Les gens ont tendance à ne pas voir les choses qui sont sous leur nez, à portée de main. En partant de ce principe, le plus simple serait de ne pas prendre au sérieux le discours prononcé par le vice-président américain Joe Biden à l’Université de Moscou devant un vaste auditoire. Il est bien plus intéressant de récolter des miettes d’informations conetenues dans les rapports sur les paroles polies prononcées lors des négociations au plus haut niveau "devant les caméras", avant de demander aux journalistes de quitter la salle.
A l’Université Lomonosov, dernière étape de sa visite à Moscou, Joe Biden a tenu le discours suivant: les Etats-Unis souhaitent améliorer les relations avec la Russie; la transparence doit y contribuer, par exemple en ce qui concerne le système judiciaire russe qui constitue un "obstacle gigantesque pour un grand nombre de compagnies américaines" souhaitant investir en Russie; les exemples concrets qui effrayent ce "grand nombre" sont l’affaire Ioukos, la mort de Sergueï Magnitsky, juriste du fonds Hermitage Capital, en cellule de détention et la dispersion des manifestants sur la place Triumphalnaïa, à Moscou. Le vice-président américain s’est montré prêt à en parler calmement. Car "si les amis ne peuvent pas parler sincèrement, de quelle amitié peut-il être question." La dernière est pratiquement une citation du premier ministre russe Vladimir Poutine de l’époque de la polémique avec George W. Bush au milieu des années 2000.
Le sceau de Caïn de la vice-présidence
Il est important de comprendre le rôle joué par Joe Biden, ancien sénateur, dans l’équipe du président américain Barack Obama. D’une part, il a une réputation complexe d’homme qui dit toujours quelque chose qui terrifie ses propres assistants. Il est d’ailleurs souvent considéré comme la cinquième roue du carrosse, l'homme envoyé à l’étranger pour charmer par des paroles les dirigeants, à qui on n’a rien à donner en réalité. Un article de presse décrivait notamment qui et comment réconfortait en automne 2009, au début du mandat présidentiel de Barack Obama, les dirigeants d’Europe de l’Est (les Tchèques et les Polonais), qui avaient sincèrement lié leur destin au système européen de défense antimissile (ABM) et à la politique de "dissuasion de la Russie."
On pourrait rappeler l’attitude traditionnellement moqueuse des Américains envers le poste de vice-président. Les "vice-" jouent soit le rôle de fainéant parmi les grands travailleurs de l’administration, soit deviennent une personnification de tout le mal (comme dans le cas de Dick Cheney dans l’administration de George W. Bush). Des jeux de mots disent qu’être vice-quelque chose (vice-président), ce n’est pas un crime, mais seulement un vice.
Mais regardons ce que fait actuellement Joe Biden dans l’administration d’Obama. Selon le journal The Washington Post, un mois plus tard on assistera à la création d'un état-major formel de démocrates pour la réélection, où Joe Biden jouera le "rôle central." Le même rôle qu’il joue dans l’élaboration de la stratégie de la politique étrangère en général. En fait, il convient de dire que l’équipe de Barack Obama est très forte dans ce domaine. La Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton est loin d’être son seul expert en affaires internationales. Il existe également un grand nombre de conseillers de haut rang (comme Bill Clinton), et le coordinateur de ce capital intellectuel est précisément Joe Biden.
Un seul exemple. On a entendu dire qu’en août-septembre 2010, les services de renseignement prédisaient de probables troubles de masse au Proche-Orient en raison de l’augmentation des prix des produits alimentaires, et l’administration de Barack Obama, après longue réflexion, a décidé que la situation était perdante. Mais qu’il valait mieux miser sur les "nouvelles forces" en les proclamant combattants de la démocratisation de la région. Et c’est du bon travail.
Dans l’ensemble, tout ce qui a un rapport avec Joe Biden est assez sérieux. Bien que sérieux ne signifie pas toujours une bonne chose. Il ne faudrait pas s’attendre à ce que le vice-président américain soit venu en Russie pour proposer quelque chose de très réjouissant.
On redémarre et on fait l'opération inverse
Il est clair que Moscou est confronté à des faits très désagréables concernant le projet européen de l’ABM, que la plupart ont déjà qualifié en Russie d'"épreuve de bonnes intentions pour l’Occident." A une semaine de l’arrivée de Biden à Moscou, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a déclaré aux Polonais que les Etats-Unis avaient tout de même l’intention de déployer en Pologne des éléments de leur système ABM, ainsi qu’une base aérienne avec des chasseurs F-16.
C’est pourtant précisément Biden qui a ouvert la voie au redémarrage avec la Russie en automne 2009, en gelant les plans de l’ABM en Pologne (et en République tchèque). On ignore si Moscou aurait signé avec Obama le Traité de réduction des armes stratégiques (START) sans ce geste amical. Désormais cette partie du redémarrage est inversée, en mettant la Russie devant le fait accompli. Bien sûr, Joe Biden a soulevé cette question à Moscou, et il faudra bien arriver à un certain compromis au sujet de l’ABM (certainement pas un système conjoint qui rassurerait la Russie). Dans l’ensemble, il ne faut pas croire que Washington ouvrira facilement la voie vers les milliards de dollars américains.
Il y a également la Libye. Il convient de rappeler que l’attitude des Russes envers l’Occident s’est radicalement dégradée après l’attaque de la Yougoslavie par les Etats-Unis en 1999. Personnellement, Mouammar Kadhafi est encore moins apprécié en Russie que Slobodan Milosevic ne l’était en 1999. Mais la guerre est une salle affaire. Il s’avère constamment ensuite que les raisons pour son début n’étaient pas si irréprochables qu’à première vue, et que les atrocités commises par la cible des opérations n’étaient pas si odieuses que cela. Convaincre Moscou de soutenir l’opération libyenne de l’OTAN, si elle commençait, n’est pas une mince affaire. Cela mettra le gouvernement russe dans une position difficile avant l’élection présidentielle de 2012.
Le choix difficile proposé par Washington ne paraît pas plus facile à faire, juste parce qu’il pourrait ne pas y avoir de meilleures propositions. Les opposants républicains d’Obama chargés de la politique étrangère, contrairement aux démocrates, sont complètement à côté de la plaque. Mais lorsqu’ils rassembleront leurs forces intellectuelles, ils sont peu susceptibles de proposer une meilleure formule de relations que ce que fait actuellement Joe Biden.
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