Les paradoxes du printemps révolutionnaire en Afrique du Nord: le Conseil de sécurité des Nations Unies a enfin décidé dans la matinée du 18 mars de "rogner les ailes" du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Il sera bombardé et châtié pour la répression de l’opposition démocratique et l’inhumanité de son régime. Dès dimanche ou lundi, les armées de l’air britannique, française et américaine commenceront à "établir une zone d’exclusion aérienne" par des attaques contre les systèmes de défense antiaérienne de la Libye. Et la mise en place de la "quarantaine" intégrale dans le ciel prendra environ une semaine.
Pas très loin, à Bahreïn, on assiste à quelque chose de diamétralement opposé. Les troupes d’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe sont entrées à Manama, la capitale de l’île-base de la 5e flotte américaine, afin de réprimer les manifestations de l’opposition qui exigeait la démocratisation du régime et l'octroi des droits politiques et sociaux. C'est ainsi qu'un voisin peu démocratique aide un autre régime aussi peu démocratique. En dehors de la région il faut expliquer pendant longtemps pourquoi il est nécessaire de planter à un endroit et de sarcler à un autre les mêmes "germes démocratiques." Mais seulement en dehors de la région.
La démocratie et la stabilité ont toujours été à des pôles opposés au Proche-Orient. Mais une démonstration aussi remarquable de leur polarité (qui plus est à la même période) est peu susceptible d’être observée à l’avenir.
Sans ces "remarques préliminaires", il est impossible de comprendre l’évolution des événements en Libye, ainsi que dans les territoires arabes proches et lointains.
L’éloignement de Kadhafi est une affaire de temps
Les révolutions sont des substances dangereuses. Personne ne dira le contraire. Au Proche-Orient elles sont particulièrement dangereuses: le pétrole, le gaz, le canal de Suez, le conflit arabo-israélien, la guerre en Irak, l’Afghanistan… La "révolution libyenne" sera probablement le dernier changement violent d’un régime indésirable. Il est seulement question du prix que paieront les Libyens.
Tout est prêt pour éloigner Kadhafi avec des moyens militaires. La Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a déclaré ouvertement que Kadhafi devait partir. Et il ne peut être aucunement question de la "restauration" de son régime.
Bien sûr, il sera plus difficile d’en finir avec Kadhafi aujourd’hui, alors qu’il est arrivé aux portes du bastion des rebelles à Benghazi, qu'il y a deux ou trois semaines. Mais personne ne va pleurer le dictateur libyen qui détient le record de gouvernance de 42 ans. Que ce soit les voisins proches ou lointains. Il n’a aucun partisan, même parmi les dirigeants des pays arabes.
La Ligue des Etats arabes (LEA) l’a déjà exclu de ses membres, a exigé le 12 mars d’instaurer une zone d’exclusion aérienne en Libye et a reconnu le Conseil national provisoire en tant qu’unique représentant légitime du peuple libyen.
La LEA n’est pourtant pas le forum régional le plus démocratique du monde même si deux de ses membres, la Tunisie et l’Egypte, ont déjà connu une révolution. Le Yémen, qui tente actuellement de réprimer l’opposition, pourrait devenir le prochain candidat à la perte du président. A Bahreïn, le "printemps révolutionnaire" a été stoppé par une "intervention de stabilisation."
Le mélange libyen
Il semblerait qu’un élixir avec des ingrédients arabes et occidentaux se prépare pour la Libye.
On avait tort de reprocher au président américain Barack Obama l'abandon par les Etats-Unis de la révolution libyenne jetée en pâture à Kadhafi. En effet Washington a tardé à intervenir.
Toutefois l’opération "zone libyenne" était en réalité très intelligemment menée par les Etats-Unis, qui ne souhaitaient pas donner le ton et prendre la tête de l’intervention militaire dans un autre pays islamique, après l’Afghanistan et l’Irak. Au cours des deux semaines précédant la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, les Etats-Unis ont développé une remarquable activité démocratique. Au final, même la Russie et la Chine se sont abstenues lors du vote au sujet de la zone d’exclusion aérienne. Et désormais, avec le soutien des "mesures fondamentales" par l’autorité de l’ONU, en cas de nécessité il sera possible d’aller bien plus loin qu’une simple quarantaine du ciel libyen.
Et les Etats-Unis semblent avoir très habilement calculé le soutien de cette quarantaine. Aujourd’hui, il n’est pas seulement question de bombarder les sites militaires, les systèmes de défense antiaérienne et les palais de Kadhafi avec les avions de l’OTAN afin que les Etats-Unis et l’Alliance puissent armer l’opposition, effectuer des sabotages et approvisionner les rebelles en armes. Tout cela aura lieu. Car il sera difficile d’assurer la zone d’exclusion depuis le sol et de détruire efficacement les sites militaires: les observateurs sur le terrain seront nécessaires.
Ce qui distingue la zone d’exclusion aérienne libyenne de la yougoslave en 1999, koweïtienne en 1991 et irakienne en 2003, c’est la participation massive et active des "autochtones", des partenaires arabes.
Au jour d’aujourd’hui, à en croire les diplomates américains et les sources arabes, le Qatar, les Emirats Arabes Unis, l’Arabie saoudite et l’Egypte (on parle même de la Tunisie et de la Jordanie) sont en passe de se joindre ou participent déjà à la patrouille et au soutien de la zone d’exclusion.
"L’arabisation" de la quarantaine autour de la Libye devrait priver les adversaires des interventions militaires, en particulier sous la forme d'une une invasion terrestre (tous les pays arabes y sont hostiles), de leur principal argument, à savoir qu'on impose aux Arabes une décision favorable à l’Occident par le biais d'une ingérence militaire. En l’absence de l'arabisation de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, ce serait une "révolution volée."
A en croire les journaux américains et britanniques, l’Egypte, après concertation avec les Etats-Unis, a déjà commencé à envoyer aux rebelles libyens des armes et des munitions. L’Egypte pourrait également commencer à patrouiller l’espace aérien libyen dès dimanche. L’Egypte possède plus de 100 chasseurs américains F-16. L’Arabie saoudite devrait envoyer en Libye ses chasseurs F-15s. Elle en possède près de 100 également. Kadhafi dispose seulement d’une douzaine de Mirages français et d’à peine plus de 100 MiG soviétiques obsolètes. De plus, Washington exhorte actuellement les membres de la Ligue arabe à non seulement participer à la "répression" de Kadhafi avec leurs matériels, mais également à financer une partie significative de toute l’opération contre la Libye.
Aussi étrange que cela puisse paraître, le problème le plus important concernant l’aide militaire à la Libye réside dans le fait que personne ne sait exactement qui bénéficiera de cette aide. Les unités de l’opposition sont toujours disparates et amorphes. Et leurs chefs de file sont majoritairement des anciens cadres loyaux envers Kadhafi.
Le colonel aura les ailes rognées. Mais qu’en sera-t-il par la suite…
Ce texte n’engage pas la responsabilité de RIA Novosti
Kadhafi, le colonel aux ailes bientôt rognées
21:24 18.03.2011 (Mis à jour: 16:05 05.10.2015)
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Les paradoxes du printemps révolutionnaire en Afrique du Nord: le Conseil de sécurité des Nations Unies a enfin décidé dans la matinée du 18 mars de "rogner les ailes" du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi.