Russie-OTAN: rapprochement ou nouvelle confrontation?

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Alexeï Fenenko, de l'Institut des problèmes de la sécurité internationale, inteviewé par RIA Novosti, évoque les thèmes majeurs de la conférence de Munich sur la sécurité.

Alexeï Fenenko, de l'Institut des problèmes de la sécurité internationale, inteviewé par RIA Novosti, évoque les thèmes majeurs de la conférence de Munich sur la sécurité.

- La 47ème conférence de Munich sur la sécurité qui s’est achevée récemment est très discutée dans les médias. A votre avis, quel a été le thème le plus intéressant?

- Je soulignerais trois points. Premièrement, j’ai été surpris par le ton de confrontation relativement violent contrastant avec les tendances des deux dernières années. Pratiquement tous les politiciens, la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le célèbre sénateur John McCain et le président lituanien ont dit que nous étions confrontés à un choix fatidique. Soit on conclu l’accord, soit on revient à la confrontation.

Or, la conférence était sensée se tenir dans une autre tonalité, celle de la mise en avant des succès. L’année dernière, les politiciens expliquaient que de nombreux succès avaient été atteints. Mais il s’est avéré qu’au contraire les problèmes s’étaient aggravés. Deuxièmement, j’ai été frappé par le discours disant qu’il était temps de surmonter l’héritage de la guerre froide. Et troisièmement, la proposition de signer sans tarder l’accord sur la défense antimissile (ABM) ou le passage urgent à une nouvelle relation avec les pays non démocratiques ont été prônés par le sénateur McCain. D’où la question: pourquoi une telle précipitation si tout va bien? De toute évidence, il existe de sérieux problèmes.

- Dans quel domaine se posent les problèmes?

- Je pense qu'il existe un grave problème fondamental. Jusqu’à récemment, la Russie et les Etats-Unis construisaient leurs relations sur la base des potentiels stratégiques des années 1970. En d’autres termes, la Russie et les Etats-Unis avait la capacité de se détruire mutuellement. Aujourd’hui, nous nous sommes sérieusement penchés sur le problème des années 2020 qui est de savoir si ce potentiel demeurera. Nous abaissons les seuils de dissuasion nucléaire, ce qui signifie que la menace de contre-valeur cibles augmente, et les militaires en parlent sérieusement. Moins nous possédons de vecteurs, plus la probabilité qu’ils subiront une frappe incapacitante augmente. Deuxième point, le déploiement de la défense antimissile. Certes, pour l’instant elle est faible est techniquement imparfaite. Cependant, en couplant l’ABM au développement des armements de haute précision et au système de frappe incapacitante, la situation sera différente. La Russie se posera pour la première fois la question de savoir comment nous devons bâtir les relations si la logique de destruction mutuelle est remise en question. Nous avons deux solutions: soit perfectionner constamment notre arsenal nucléaire, soit chercher parallèlement un accord avec les Etats-Unis et l'Alliance atlantique sur les règles de conduite dans le monde nouveau. Tel était le leitmotiv de cette conférence.

- Quant au Traité de réduction des armes stratégiques (START), il s’avère que plus on réduit l’arsenal, plus on devient vulnérable non seulement face aux Etats-Unis, mais également face aux pays tiers?

- Actuellement, aucun pays ne possède des capacités comparables à celles de la Russie et des Etats-Unis. La Chine n’arrive toujours pas à créer des ogives multiples à guidage individuel efficaces, et sans cela aucune contre-valeur cibles n’est possible.

- Combien de niveaux de réduction des armes stratégiques peut-il y avoir avant d’appeler d’autres pays à réduire leurs arsenaux nucléaires?

- Le traité START a deux objectifs et ils ne concernent que les Etats-Unis et la Russie. Premièrement, il s’agit de désactiver les systèmes nucléaires obsolètes. Nous arrivons à un moment où il est temps pour la Russie et les Etats-Unis de désactiver les systèmes des années 1980. Leur durée de vie arrive à expiration, or l’armement nucléaire doit être changé et perfectionné tous les 15-20 ans. Les Américains ont plus de ressources pour la modernisation, la Russie en a moins, et pour cette raison cela nous est profitable. Deuxièmement, il est question de réduire la capacité d’une attaque de contre-valeur cibles. Et je dirais que le traité START actuel ne règle pas ce problème. Il ne réglemente pas la composition de la triade stratégique. Ainsi chaque partie décide combien d’armes et quels types elle préfère avoir. Et il n’existe aucune proportion concernant les ogives multiples à guidage individuel, arme principale d’une contre-valeur cibles. Cela permet à la Russie et aux Etats-Unis de moderniser ce système. Cela est plus profitable à la Russie qu’aux Etats-Unis car notre groupe principal est composé de missiles intercontinentaux. Si la Russie était contrainte d’abandonner les ogives multiples à guidage individuel, il serait nécessaire de renforcer le groupe des missiles monoblocs ce qui conduirait irrémédiablement à une nouvelle course aux armements, ou à développer l’aviation stratégique, moderniser l’avion Tu-160, mais cela coûtera plus cher que de créer de nouveaux systèmes de missile. Les parties se sont arrêtées au niveau actuel, et la logique du traité actuel est la suivante: en abaissant les seuils de dissuasion, chaque partie doit conserver la capacité de porter un préjudice inacceptable aux sites stratégiques de l’autre partie. Telle est la logique des années 2010, et le traité est en vigueur jusqu’en 2020. Or la question cruciale est de savoir ce qu’il adviendra par la suite.

- Un monde sans armes nucléaires est-il concevable?

- On a connu un cas analogue dans les années 20 et 30. Rappelons qu’en 1925 a été signé le Protocole de Genève interdisant l’utilisation des armes chimiques. Pendant la Seconde guerre mondiale l'arme chimique n’a pas été utilisée, ce qui n’empêchait pas de faire la guerre. Les généraux des forces blindées qui avaient besoin d’une couverture d'infanterie pour créer les principaux corps blindés d’attaque se sont opposés à l'utilisation de l'arme chimique. Si ce protocole n’avait pas été signé, la guerre aurait pu ne pas avoir lieu. Nous avons donc déjà vu ce qu’est un monde sans armes chimiques. Et si le monde était dénucléarisé, il est possible qu'on en soit aujourd’hui à la septième ou à la huitième guerre mondiale.


Propos recueillis par Samir Chakhbaz

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