Réinventer la Belgique

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Le week-end dernier, les Belges ont célébré un nouveau record: 250 jours sans gouvernement. Le nouveau cabinet instable de Belgique est tombé l’année dernière après les élections parlementaires où les partis flamands nationalistes ont considérablement rehaussé leur représentativité.

Le week-end dernier, les Belges ont célébré un nouveau record: 250 jours sans gouvernement. Et aujourd’hui, 21 février, ils ont dépassé l’Irak qui après les élections de 2010 n’arrivait pas à former le cabinet depuis 252 jours (cela étant dans le cadre d’un régime d’occupation, de conflit interconfessionnel et de guerre civile latente). Le nouveau cabinet instable de Belgique est tombé l’année dernière après les élections parlementaires où les partis flamands nationalistes ont considérablement rehaussé leur représentativité.

C’est un exemple du trouble psychique affectant le monde entier: les pays du Proche-Orient se révoltent contre leurs propres dirigeants, cheikhs, présidents, rois et gouvernements, et la Belgique, la "capitale" de toute l’Europe, exige qu’on lui donne un gouvernement, et que les politiciens trouvent un terrain d’entente et cessent de diviser le pays en deux régions distinctes: la Flandre et la Wallonie.

"L’erreur historique" de la Belgique

La Flandre et la Wallonie forment un Etat paradoxale traversé par une fracture culturelle et linguistique au sein de l’Europe unie. Cet Etat enseigne au Vieux Continent les symboles d’unité et d’harmonie, et lui fournit une plateforme pour y parvenir, tandis qu’il souffre lui-même de "dédoublement de la personnalité."

En effet, Bruxelles est la capitale et le siège de l’Union européenne. Ici se réunissent régulièrement tous les sommets de l’UE pour régler les problèmes et les différends intereuropéens. L’Union européenne est présidée par l’ancien premier ministre belge Herman van Rompuy. La ville de Bruxelles se situe dans la partie flamande mais est considérée comme une ville francophone. La devise du royaume est l’Union fait la force. Mais les moitiés francophone et flamande ont de plus en plus de mal à cohabiter. Il n’y a plus de gouvernement depuis 8 mois (des périodes similaires ont déjà duré trois ou six mois).

Or la vie continue, la poste fonctionne, les trains circulent, le roi Albert II règne. Sa Majesté est d’ailleurs appelée non pas roi de Belgique, mais roi des Belges. Cela devrait apparemment souligner le caractère commun des habitants, mais ce n’est pas le cas.

L’Etat belge fondé il y a 180 ans est de plus en plus souvent qualifié "d’erreur historique", reposant exclusivement sur un "hasard géographique." Ou de manière tout aussi peu flatteuse: "Etat inventé." Et voilà qu’aujourd’hui, les Belges veulent réinventer leur pays bien-aimé.

Grève du rasage et du sexe en l'absence de gouvernement

Dans un pays qui considère comme "siens" les deux libertins, escrocs, fripons et vagabonds littéraires nord-européens les plus célèbres, Till Eulenspiegel et Lamme Goedzak, la dernière manifestation était appropriée. Sur la place centrale de la ville de Gand, 250 étudiants et étudiantes des deux "sexes linguistiques" ont organisé un striptease. Afin de démontrer que la Belgique avait tout de même une base pour parvenir à une identité commune.

Le mouvement masculin de jeunesse "Ne nous rasons plus tant que le gouvernement n'est pas formé", et le mouvement féminin "Plus de sexe tant que le cabinet n'est pas formé" (une telle abstinence relève de l'exploit!) sont en pleine expansion dans le pays. Fin janvier, une marche de 35.000 personnes a été organisée dans la capitale sous le mot d'ordre "Honte aux politiciens." Actuellement, on dit que prochainement le cabinet provisoire d’Yves Leterme (celui qui est tombé l’année dernière et qui dirige la Belgique par intérim) refusera de rester "suspendu", et les nouvelles élections parlementaires seront organisées en Belgique. Mais cette mesure a peu de chance de contribuer à éliminer le dédoublement de la personnalité économique et culturo-linguistique.

Les grands médiums de l’activité politique spontanée

Le général de Gaulle a dit un jour au sujet de la France: "Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 246 variétés de fromage?" Et ce n’est pas plus facile en Belgique: comment peut-on gouverner un pays qui possède plus de 500 sortes de bière? D’ailleurs, Interbrew Belgium est la plus grande entreprise brassière d’Europe.

Mais apparemment, c’est possible. Ou pousser le beau monde politique à agir à défaut de gouverner.

Un autre phénomène stupéfiant de notre époque. Ceux qui ont matérialisé la colère, l’effondrement des régimes et des présidents en Egypte et en Tunisie, les émeutes au Bahreïn, au Yémen, en Libye, etc., à savoir Twitter et Facebook, ces grands médiums de l’activité politique spontanée, pourraient aider à guérir les plaies de la Belgique. Dans les réseaux sociaux, le mouvement pour la préservation du Royaume de Belgique est en plein essor. Mais il est encore impossible de dire quelle en sera l’issue.

Pour l’instant, on dénombre trois scénarios de modernisation de l’architecture étatique de la Belgique. Le premier: les élections d’un nouveau parlement en avril. Il pourrait offrir une surprise au pays avec un plus grand nombre de députés nationalistes des deux communautés linguistiques. Et la structure de l’Etat belge pourrait être encore plus poreuse.

Le deuxième scénario: restructuration de la Belgique à l’image de la Suisse, la création de la confédération de "l’Union belge" comprenant Bruxelles, la Flandre, la Wallonie et les cantons germanophones de l’Est.

Le troisième scénario, des plus exotiques, est la balkanisation du pays: mettre toutes les affaires belges sous la tutelle d’un observateur neutre de l’ONU ou de l’UE. Et laisser en place ce "gouvernement extérieur" jusqu’au règlement des différends entre les francophones et les flamands.

Le cocktail belge corrosif

Il faut dire que la Belgique donne un mauvais exemples aux partisans de "l’eurorégionalisation" et aux nationalistes. En Europe ils sont plus nombreux qu’on ne pourrait le croire. En Grande-Bretagne, le "cocktail belge" est très populaire parmi les nationalistes écossais et gallois qui prônent la séparation de l’Ecosse et du Pays de Galles. En Espagne, c’est le cas des Catalans et des Basques. Des Corses en France.

Le séparatisme belge est un bon exemple qui montre comment les politiciens, dont les "hémisphères régionaux" travaillent bien plus activement que les "nationaux", peuvent emmêler la situation. En Belgique, les droits constitutionnels des régions sont hypertrophiés: les autorités locales et régionales ont plus de droits sur la gestion des finances et des revenus dans les localités que le gouvernement fédéral.

La partie francophone du pays (3,5 millions de personnes au Sud du pays, relativement moins riche) est convaincue que les Flamands (6,5 millions de personnes au Nord, plus riche) cherchent à provoquer la scission en exigeant que le gouvernement central réduise les subventions et que les autorités provinciales soient habilitées à adopter les lois réglementant l’emploi et à instaurer des taxes sur les entreprises. Grâce à cela, selon les Wallons, la Flandre obtiendra le statut d’Etat au sein d’un Etat et détruira le pays. Et les Flamands affirment que la Flandre en a assez de traîner derrière elle le Sud paresseux et de partager avec lui l’argent gagné honnêtement. La Wallonie reçoit en effet jusqu’à 10 milliards d’euros de subventions chaque année, mais ce n’est pas le cas de la Flandre plus aisée. Tel est l’égoïsme régional, financier, économique, industriel et culturel. Les Belges en sont arrivés là par leurs propres efforts, mais ils ignorent comment s’en sortir.

La Russie ferait mieux de regarder comment les Belges règlent leurs problèmes. En Russie, au Sud, il existe également des bénéficiaires "privilégiés" qui reçoivent des subventions fédérales. Ce qui ne plaît pas aux voisins.

Il n’est pas nécessaire d’offenser tous les Belges et de penser qu’ils rêvent de découper le plus rapidement possible leur pays adoré pour en faire des "résidences isolées." Mais pour l’instant, ils n’arrivent pas non plus à le recoller solidement. Et ils chantent soit La Brabançonne (l’hymne national en wallon), soit De Brabançonne (le même en flamand).

Ce texte n’engage pas la responsabilité de RIA Novosti.

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