Le Danemark prépare la plus radicale des réformes sociales au monde, qui devrait se conclure par l’augmentation de l’âge de la retraite à 74 ans. Mais à vrai dire, seulement les trentenaires d’aujourd’hui connaîtront cette merveilleuse période. Toutefois, les quadragénaires pourraient également être concernés.
Les idéologues de la réforme partent d’un postulat très simple: si l’espérance de vie augmente, et que les personnes âgées deviennent de plus en plus actives et en meilleure santé, elles n’ont rien à faire à la maison, elles doivent travailler. Les auteurs de la réforme se sont basés sur l’indice suivant: le nombre d’années qu’un Danois moyen passera à la retraite ne doit pas être inférieur à 15 ans. Si les tendances démographiques actuelles ne changent pas, les trentenaires d'aujourd'hui vivront en moyenne jusqu’à 90 ans (à l’heure actuelle, l'espérance moyenne de vie au Danemark est de 82 ans). Ainsi, ils devront travailler jusqu’à 74 ans (et ils devraient encore dire merci parce qu’ils ne travailleront pas jusqu’à 75 ans).
Actuellement, les hommes danois travaillent, pratiquement comme en Russie, jusqu’à 65 ans. Le processus de passage à une vie active plus longue sera lui-même assez lent. En 2022, les hommes âgés aujourd’hui de 50-55 ans partiront à la retraite à 67 ans au lieu de 65. Et ainsi de suite: 69, 70, 74…
On pourrait difficilement rendre responsable de cette situation désagréable l’excentricité obscure des compatriotes de Hamlet. En Allemagne, l’âge de la retraite a été augmenté jusqu’à 67 ans il y a cinq ans déjà. L’Irlande et la Lettonie terminent le projet de loi sur le relèvement de l’âge de la retraite à 68 ans. L’année dernière, après de nombreuses manifestations de protestation, les Français ont perdu leur bataille sociale, et l’âge de la retraite est passé à 62 ans au lieu de 60.
Les pays européens deviennent victimes de leur propre succès: le monde civilisé traverse une phase de "papy boom", les gens vivent de plus en plus longtemps. De plus, les européens se sont habitués au fait que le niveau de vie des personnes âgées ne diffère guère de celui de la population active.
"La question suivante se pose: nous faut-il soutenir cette situation, déclare le directeur de l’Institut national français d’études démographiques (INED) François Héran. Ne serait-il pas plus juste d’avoir un système au sein duquel les personnes qui sont dans la partie la plus active du cycle de vie et donnent plus à la société gagnent plus? C’est tout de même le principe de l’économie de marché!"
Malheureusement, en Russie ce principe est rigoureusement appliqué depuis longtemps: depuis plusieurs années les retraites ne représentent pas les deux tiers du salaire moyen, comme le recommande l’Organisation internationale du travail. Entre-temps, l’espérance de vie moyenne en Russie, et notamment à Moscou, augmente légèrement. Selon l’Institut central de recherche scientifique de l’organisation et de l’informatisation de la santé, aujourd’hui, les Russes vivent en moyenne jusqu’à 69 ans, et en 2015 l’espérance de vie atteindra 71 ans. Une hausse particulièrement rapide est enregistrée à Moscou. Au cours des douze dernières années, les Moscovites ont gagné 9 années de vie supplémentaires. Il est à noter que ce sont surtout les personnes âgées qui ajoutent des années à leur "compteur." Les statistiques sont tirées vers le bas (mais moins que dans les années 1990) par les jeunes alcooliques, les personnes aux mœurs déréglées et les automobilistes irresponsables.
L’année dernière, plusieurs batailles ont éclaté concernant l’âge de la retraite en Russie en raison du désir de certains fonctionnaires du ministère russe des Finances d'instaurer les standards européens de l’âge de la retraite (le vice-ministre des Finances, Sergueï Chatalov, a ouvertement déclaré que la Russie ne pouvait pas se permettre d’avoir l’âge de la retraite le plus bas du monde). Toutefois, pour l’instant, la promesse de l’ancien président Vladimir Poutine reste en vigueur. En 2007, il a annoncé qu'objectivement il n'était pas nécessaire d'augmenter l’âge de la retraite "dans un avenir prévisible."
Toutefois, l’avenir prévisible est une notion extensible. Les pays d’Europe occidentale, où les retraités deviennent peu à peu le groupe d'électeurs le plus important, se sont attelés depuis longtemps à une réforme de l’économie conçue pour les travailleurs des générations anciennes, car les électeurs font pression dans ce sens. Et l’Etat et la démocratie y jouent un rôle clé.
Le fait est que les travailleurs âgés sont nécessaires à l’économie dans l’ensemble, et non pas à une entreprise en particulier. Les entreprises tentent, au contraire, d’envoyer les personnes âgées à la retraites en les remplaçant par des jeunes cadres, certes, moins instruits, mais plus dynamiques. Et c’est là que l’Etat doit exercer la pression pour convaincre les entreprises d’engager des serveuses plus âgées ou des disc-jockeys chenus.
Par ailleurs, l’augmentation du pouvoir d’achat des "anciens" menace la structure économique actuelle axée sur la consommation des jeunes et le culte de la jeunesse éternelle prôné par les magazines à la mode et la télévision. Toutefois les personnes âgées en Occident tentent de ne pas se laisser distancer par le train de la modernité en s’accrochant désespérément au mode de vie des jeunes. Il n’est plus considéré comme inconvenant depuis longtemps pour un "papy" d’aller avec son petit-fils à un concert "heavy metal", et les grand-mères font parfois elles-mêmes découvrir à leurs petites-filles les procédés destinés à séduire les hommes en leur faisant visiter des magasins spécialisés et des salons de beauté. Le conflit de consommation entre les générations, qui était à l’origine de la révolte de mai 1968, est révolu. Mais de plus en plus souvent on entend dire que ce mouvement ne peut pas être à sens unique. Les jeunes doivent également tenter de comprendre les problèmes et les valeurs de l’ancienne génération, bien que les magazines à la mode et la télévision ne l’enseignent pas.
Dans l’ensemble, la réforme des retraites sera confrontée à de très nombreux problèmes. Et la Russie devrait d'ores et déjà se mettre à jeter parfois un œil sur l’Occident pour éviter des troubles à l’avenir.
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