement avec le début de la campagne électorale de 2012.
Nous assistons finalement à un cas rare d’isolement non pas de "l’Occident" en général, mais d’un petit groupe d’Etats européens face à une guerre totalement absurde. Dans laquelle même le départ de Kadhafi n’est pas encore garanti. De même que sa défaite dans la guerre civile non seulement n'est pas garantie, mais n'a rien de probable.
L’expérience russo-chinoise
Il est d’autant plus intéressant de voir quelles puissances mondiales ont été plus intelligentes que les autres dans cette histoire. Récemment, la meilleure chroniqueuse chinoise traitant de politique internationale, Li Hongmei, a publié une analyse très détaillée de la raison pour laquelle la Chine s’est abstenue lors du vote sur la résolution N 1973. Elle a exprimé des choses que les diplomates chinois ne disent jamais aussi ouvertement: la Chine a progressivement réussi à suggérer à ses partenaires au Proche-Orient une alternative à la politique très impopulaire des Etats-Unis dans la région. Le "consensus de Pékin", contrairement à celui de Washington, n’est pas un mythe mais une politique au Proche-Orient qui a conduit à la croissance du commerce de la Chine rien qu’avec avec l’Arabie Saoudite jusqu’à plus de 40 milliards de dollars par an.
En l’absence des arabes qui ont initié la résolution N 1973 (en raison de l’inimitié à l’égard de Kadhafi), la Chine se serait probablement opposée. Mais la Ligue des Etats arabes s’est mise à dire dès le lendemain du début de la guerre (le 20 mars) que "ce n’est pas cela qu’[elle avait] voulu"… Et désormais la LEA se prononce en faveur de la paix.
Et aujourd’hui, la Chine s’avère, de toute évidence la structure portante du futur règlement pacifique du conflit libyen. Ainsi que la Russie, parmi d’autres pays. Le choix était difficile à faire pour la Russie dans cette histoire. Mais elle semble avoir fait le bon. La Russie a adopté une position gagnante, et elle pourra désormais se charger de l’établissement de la paix avec tous les autres pays.
L'opinion de l'auteur ne correspond pas forcément à la position de la rédaction.